Août 1870-juillet 1871

Les communards ont-ils incendié « les plus beaux monuments de Paris » ? Si, dès juin 1871, les versaillais mettent l’accent sur les incendies et lancent le mythe de la « pétroleuse  », c’est pour faire oublier l’hécatombe de la Semaine sanglante dont ils sont responsables.

Les destructions matérielles

 

Pendant le siège 
18 septembre 1870-28 janvier 1871

Les troupes prussiennes achèvent d’encercler Paris le 18 septembre. Le bombardement commence le 5 janvier 1871 et ne cessera que le 28 janvier, avec l’armistice. Entre le 5 et le 27 janvier, 7 000 obus ont été tirés, 1 600 bâtiments publics ont été touchés, ainsi que 1 400 maisons particulières. Les effets de ce bombardement sur le bâti restent toutefois très limités : aucun bâtiment majeur n’est détruit. Le bombardement a un objectif essentiellement psychologique : il s’agit de briser le moral des défenseurs et non pas d’envahir Paris.

Durant le deuxième siège 
2 avril 1871-21 mai 1871

Alors que les Prussiens avaient essentiellement pour but de miner le moral des défenseurs, celui de Thiers est de détruire réellement les défenses de Paris. Deux fronts sont ouverts, à l’ouest et au sud de la capitale.

Le front ouest conduira à la destruction de Neuilly, de Courbevoie, d’Asnières-sur-Seine et de Bécon-les-Bruyères, tandis que le Mont Valérien bombarde l’ouest parisien, de la porte des Ternes à l’Arc de Triomphe. Des quartiers entiers sont en ruines.

Sur le front sud, l’artillerie versaillaise se positionne à Châtillon, à Meudon, à Saint-Cloud et à Montretout, souvent sur d’anciennes positions prussiennes. L’objectif principal est de neutraliser les forts d’Issy et de Vanves, qui défendent l’accès à Paris. Le 8 mai, le fort d’Issy est évacué.

L’artillerie pilonne l’enceinte entre les portes d’Auteuil et de Saint-Cloud. Le 20 mai, ces deux portes et la gare d’Auteuil sont détruites, ainsi que de nombreuses maisons particulières.

Colonne Vendôme abattue et barricades sur la place, Paris 2ème, photo François Franck (source Musée Carnavalet)

Les démolitions symboliques de la Commune.

Le décret ordonnant la démolition de la colonne Vendôme est publié le 13 avril, soit le surlendemain du début du bombardement versaillais. Ce décret ne sera finalement exécuté que le 16 mai : la colonne est abattue ce jour-là en grande cérémonie, en présence d’élus, de gardes nationaux et d’une foule « compacte et joyeuse  », en musique et dans une atmosphère de fête.

L’hôtel particulier de Thiers sera démoli le 13 mai. Le Journal officiel de la Commune de Paris du 16 mai publie l’arrêté décidant la dévolution des biens de Thiers.

La cartoucherie de l’avenue Rapp saute dans la soirée du 17 mai. Accident ou attentat ? Quatre maisons s’écroulent, on déplore une centaine de morts et d’innombrables blessés. Où est le coupable ? « Une enquête sérieuse eût probablement révélé un crime. Les ouvrières qui sortaient d’ordinaire à sept heures du soir avaient été, ce jour-là, congédiées à six heures », écrira Prosper-Olivier Lissagaray.

Pendant la Semaine sanglante
21 mai-28 mai 1871

Thiers et Mac-Mahon sont intimement persuadés que les fédérés opposeront une défense acharnée, et surtout qu’ils ont parsemé Paris de mines dévastatrices. Ordre est donné de ne jamais attaquer les barricades de front, mais de les contourner, soit par les rues adjacentes, soit en perçant les maisons, et de les surplomber en établissant des positions de tir dans les étages supérieurs des immeubles. La réponse la plus efficace pour les fédérés est alors d’incendier ces immeubles.

Comme on a estimé le nombre de barricades dans Paris à neuf cents environ, il en résulte un nombre considérable d’incendies potentiels.
Qu’en est-il des monuments volontairement incendiés ? Lissagaray attribue aux versaillais l’incendie du ministère des Finances. Gustave Lefrançais également, qui rappelle que Catulle Mendès, écrivain hostile à la Commune, souscrit lui aussi à la thèse de l’incendie versaillais.
L’incendie des Tuileries a été voulu par la Commune : il s’agissait, comme pour la destruction de la colonne Vendôme, d’un geste à la fois symbolique et festif.

Incendie des Tuileries Clairin Georges-Jules-Victor (1848-1919) (© Photo RMN-Grand Palais – C. Jean)
Incendie des Tuileries Clairin Georges-Jules-Victor (1848-1919) (© Photo RMN-Grand Palais – C. Jean)

Selon Jules Andrieu, « seules les destructions des Tuileries et de l’Hôtel de Ville peuvent être mises au compte de l’idée communale. Elles sont justifiées par l’histoire de ces deux monuments, symboles de l’autorité et de l’arbitraire ».

Les versaillais ont considérablement amplifié ces événements, accusant la Commune d’avoir miné les égouts de la capitale et d’avoir mis sur pied un véritable plan pour incendier la totalité de Paris. Ils inventent aussi le mythe de la « pétroleuse ». Ce n’est qu’en 1878 que Maxime Du Camp, écrivain hostile à la Commune, reconnaîtra, dans Les Convulsions de Paris, qu’il ne s’agissait que d’une pure invention. En réalité, on a dénombré deux cent trente-huit bâtiments entièrement détruits par le feu.

Après le 28 mai 1871

La Commune de Paris est le premier événement en France à être massivement immortalisé par la photographie. Ces photographies contribueront à stigmatiser « la Commune et ses crimes ».

Paris en ruines devient le lieu de promenade favori des Parisiens et des provinciaux. Le rétablissement, dès le 3 juin, de la liaison ferroviaire entre Paris et Londres encourage l’arrivée massive de touristes anglais. Bien informés par leur presse, ils se rendent dans la capitale dévastée en voyages organisés, notamment par l’agence Cook. Ces touristes étrangers ont participé à la renaissance de la capitale, notamment en favorisant la réouverture des hôtels et des théâtres.

Nous poursuivons la publication du bilan de l’année terrible. Après les destructions matérielles, le deuxième volet est consacré au bilan humain.

Les victimes

Pendant le Siège
18 septembre 1870-28 janvier 1871

Le peuple de Paris est d’abord victime des conséquences du froid (un hiver exceptionnel avec des pointes de température de -20°C en décembre) et de la faim. Les bombardements prussiens aggravent la situation à partir du 5 janvier 1871.

Le taux de mortalité double en quelques mois, notamment à la suite des affections pulmonaires dues au froid et à la malnutrition. Il y aura 63 854 morts entre le 18 septembre 1870 et le 25 février 1871, contre 21 880 pour la même période de l’année précédente.

Les bombardements font 102 morts et 278 blessés, soit 380 victimes.

Parmi les militaires, la guerre fait 45 000 morts et 90 000 blessés dans les rangs de l’armée prussienne. La variole en tue 450 (5% des contaminés) [1]. De leur côté, les Français ont, entre le 3 août 1870 et le 28 janvier 1871, 151 000 morts et 131 000 blessés. La variole en tue 23 500 (19% des contaminés).

Entre le 18 mars et le 21 mai 1871

Une douzaine de morts marquent la journée du 22 mars 1871, lors de la manifestation de la rue de la Paix.

Le 2 avril, les versaillais attaquent Courbevoie. Les fédérés, inférieurs en nombre, évacuent la place, laissant douze morts et quelques prisonniers. Les gendarmes en prennent cinq et les fusillent au pied du Mont-Valérien. La Commune veut répliquer. Lamentablement préparée, la sortie du 3 avril est un échec cuisant, marqué par de nombreuses victimes, dont Flourens et Duval.

Les pertes des fédérés, pour l’ensemble des combats du second siège jusqu’au 21 mai, sont estimées entre 10 et 12 000 hommes tués, blessés ou prisonniers.

Rappelons enfin que l’explosion de la cartoucherie de l’avenue Rapp, le soir du 17 mai 1871, fait une centaine de morts et d’innombrables blessés.

Alfred Henri Darjou : Exécution au Mur des Fédérés le 28 mai 1871
Alfred Henri Darjou : Exécution au Mur des Fédérés le 28 mai 1871

 

Pendant la Semaine sanglante 21 mai-28 mai 1871

La répression militaire est extrême : les massacres de la Semaine sanglante et des jours suivants font des milliers de morts. Les historiens en disputent le nombre : selon Jacques Rougerie, « Mac-Mahon avoue un total de 17 000 victimes : nombre qu’on peut porter à 20 ou 25 000 ». Robert Tombs, se basant sur le chiffre des inhumations dans les cimetières parisiens, les ramène à un chiffre se situant entre 5 700 et 7 400. Camille Pelletan estimait toutefois, en 1880, les inhumations dans les cimetières parisiens à 18 000 et les morts enfouis, brûlés ou dispersés en dehors de ces cimetières à plus de 10 000 et portait les victimes à plus de 30 000 morts.

Plus encore que le nombre des victimes, c’est la manière avec laquelle fut perpétré ce massacre de masse qui interpelle. Selon Jacques Rougerie,

les exécutions sommaires commencèrent dès le 22 mai, alors que les troupes n’avaient pas encore rencontré de résistance. Elles étaient l’œuvre de corps spéciaux de gendarmes et de soldats qui, les troupes combattantes passées, ratissaient les quartiers, arrêtaient au moindre soupçon, et décimaient.

Après le 28 mai 1871

Dès les premiers jours de juin, on met en place les conseils de guerre, qui vont siéger pendant quatre ans. Le 1er juin 1871, seuls deux conseils de guerre fonctionnent, pour 30 000 accusés. Par la suite, ces juridictions d’exception atteindront le nombre de vingt-six. Leur fonctionnement en est assuré par 14 généraux, 266 colonels et lieutenants-colonels, 284 commandants et 1709 hommes.

Le 20 juillet 1875, dans son rapport à l’Assemblée nationale, qui ne tient pas compte des condamnations prononcées en province, le général Appert dénombre 46 835 individus jugés, sur lesquels il y a 23 727 non-lieux, 10 137 condamnations prononcées contradictoirement, 3 313 par contumace, 2 445 acquittements et 7 213 refus d’informer. Sur les 10 137 condamnations, on compte 95 condamnations à mort, 251 aux travaux forcés à vie et à temps, 4 586 à la déportation (dont 1 169 en enceinte fortifiée et 3 417 en déportation simple), 1 247 à la prison perpétuelle, 3 359 à des peines de prison variables. 55 enfants de moins de 16 ans sont envoyés en maison de correction. En fait il n’y a que 25 exécutions, dont Ferré et Rossel.

Les prisons sont surchargées et, par peur d’épidémie, 20 000 prisonniers sont transférés sur des pontons en attendant d’être jugés. Le voyage de Versailles aux pontons s’effectue dans des wagons à bestiaux et le transfert dure parfois plusieurs jours. Les pontons sont de vieux vaisseaux désaffectés, où un espace a été aménagé pour recevoir les prisonniers. La détention peut durer plusieurs mois. La faim, la soif, les blessures peu ou mal soignées, ont pour résultat un grand nombre de décès (3 000 morts au moins dans les dépôts, pontons, forts, prisons).

La frégate Danaë. La Danaé effectuait le transport des forçats vers les bagnes de la Guyane ou la de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce but, elle avait été rehaussée d'une batterie et dotée de quatre cages rectangulaires de 20 à 30 mètres de long sur 3m50 de large. Avec des barreaux de 1m90 de hauteur, ces cages pouvaient contenir de 60 à 80 condamnés. Affectée au transport du 1er convoi de déportés de la Commune vers la Nouvelle-Calédonie, la Danaé se trouve dès le 10 avril 1872 au mouillage dans la rade des Trousses, face à l'île d'Aix, sous les ordres du capitaine de frégate Riou de Kerprigent. 
La frégate Danaë. La Danaé effectuait le transport des forçats vers les bagnes de la Guyane ou la de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce but, elle avait été rehaussée d'une batterie et dotée de quatre cages rectangulaires de 20 à 30 mètres de long sur 3m50 de large. Avec des barreaux de 1m90 de hauteur, ces cages pouvaient contenir de 60 à 80 condamnés. Affectée au transport du 1er convoi de déportés de la Commune vers la Nouvelle-Calédonie, la Danaé se trouve dès le 10 avril 1872 au mouillage dans la rade des Trousses, face à l'île d'Aix, sous les ordres du capitaine de frégate Riou de Kerprigent

Les condamnés purgent leur peine en Nouvelle Calédonie. Le premier départ a lieu le 3 mai 1872 sur la frégate Danaë, avec 300 déportés à bord, et arrive à Nouméa le 29 septembre 1872 ; le dernier, le 1er juillet 1875. La traversée est atroce. Beaucoup meurent pendant ce voyage qui dure plusieurs mois (100 à 150 jours).

Les condamnés à la déportation simple vont à l’île des Pins ou à Nouméa (les « simples »), ceux condamnés à subir leur peine en enceinte fortifiée à la presqu’île Ducos (les « blindés »). Quant à ceux condamnés aux travaux forcés à temps ou à perpétuité, ils purgent leur peine au bagne de l’île de Nou et doivent travailler à des travaux pénibles huit heures par jour : terrassements, exploitation de carrières, déchargement des navires.
Les châtiments corporels sont cruels, la discipline impitoyable. L’isolement, les privations font leur œuvre ; il y a des cas de folie. Les condamnés de droit commun sont mieux traités que les communards.

Les tentatives d’évasion sont vouées à l’échec. Une seule réussit, celle de Rochefort et de Grousset.

Le 1er septembre 1879, 110 communards, bénéficiaires de l’amnistie partielle du mois de mars, débarquent de la frégate Le Var à Port-Vendres. L’amnistie plénière ne sera promulguée que le 11 juillet 1880.

Les versaillais — et, après eux, la majorité des auteurs de manuels scolaires — ont mis l’accent sur l’incendie « des plus beaux monuments de Paris » et volontiers grossi le nombre des immeubles détruits et l’importance des ruines, dans le but « d’effacer » le nombre des victimes et l’importance du massacre de la Semaine sanglante. L’odeur âcre du sang ou des crématoires et les effluves pestilentiels des charniers angoissent les Parisiens. Regarder des ruines plutôt que des cadavres participe d’une volonté de retour à la normale : aux cadavres des communards, les Parisiens ont préféré les cadavres de pierre.

 

GEORGES BEISSON

 

RECTIFICATIF

À propos des départs pour la Nouvelle Calédonie.
En complément aux articles sur L’année terrible parus dans les bulletins de La Commune n°70 et 71, Marc Dessaf, adhérent de notre association et de son comité Pays de Loire, précise que le premier départ pour la Nouvelle-Calédonie a eu lieu le 21 novembre 1871 au départ de Toulon, sur le Jura, et le 20e et dernier convoi le 10 juillet 1878 au départ de Brest.

GEORGES BEISSON

cf. : Roger Pérennès, Déportés et forçats de la Commune de Belleville à Nouméa, Nantes, Ouest Éditions, 1991, 580 p.


Notes

(1) Contrairement aux Français, les Prussiens connaissaient l’efficacité du rappel antivariolique. Cet article résume un document plus étoffé, élaboré par Annette Huet, Dominique Besse, Éric Lebouteiller et Georges Beisson, disponible sur le site commune1871.org

Dernières publications sur le site