La capacité mobilisatrice de la Commune ou de sa mémoire lui permet parfois de s’imposer comme un agent de l'histoire en marche. En 1935, le premier cortège au Mur, consécutif à la ratification du pacte d'unité d'action entre les communistes et les socialistes, revêt un tour unitaire et vaut au terme de Front Populaire de l'emporter dans les comptes rendus du Populaire et du Temps qui leur préféraient jusqu'alors « front commun ».
Le cortège qui succède de peu aux élections législatives qui viennent de donner la victoire au Front Populaire réunit, l'année suivante, 500 000 participants dont des délégations de province, qui lui confèrent un pouvoir fédérateur. La présence de Léon Blum, déjà désigné président du Conseil, lui vaut en outre de s'imposer pour la première manifestation de souveraineté de Front Populaire victorieux ; au point de susciter la colère de l'extrême droite qui se demande si l’Internationale ne va pas devenir un « hymne de gouvernement ». Selon Pierre Monatte, elle constitue, enfin, un élément d'impulsion des grèves avec occupation d'usines qui s’étendent dès le lendemain dans la France entière. Mais c'est aussi bien l'apogée.
La tolérance accrue dont jouissent désormais les cortèges ouvriers sur la voie publique rend moins nécessaire de semblables « manifestations - abris ». Mais l'essentiel est ailleurs. Les événements des 6 et 9 février 1934 ont réactivé une réappropriation politique de la Commune, dépourvue de distance, de l'initiative du parti communiste et l’extrême droite qui mobilise, alors, la mémoire communaliste de Paris. Mais cette résurgence est passagère et exceptionnelle. La puissante manifestation antifasciste du 11 février ne fait aucune place à la mémoire de la Commune.
Le retournement stratégique qu’opère le parti communiste en mai 1934 amplifie le refoulement : l'heure est désormais à la défense de la démocratie menacée par le fascisme et a l'alliance avec les radicaux, requérant des mémoires plus consensuelles. Dès mai 1936, les radicaux s'opposent à la proposition communiste visant à confondre la commémoration de la Commune avec la fête de la victoire du Front Populaire (sans empêcher qu'elle s'impose de facto pour telle). La référence est d'autant mieux oblitérée qu'un nouveau système identitaire se construit alors.
La rue devient un des lieux de gestation du Front Populaire puis d'expression de sa victoire. Les manifestations puissantes qui s’y déploient se construisent et s’imposent pour une expression nouvelle du peuple en marche, puissant, victorieux, mythe propre à se substituer à l'image héroïque et romantique de la barricade. Les organisations ouvrières rendent les hommages convenus à la Commune, mais consacrent désormais plus de place à la Révolution française. A partir de 1935, le 14 juillet et le 1er mai mobilisent, à Paris, plus que le .Mur, en renvoyant, pour la première, à la victoire et, pour l'autre, à limage d'une génération de la classe ouvrière, un jour possible.
Le refoulement n’est pourtant pas total. La presse ouvrière persiste à mobiliser la mémoire de la Commune pour dénoncer l'adversaire (les hitlériens, les factieux, Franco, les bourreaux de Guernica) comparé aux fusilleurs d'hier et se valoriser, en regard, en instituant le Front Populaire un revanche de la Commune. Le déclin de la commémoration est, du reste, relatif.
Entre 1935 et 1937, le parti communiste construit une mémoire relais en inhumant, face au Mur, Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier, intellectuels pacifistes et antifascistes, tous les artisans du Front Populaire. Cette construction mémorielle permet de dépasser la contradiction possible entre deux modalités du peuple en marche. Elle institue le Front Populaire en prolongement et dépassement de la Commune, en inscrivant dans l’espace la continuité revendiquée des mémoires. Elle permet par là même à la mémoire de la Commune, retranscrite et réactivée, de se transmettre.
Danielle Tartakowsky