La Commune de Paris se situe à une période charnière de l’histoire économique et sociale ; ses racines sont profondes.

La révolution de 1789-1793 a porté la bourgeoisie au pouvoir et aboli les structures féodales en même temps que la monarchie absolue. Au début du XIXe siècle, la nouvelle classe dirigeante met en en place les structures sociales adaptées à son pouvoir.

Sous le 1er Empire et la restauration monarchique, à la faveur de la révolution industrielle, les banquiers et maîtres de forges apparaissent au premier plan de la scène politique et économique. Leur domination atteint son apogée sous le Second Empire.

La grande industrie s’installe à proximité des bassins miniers. Pour le transport des matières premières et des produits finis, fonte, acier, machines, un réseau ferré important est créé. L’industrie textile se mécanise. La chimie devient industrielle.

Cette industrialisation nécessite la concentration de capitaux importants. Il en résulte la création de grosses banques d’affaires. La grande bourgeoisie s’enrichit considérablement avec, comme corollaire, une misère insupportable pour les ouvriers et leurs familles. Deux classes sociales antagonistes se mettent en place : la bourgeoisie et le prolétariat.

 Paris à la fin du Second Empire

Paris n’est pas le lieu des plus grandes concentrations industrielles ; son usine la plus importante, Cail, compte 2 000 ouvriers, mais le fait qu’on y fabrique des locomotives est un symbole significatif. Et surtout, Paris est le lieu de concentration des banques les plus importantes et d’implantation des grands magasins qui accompagnent la révolution industrielle.

Le centre de la capitale, avec ses rues étroites, est mal adapté à cette nouvelle situation. Napoléon III charge le baron Haussmann, préfet de la Seine, des grands travaux qui vont éventrer le centre de Paris livré à une spéculation immobilière effrénée et rejeter les prolétaires à la périphérie de la ville. Le but principal de ces transformations est de faciliter le déploiement de la cavalerie et de l’artillerie en cas de révolte ouvrière.

Tous ces faits se conjuguent pour mettre le prolétariat dans un état de misère profonde avec des salaires extrêmement bas amputés par des charges de nourriture et de loyer de plus en plus lourdes, misère aggravée par de longues périodes de chômage. Cette exploitation capitaliste sans frein est encore plus insupportable pour les femmes, dont les salaires sont inférieurs de 50 % à ceux de leurs compagnons, moralement et physiquement insupportable pour les enfants et adolescents, contraints de travailler dès huit ans pour des salaires encore plus bas que ceux des adultes. Les véritables ouvriers d’usines sont en minorité dans la capitale. On compte, en moyenne dix ouvriers par entreprise. La plupart d’entre eux sont employés par des artisans qui travaillent avec un ou deux salariés.

Les usines Cail et le quai de Grenelle, peinture de Paul gauguin, 1875 (Catalogue raisonné :  W.16 : Daniel Wildenstein (2001), Gauguin: Catalogue de l’œuvre peint, 1873-1888, Paris: Seuil, nº 16)
Les usines Cail et le quai de Grenelle, peinture de Paul gauguin, 1875 (Catalogue raisonné :  W.16 : Daniel Wildenstein (2001), Gauguin: Catalogue de l’œuvre peint, 1873-1888, Paris: Seuil, nº 16)

 

Les prolétaires parisiens forment une classe ouvrière intermédiaire entre l’artisanat sans culotte de la Révolution de 1789 et le prolétariat d’usines de la fin du XIXe siècle. A côté de cette classe ouvrière vivent, dans les quartiers populaires des faubourgs parisiens, des artisans endettés contraints à de longues journées de travail, perméables à la pénétration des idées républicaines, socialistes et révolutionnaires. Les uns et les autres seront actifs pendant la Commue. 

L’organisation de la classe ouvrière avant la Commune

La révolution bourgeoise de 1789 avait mis fin au régime féodal, notamment en supprimant les corporations qui étaient un frein à la modernisation. Dans cet esprit, avait été votée la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 qui interdisait toute association et coalition entre gens de même métier.

Après la Révolution de 1789-1793, le régime féodal était bel et bien mort. Mais la bourgeoisie industrielle trouvait la loi Le Chapelier à son goût pour interdire toutes les associations ouvrières, notamment syndicales.

Les ouvriers tournent d’abord cette interdiction en fondant des coopératives et des mutuelles. Dans l’esprit de leurs promoteurs, il s’agit d’introduire des réformes pour améliorer la situation des ouvriers.

En 1848, le Manifeste communiste de Marx et Engels préconise la lutte des classes pour renverser le système capitaliste.

AIT en 1864
Fondation de l’Association internationale des travailleurs, en 1864, à Londres.

En 1864 a été créée, à Londres, l’Association internationale des travailleurs, en abrégé, l’Internationale connue de nos jours sous l’appellation de Première Internationale. La résolution de son congrès de septembre 1866 se prononçait notamment pour la limitation pour tous les ouvriers de la journée de travail à huit heures, l’instruction générale et professionnelle pour tous, la protection du travail des femmes. La résolution affirmait que les syndicats professionnels étaient la forme première et la plus large d’organisation de la classe ouvrière et qu’ils devaient donc se donner pour tâche de lutter pour son émancipation complète. En 1865 se créent des sections françaises de l’Internationale.

Face à la contestation de plus en plus vive de la classe ouvrière, Napoléon III concède le droit de grève en 1864, mais en l’assortissant de sévères restrictions. Et surtout, les associations ouvrières demeurent interdites, ce qui donnera prétexte à une sévère répression.

Les sociétés de secours mutuels se transforment en organisations de résistance. Elles ont de plus en plus recours à la grève. Les ouvriers revendiquent des augmentations de salaires, des réductions de la durée du travail.

Les revendications revêtent de plus en plus un caractère politique qui s’exprime lors des trois procès de l’Internationale intentés par le pouvoir. Dans ces luttes, de nouveaux militants se forment que nous retrouverons pendant la Commune.

La IIIe République et la Commune 

L’Empire est renversé et la République proclamée le 4 septembre 1870. Dès le lendemain, se constitue le Comité central des vingt arrondissements qui fédère les Comités de vigilance mis en place dans chaque arrondissement pour défendre la République. Il siège rue de la Corderie, dans les locaux de l’Internationale. Pendant le siège des Prussiens, les Internationalistes et leurs principaux responsables vont jouer un rôle actif dans la Garde nationale devenue le peuple de Paris en armes. Parallèlement, ils favorisent la création de chambres syndicales.

Proclamation de la Commune  à l'Hôtel-de-Ville de Paris, 28 mars 1871 (source : L’Illustrated London news du 15 avril 1871)
Proclamation de la Commune  à l'Hôtel-de-Ville de Paris, 28 mars 1871 (source : L’Illustrated London news du 15 avril 1871)

Paris se révolte le 18 mars 1871 et élit une assemblée communale.

La majorité des membres de la Commune sont issus de la petite bourgeoisie : employés, comptables, médecins, instituteurs, hommes de loi.

Mais le fait nouveau et essentiel est que les élections du 26 mars 1871 ont introduit dans le Conseil de la Commune vingt-cinq ouvriers, un tiers de ses membres, une proportion qui n’a jamais été atteinte depuis dans aucune assemblée de la République. Le courant ouvrier ou prolétaire de la Commune va mettre au centre de ses revendications les problèmes économiques et sociaux tels qu’ils étaient formulés par les organisations sociales, en particulier dans le programme de l’Internationale.

Les élus sont soumis à un mandat impératif, et peuvent être révoqués s’ils ne tiennent pas leurs engagements. Ils sont placés sous le contrôle permanent de leurs électeurs qui exercent ce pouvoir lors des assemblées des organisations populaires que sont la Garde nationale, les clubs, les comités de l’Union des femmes, les sections de l’Internationale, les chambres syndicales…

Dès son élection, la Commune a mis en place dix commissions qui ont pour mission d’élaborer et de proposer à l’assemblée communale les projets de décrets en vue de leur mise en application.

Léo Fränkel (1844–1895)
Léo Fränkel (1844–1895)

Le plus souvent, les revendications émanent des organisations populaires. Avant de les mettre en débat, elles sont transmises par la Commune à la commission compétente. Les revendications à caractère social sont soumises à la Commission du Travail, de l’industrie et des échanges dont le délégué est Léo Fränkel, un ouvrier bijoutier immigré de Hongrie, membre de l’Internationale. La Commission soumet ses propositions, pour avis et discussion, aux organisations populaires concernées, lesquelles veillent à leur application quand elles ont été définitivement adoptées. Cette forme de démocratie directe n’a jamais été appliquée depuis. Avec la Commune, le peuple n’est pas seulement écouté : il est entendu.

Les acquis sociaux de la Commune

L’oeuvre de la Commune est d’abord une réponse directe, immédiate aux préoccupations de la population parisienne. Léo Fränkel déclare :

«  Nous ne devons pas oublier que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune.  »

Journal Officiel de la Commune du 17 avril 1871 - Décret du 16 avril 1871 relatif aux ateliers abandonnés par leurs patrons (source : La presse communarde - archivesautonomies.org)
Journal Officiel de la Commune du 17 avril 1871 - Décret du 16 avril 1871 relatif aux ateliers abandonnés par leurs patrons (source : La presse communarde - archivesautonomies.org)

Le texte le plus important de lutte pour l’emploi est le décret du 16 avril 1871 relatif aux ateliers abandonnés par leurs patrons, ce qui provoque le chômage des ouvriers qui y travaillaient.

La Commission du Travail confie aux Chambres syndicales la tâche de dresser une statistique de ces ateliers, de présenter un rapport sur les conditions de leur prompte remise en exploitation par l’association coopérative des salariés, de prévoir les conditions de pérennisation de ces ateliers.

Le 25 avril, la Commune met à la disposition des délégations ouvrières un local au ministère des Travaux publics ; les délégués des mécaniciens, métallurgistes, tailleurs, ébénistes, cloutiers, boulonniers se mettent au travail. Le décret du 16 avril jette les bases d’une transformation sociale désignée de nos jours sous le terme d’autogestion.

La Commission du Travail ordonne, pour remplacer les bureaux de placements patronaux, l’ouverture, dans chaque mairie, d’un registre sur lequel les chômeurs inscrivent leurs offres de travail et d’un autre sur lequel les employeurs expriment leurs besoins en main d’oeuvre.

La Commune suspend la vente des objets déposés au Mont de piété et dégage gratuitement ceux d’une valeur inférieure à vingt francs. Sous le Second empire, l’arbitraire patronal s’exerçait sous la forme d’amendes et retenues sur les salaires qui constituaient d’intolérables abus d’autorité. La Commune met fin à ce scandale et le décret du 27 avril prévoit que les amendes infligées depuis le 18 mars devront être restituées.

Les salaires sont augmentés dans l’enseignement et les rémunérations des institutrices deviennent égales à celles des instituteurs.

Dans le but de favoriser la vie sociale des ouvriers, une première mesure de réduction de la journée du travail à 10 heures est prise aux ateliers de réparation d’armes du Louvre.

La Commune rétablit le moratoire sur les loyers et organise le paiement de la solde des gardes nationaux, abrogés par le gouvernement de Versailles. Elle crée des ateliers féminins autogérés, des écoles professionnelles pour garçons et filles. Elle interdit le travail de nuit dans les boulangeries.

Elle réquisitionne les logements vacants pour y loger les habitants victimes des bombardements versaillais, décide de verser des pensions aux épouses ou compagnes des fédérés tués au combat, qu’ils soient mariés ou non, et à leurs enfants.

Les acquis sociaux, comme toute l’oeuvre et les idéaux de la Commune, demeurent d’une grande actualité dans la mesure où la Révolution du printemps 1871 a su poser et résoudre, dans les termes de son époque, des problèmes qui nous interpellent encore aujourd’hui.

En 72 jours, en réalité moins de deux mois de travail effectif, si l’on retire les huit premiers jours consacrés aux élections et la Semaine sanglante, la Commune a réalisé une oeuvre sociale d’une ampleur exceptionnelle. Elle a créé un véritable Code du travail, anticipant les conquêtes sociales des siècles suivants.

La postérité sociale de la Commune

L’un des premiers actes du gouvernement versaillais, après l’écrasement de la Commune, est d’interdire toute adhésion à l’Internationale par loi du 14 mars 1872, ce qui constitue, à postériori, une reconnaissance du caractère social de la Commune.

Le prolétariat redresse rapidement la tête. Un premier congrès ouvrier se tient à Paris, en 1876. A partir de ce moment et jusqu’à nos jours, l’oeuvre de la Commune va servir de référence à tout le mouvement ouvrier.

La loi de 1884 sur les libertés syndicales va permettre au prolétariat d’arracher des avancées sociales importantes. Les anciens communards jouent un rôle important dans cette renaissance du mouvement ouvrier. L’exemple le plus significatif de la mémoire de la Commune dans le mouvement ouvrier est le défilé au Mur des Fédérés du 24 mai 1936.

Trois semaines après la victoire électorale du Front populaire et dans un moment où la classe ouvrière s’engageait dans un mouvement de grèves avec occupation d’usines, 600 000 travailleurs participaient à ce défilé. C’est le plus grand nombre de participants à la Montée au Mur. Cet événement allait être un puissant accélérateur des luttes qui devaient culminer début juin avec trois millions de grévistes et déboucher sur les importantes victoires sociales de 1936. Toujours inspirées par l’oeuvre sociale de la Commune, de riches avancées sont arrachées, notamment en 1945, sur la base du programme du Conseil national de la Résistance. Il en sera de même en 1968.

Il n’est pas exagéré de dire que la Commune de 1871 est le premier et le plus significatif exemple de démocratie sociale qui ait existé.

YVES LENOIR

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