"L’instruction est un problème majeur sans la solution duquel la République ne serait toujours qu’un vain mot." [1]
Le 29 mars 1871, le Comité central remet ses pouvoirs à la Commune. Des commissions sont aussitôt créées dont la Commission de l’Enseignement composée des docteurs Goupil et Robinet, des citoyens Vallès, Lefèvre, Urbain, Leroy, Verdure et Demay.
Deux d’entre eux, Urbain et Verdure, sont respectivement chef d’instruction pour le premier et instituteur pour le second. Jules Vallès pouvant être considéré comme un universitaire. Édouard Vaillant est nommé Délégué à la Commission. Il fait appel par une circulaire du 23 avril à « toutes les personnes qui ont étudié la question de l’enseignement intégral et professionnel ». Pour la Commune, le développement de l’instruction est une priorité absolue. L’enseignement se doit d’être « intégral, c’est-à-dire cultiver à la fois dans le même individu l’esprit qui conçoit et la main qui exécute. » Le mot d’ordre est largement diffusé : instruction gratuite, obligatoire et laïque. La Commission de l’Enseignement et son délégué, poussés par un fort mouvement d’opinion émanant surtout de la Société de l’Éducation nouvelle, décident le 19 mai de laïciser l’enseignement. Les municipalités mènent conjointement une campagne active en faveur de l’obligation scolaire. Celle du XXe arrondissement prévoyait même la prise en charge de la nourriture et de l’habillement des enfants.
À titre expérimental, 2 écoles professionnelles, l’une rue Lhomond, l’autre réservée aux jeunes filles, rue Dupuytren, furent créées afin que les élèves
« reçoivent l’instruction intégrale, véritable base de l’égalité nouvelle ».
Mais qu’en était-il vraiment de l’enseignement depuis le premier quart du XIXe siècle ? L’illusion entretenue dans les milieux urbains d’un enseignement réservé aux classes aisées masquait l’indigence, le misérabilisme pédagogique dans les milieux ruraux. Pour ce que d’aucuns ont appelé il y a un peu plus de 20 ans "La France profonde" et qui était hélas, bien avant l’heure "La France d’en bas", il en était tout autrement. La misère, la maladie et l’illettrisme étaient le lot quotidien de nos campagnes. Les conditions d’enseignement étaient pour le moins précaires.
La Commune de Montpothier [2] dans le canton de Villenauxe-la-Grande, département de l’Aube en est un exemple parmi tant d’autres.
Deux instituteurs successifs, Aristide-Honoré Garnier et Jules Aristide Coltat relatent dans une "Notice historique sur la situation de l’instruction primaire" à Montpothier, plus particulièrement de 1800 à 1871, toutes les "difficultés d’instruire" et les vicissitudes qu’un enseignant devait endurer à cette époque… Au travers des archives qu’ils ont exhumées et de leur propre vécu, l’on peut dire que l’enseignement était en ces temps là bien accessoire !
Garnier écrit :
« … jusqu’à l’époque de la loi de 1833 sur l’instruction primaire et même depuis, sur l’instruction des enfants ne paraissait pas une nécessité (…). Sauf quelques rares exceptions, les recteurs d’écoles ou les maîtres d’école n’avaient guère d’autres qualités que celles de savoir chanter plus ou moins fort et celle aussi d’inspirer une très grande frayeur à leurs élèves (…). Il est bien triste de voir encore aujourd’hui bien des individus ignorer les principes les plus élémentaires de l’instruction. »
Il ajoute :
« … le maître d’école, suivant la tradition, a toujours continué son enseignement ordinaire tout en y joignant les points ci-après imposés : c’est à dire le catéchisme sur les droits de l’homme. » (sic).
Sur les locaux mis à disposition pour la classe :
« … la commune ne possédait pas de maison d’école :
seulement il existait une salle d’école qui a été transformée en remise pour y recevoir la pompe à incendie… (…).
Le presbytère servait d’habitation pour le prêtre et l’instituteur… »
Quant aux ressources qui servaient à rémunérer l’instituteur :
« …il (l’instituteur) n’avait pas d’autre rémunération que le produit des souscriptions faites par les habitants et dont le chiffre était fixé au moment même de l’installation, qui, le plus souvent avait lieu à la porte de l’église… (…). En général, chaque ménage s’engageait à donner trente sous ou 15 pintes de vin. »
À dater de 1833, "un certain changement eut lieu". Le Conseil municipal et "une moyenne partie des habitants" font le choix d’un instituteur parmi 7 candidats "par un tour de scrutin". Son traitement annuel sera de 400 F. Il sera logé par la commune et "…il aura obligation de faire le catéchisme tous les dimanches une heure avant les vêpres." Garnier précise qu’au jour où il écrit ce mémoire, le 20 décembre 1860 "…l’instituteur a la charge de sonner la cloche trois fois par jour au moment des vendanges." [3], et qu’il ne reçoit aucun traitement "… comme clerc de paroisse." Toutefois, étant chargé de sonner l’Angélus tous les jours, "on lui alloue l’herbe du cimetière qui est estimée à six F" !
Concernant la fréquentation de l’école, Jules-Aristide Coltat note que "… de 1860 à 1863, le nombre des élèves se maintient à 80 environ." Il atteint 93 en 1867 ! De 1868 à 1871, la fréquentation des élèves baisse régulièrement. Deux causes essentielles à ce phénomène : la diminution des naissances et la mortalité infantile. De 1854 à 1865, sur 193 enfants nés à Montpothier, 82 sont morts avant l’âge de 2 ans :
« … alors, en moyenne, contre 12 naissances, il y a 7 décès d’enfants en dessous de 2 ans, et sur 14 à 15 décès, il y en a 7 de cette catégorie, effrayante proportion ! »
On enseigne "… depuis 1860 (…) quelques notions d’agriculture, d’arpentage et de cubage." Cours de chant à partir de 1864. Les jeunes filles en 1868 et 1869, "… furent exercées aux travaux à l’aiguille…" Depuis 1860, l’année scolaire dure 11 mois, mais "… pour le plus grand nombre, la moyenne est de 8 mois. (…) 5 mois pour une classe d’enfants qui est bien à plaindre, celle des porteurs dans les tuileries." [4] Les enfants descendant dans les mines d’extraction de l’argile :
« … bien souvent lorsqu’un jeune enfant commence à faire des progrès, il est arraché des bancs de l’école par la misère et la spéculation, et jeté sur l’aire des tuileries. (…), depuis 4 heures du matin et jusqu’à 7 heures du soir, ils ne cessent de courir nu-pieds une tuile à chaque main…
La fréquentation de l’école était en moyenne de 7 ans. L’environnement familial … ne secondait guère le maître. (…)
Le père se couche tard ou va au cabaret. (…) Les enfants vagabondent.
… lorsqu’on (les parents) a payé, on croit avoir tout fait, on ne se croit plus aucune responsabilité ; et il faudrait pour bien faire que l’instituteur eût continuellement les enfants sous sa direction. »
Cette réflexion quelque peu amère termine le mémoire de Jules-Aristide Coltat. On peut penser en la lisant, qu’aujourd’hui…, mais paraît-il, l’histoire ne se répète jamais !
Ces témoignages "sur le vif" sur l’enseignement jusqu’en 1871 mettent encore plus l’accent sur l’urgence des mesures à mettre en place. Garnier, quant à lui, terminait son mémoire sur la même amertume que Coltat :
« Il est certain que, sur la question des Droits de l’homme et du citoyen, l’instituteur de l’époque révolutionnaire n’a apporté aucun changement à son enseignement ; et à qui le prouve, c’est que les personnes encore existantes de cette période ignorent ce que cela veut dire. »
Pour l’ensemble des mesures mises en place par la Commune (certaines sont demeurées en état de projet), il n’est pas exagéré de dire qu’elle concevait la nécessité d’un enseignement populaire, adapté aux conditions réelles de l’époque. Elle en a posé les bases. La Troisième République a pu les mettre en application quelques années plus tard.
Jean-Marc Lefébure
Sources :
Journal officiel de la Commune de Paris.
La Commune de 1871. Bruhat, Dautry, Tersen.
Archives de la mairie de Montpothier.
Villenauxe-la-Grande au début du XXè siècle. Académie troyenne d’études cartophiles.
Notes
[1] L’ouvrier de l’avenir. 12 mars 1871.
[2] Le 14 octobre 1870, le ballon "Jean-Bart" dans lequel se trouvait Arthur Ranc, maire du IXe arrondissement, futur élu de la Commune de Paris, atterrit à Montpothier après avoir traversé les lignes ennemies. Il était envoyé par le général Trochu auprès de Gambetta à Tours où s’était installé le gouvernement de Défense nationale. Erreur d’orientation ou vent capricieux ?…
[3] Les premiers vignobles de Champagne couvrent les coteaux autour de Montpothier.
[4] Des mines d’extraction de l’argile dont certaines descendent jusqu’à 50 mètres sont exploitées à Montpothier et Villenauxe-la-Grande. Les mineurs étaient appelés les "gueules grises".