Ces deux derniers évoquent toujours la peinture, la poésie, la littérature, l’art en général et le génie créateur tandis que lui incarne depuis le XIXe siècle le héros de la Liberté et de la justice sociale.
Dans ce cadre, il dépassa souvent des intérêts purement nationaux puisqu’il est devenu au fil du temps une sorte de citoyen du monde, ou plutôt un précurseur de cette citoyenneté sans frontière qui l’engagea sur bien des fronts et notamment en France pour lutter à nos côtés contre les Prussiens en 1870.
L’armée française a quelquefois combattu Garibaldi sous le Second Empire mais la République l’a très souvent soutenu au point que la France devint sa deuxième patrie. Cependant, d’autres pays peuvent prétendre aussi à ce rôle. En effet, porteur de la révolution en Amérique du Sud où, engagé dans le combat de la libération des peuples européens, cet Italien est d’abord un rebelle prêtant la main aux émancipations du temps, un anticlérical nécessaire à de véritables choix personnels et un symbole romantique que son cheminement généreux et sa chemise rouge vont élever progressivement au niveau d’un mythe international.
Doué d’un caractère fort, d’une présence sympathique et d’un physique vigoureux, Giuseppe Garibaldi a d’abord l’opportunité d’apprendre mais il a aussi le goût de se perfectionner. Enfant, il est sans doute plus séduit par l’idée de l’aventure que par l’école mais, adolescent, il possède déjà les rudiments des techniques qui vont faire de lui un bon marin. Élevé en langue française, il apprend l’Italien et l’Anglais. De plus, il explore d’autres disciplines grâce à son goût de la lecture qui va le mener aussi bien vers les poètes que vers les historiens ou les scientifiques.
Bon professionnel de la marine, il devient capitaine de seconde classe à vingt-cinq ans et, lorsqu’il met pied à terre après une mission, il apparaît comme un gai compagnon de fratrie.
On dirait de nos jours qu’il réussit à la manière d’un autodidacte surdoué. Il aurait sans doute pu s’épanouir et prospérer dans cette carrière de cabotage et de commerce qui le mène tout jeune de Nice à Constantinople et de la mer Égée aux îles Canaries.
Cependant, son destin est ailleurs et c’est toujours à la lecture qu’il doit de réaliser de successives prises de conscience, lesquelles le propulsent d’une jeunesse active dans les transports maritimes à l’engagement politique. Aux lectures éclairantes s’ajoutent également des rencontres qui le mettent en danger, d’abord en France où, impliqué dans une première insurrection, il est condamné à mort par un tribunal militaire. Alors, il prend la fuite sur un brigantin allant de Rio où se trouve à une colonie italienne.
En 1836, cet homme d’exception, aussi bien corsaire opportun que penseur, séduit par les idées saint-simoniennes, rêve de liberté et d’égalité, devient franc-maçon au Brésil et travaille aussi à la future insurrection italienne. Mais en attendant un éventuel retour « au pays », il se rode à un destin de combats de l’Uruguay au Brésil et à l’Argentine. Courageux comme d’Artagnan et rusé comme Ulysse, il découvre en combattant là-bas que
« L’homme qui devient cosmopolite, qui adopte l’humanité pour patrie et va offrir son épée et son sang à chaque peuple luttant contre la tyrannie, est plus qu’un soldat : c’est un héros ».
Il crée une association sous l’égide de Mazzini, le fondateur de la « Jeune Italie », puis il rencontre Anita, la compagne de son destin sud-américain qui va lui donner des enfants et le suivre fidèlement dans ses engagements. Elle va même l’accompagner à Nice en 1848 lorsqu’il y revient, quatorze ans après son départ. Ses exploits ont à ce moment-là un retentissement international. Il fait partie d’une autre loge maçonnique dépendant du Grand Orient de France et, en même temps qu’il arbore la tunique de laine rouge des travailleurs des abattoirs de Buenos-Aires, son uniforme privilégié, il mûrit ses projets d’unité pour son pays. Et bien sûr, il est toujours agité par le désir de réformer.
Lors de son retour, soixante-trois amis de la Légion italienne traversent aussi l’océan pour l’accompagner dans ses combats et progressivement des volontaires cosmopolites les rejoignent. Les rencontres de divers démocrates allant des modérés aux révolutionnaires font le reste. Malgré la méfiance récurrente des gouvernements, il lutte sur tous les fronts possibles. Il tient les Autrichiens en échec en Lombardie et participe même à une assemblée déclarant la Papauté déchue de son pouvoir temporel. Il combat également les troupes de Louis-Napoléon puis participe à la lutte contre une coalition européenne.
Ensuite, il traverse une période noire pendant laquelle Anita, désormais associée à la conquête de l’unité italienne, meurt. En 1849, il reprend le chemin de l’exil et part à New-York. Il passe ensuite à Panama puis au Pérou où les émigrés de son pays lui apportent toujours de l’aide. En 1853, il est en Angleterre.
Enfin il revient à Nice puis au Piémont après avoir résidé successivement au royaume de Sardaigne et au Maroc, là où il se met à l’écriture. En 1855, cet homme d’engagement et d’action suspend pour un temps ses activités politiques et achète une terre dans l’île de Caprera, tout près de la Sardaigne. Il y installe un domaine agricole en faisant montre d’intuitions extraordinaires concernant ce genre d’activités. Il est doué aussi pour cela. Il a quarante-huit ans et la maison de son troisième âge est en construction. Cependant son aventure est loin d’être terminée.
Paradoxalement, il s’engage avec les Chemises rouges en coopération avec la monarchie de Victor-Emmanuel jusqu’à l’Armistice de Villafranca. Puis devenu provisoirement chef des armées, il se lance dans des tentatives plus ou moins heureuses et de manière concomitante il connaît des amours éphémères. Enfin, au terme de cette période il attaque la Sicile, encore une fois au nom du Roi, avec pour objectif final l’unité du pays. Et il réussit à vaincre les Bourbons qui se sont retranchés à Naples.
1861. Là où il y avait une simple expression géographique, il y a maintenant une nation, l’Italie, à laquelle il manque encore Venise et Rome. Et là où il y avait un patriote audacieux de notoriété, il y a un héros en instance de légende que l’Europe salue et honore.
Ensuite, Garibaldi quitte provisoirement la scène publique mais ses exploits demeurent dans toutes les têtes. Il continue à s’intéresser aux idées de progrès et reste en liaison avec les démocrates de nombreux pays au point que les États-Unis lui offrent en 1861 la responsabilité de son armée pour lutter contre le Sud esclavagiste.
Il ne donne pas suite. Ultérieurement, Venise ayant rejoint le Piémont, il prend la tête d’un autre mouvement insurrectionnel qui veut libérer Rome, toujours au profit de l’unité italienne. Hélas ! Il perd ce combat. Ses hommes finissent par se rendre aux militaires français qui défendent la cité papale et ses dernières prises de position politiques éloignent la Gauche italienne de son héros récurrent. Fatigué, voire marginalisé, il réside maintenant avec beaucoup de difficultés dans son domaine où, de plus, il est sous le contrôle de la marine militaire. Malgré cette surveillance, il s’échappe de son île et se mobilise pour aider la toute nouvelle République française dans son combat contre les Prussiens et leurs alliés.
Cette campagne des Vosges est l’ultime combat armé de ce chef de guerre « pas comme les autres » qui pense déjà aux États-Unis d’Europe. Il rentre ensuite à Caprera. Cependant, il a laissé son fils Riciotti en France avec la consigne de s’unir aux Communards si la guerre reprend avec les Allemands mais il précise sa position :
« Si cela est une question entre Français, ne t’en mêle pas ».
Quand l’insurrection parisienne lui offre de prendre sa tête, il refuse car, s’il est toujours prêt à participer à un combat pour l’indépendance d’un pays, il ne veut jamais être impliqué dans une guerre civile.
De plus, cet authentique résistant aux monarchies, aux prêtres et aux privilèges a des réticences sur les théories de Karl Marx, notamment sur la lutte des classes. Plus près des idées de Bakounine concernant la révolution sociale, il prend cependant position pour la Commune de Paris-1871 au nom de la justice et de la dignité humaine, mais il n’y participe pas directement.
Sans salaire ni pension, il passe ses dernières années à Caprera entouré d’une nouvelle famille et, là, il se remet à l’écriture. Émus par sa situation précaire, ses amis le pressent d’accepter des subsides amplement mérités jusqu’au jour où, enfin, il va accepter une pension du gouvernement italien. Il meurt le 2 juin 1882. Victor Hugo écrit :
« Ce n’est pas l’Italie qui est en deuil, ce n’est pas la France, c’est l’humanité ».
Ainsi vécu Garibaldi, héros obstiné d’une Italie en voie d’unification, qui, au-delà de ses engagements généreux devenus légendaires, demeure un symbole mondialement reconnu de l’esprit de résistance et des principes républicains de Liberté, d’Égalité et de Fraternité.
Claude Chanaud