De même que le Paris de la Commune, sur un espace infime, présente des différences notoires entre quartiers, groupes sociaux ou élus, la province, comme exposé dans les articles de La Commune, n° 76 et 78, est marquée par des particularismes profonds, résultante de l’entièreté de son histoire. Aussi, notre regard sur trois espaces proches — Touraine, Nivernais et Berry — entend-il apporter des éléments explicatifs sur l’attitude durant la Commune au travers des formes de réaction tributaires des conditions historiques et locales.
Aux origines de la future attitude sous la Commune
Pour la Touraine, le poids des circonstances politiques est déterminant. Rien ne prédispose l’Indre-et-Loire, terre conservatrice, à devenir le centre du drame national en 1870. Sa population, un peu plus de 320 000 habitants, est décrite comme « paisible, nonchalante, peu portée aux extrêmes » et le territoire, composé de petites villes, est sans grande industrie. Cependant, à Tours, le chef-lieu, un courant libéral existe bien avant la Commune, alimenté en mars 1870 par le procès du prince Napoléon, l’assassin du journaliste Victor Noir, et confirmé par le résultat du plébiscite impérial qui voit les « oui » et les « non » à égalité dans la ville. Le choix de Tours, en raison de sa position ferroviaire et de sa proximité, pour accueillir le 13 septembre 1870 la délégation du gouvernement de Défense nationale, est la circonstance première décuplant les énergies locales et entretenant un climat exalté.
Dans le cas du Nivernais, le poids de son passé, la présence ouvrière et ses voies fluviales sont prépondérants. La résistance au coup d’État de 1851, qui voit républicains, ouvriers et paysans se lever ensemble, reste dans la mémoire. La Nièvre possède aussi de l’industrie métallurgique à Fourchambault, et minière à La Machine et, bien qu’en perte de vitesse, le commerce du flottage de bois par le canal latéral de la Loire et celui du Nivernais crée un lien étroit avec le Paris révolutionnaire.
Quant au Berry, l’effet de l’isolement rural de l’Indre, et celui de l’influence de la Nièvre pour le Cher, expliquent les différences. L’avancée surtout industrielle du Cher, bénéficiant des choix de désenclavement, favorise l’ouverture aux idées républicaines et sociales, perceptibles en 1849. L’Indre rurale, à la population très dispersée dans les campagnes, voit ses deux principales villes prendre une grande importance. Ces situations dissemblables déterminent des degrés de politisation distincts, dépendant étroitement du contexte local.
Le soutien à la Commune
Le rôle de la presse républicaine en Touraine
C’est un journal, Le Républicain d’Indre-et-Loire, créé en novembre 1870 par Armand Rivière, avocat libre-penseur, qui apporte ce soutien. Cessant sa diffusion durant l’occupation prussienne, il reparaît le 16 avril 1871, en se donnant trois missions : la recherche de la conciliation, l’amnistie des condamnés de la Commune, la dissolution de l’Assemblée nationale ou l’élection d’une Constituante. Aussitôt, le journal évoque la journée du 18 mars comme un « jour de joie et d’espérance », parlant d’« attaque perfide » des versaillais, expliquant sa reparution pour « tâcher d’arrêter l’effusion du sang français » et affirmant :
Nous prêcherons la conciliation sur la base de la reconnaissance formelle de la République et des droits de Paris.
Le 22 avril, la Commune est réclamée :
… Nous crierons nos revendications résumées dans ce mot : Commune ! Commune ! Parce que pour nous, il signifie Liberté et République.
Pour la feuille radicale, les élections du 30 avril, favorables à la République, traduisent un « vote intelligent et libre ». Le Républicain fait face à une presse conservatrice et à une entente tacite entre le nouveau préfet et le maire de Tours, sénateur inamovible. Il ne faut pas oublier aussi l’impact de la nouvelle loi sur la presse du 15 avril et de la circulaire du ministre de la Justice signifiant aux procureurs de l’appliquer par la condamnation de toute contestation de l’assemblée versaillaise, moyen de pression sur les imprimeurs. En réaction, un congrès de la presse républicaine des départements, peu cité, et auquel va participer le Républicain d’Indre-et-Loire, a lieu à Moulins le 18 mai : 50 journaux sont représentés, avec une adresse émise et destinée à Thiers, réaffirmant la nécessité des « franchises municipales qui doivent servir de base à notre constitution républicaine » : une attaque directe contre la loi municipale du 14 avril, privant Paris de ses libertés communales. Le rapport de l’enquête parlementaire sur l’insurrection de 1871 cible violemment les journaux « rouges » provinciaux, dont L’Émancipation de Toulouse, La Liberté de l’Hérault et aussi Le Républicain de Tours (de l’Indre et Loire), coupables, selon la propagande versaillaise, d’avoir appelé « à la haine, au meurtre et – cause fatale – encourageant la Commune ».
La résurgence des mouvements populaires dans le Nivernais.
Dès août 1870, une émeute républicaine a lieu dans la Puisaye « rouge », avec le natif et futur membre de la Commune, Charles-Ferdinand Gambon. Passé le 18 mars 1871, des manifestations répétées, où le drapeau rouge est souvent arboré, ont lieu en faveur de Paris : ainsi à Cosne-sur-Loire durant plusieurs jours, où 300 personnes sont rassemblées sur la grande place, avec le rôle des cheminots, aux forges de Fourchambault et de Guérigny, et à Saint-Amand-en-Puisaye à nouveau. Clamecy, contrairement à 1851, bouge peu, le métier de flotteur étant en déclin et le village du communard Jules Miot reste calme. Dans l’enquête parlementaire, le préfet de la Nièvre rapporte :
La succession de ces faits, tendant à faire de Cosne le centre d’un mouvement insurrectionnel, démontre jusqu’à l’évidence qu’il y avait réellement un complot.
Aux côtés du préfet et de certains maires, des troupes de ligne et la gendarmerie procèdent à des arrestations préventives. Par voie d’affiche le 7 avril, la commission exécutive de la Commune de Paris proclame :
Tout le Centre est levé… la Nièvre a ses hommes debout.
Entre l’autorité, qui surévalue le danger pour apeurer, et la Commune qui surestime une agitation non débutée, la réalité est palpable : une petite partie de la population, mais en plusieurs endroits, reprend le chemin de l’opposition passée autour du drapeau rouge.
L’influence des villes et l’effet des petits centres industriels en Berry.
En Indre, les deux villes majeures affichent une volonté d’indépendance lors de la quasi-exigence d’envoi d’une adresse à Versailles après le 18 mars : Issoudun, en ne la mettant pas à l’ordre du jour – « tout le monde est pour la République » écrit dans la presse l’adjoint Alexandre Lecherbonnier – et Châteauroux, en ne la votant pas, « le conseil municipal n’étant pas un corps politique ». La première, pleinement républicaine, manifeste un vrai soutien à Paris, celui du combat pour la République ; la seconde, plus attentiste, dans une neutralité marquée. Sous leur influence, les campagnes partagent cette quête de République au moment des élections d’avril. En Cher, le tissu industriel disséminé, avec les ouvriers des nouveaux métiers et la position ferroviaire, engendrent des agitations : à Vierzon et Nérondes, des attroupements ont lieu dans les gares pour empêcher le départ de troupes vers Paris ; plus au sud, à Saint Amand-Montrond, déjà insurgé en 1849, de violentes manifestations provoquent dix arrestations. La fermentation persiste au sein des élites municipales : le maire de Bourges, Devoucoux, avec des délégués de 16 autres départements, dont la Nièvre, est présent au congrès de Lyon le 14 mai, congrès de conciliation soutenant les droits de Paris.
Pour une histoire différenciée de la Province au temps de la Commune.
Devant cette pluralité de réactions, c’est la spécificité de l’espace provincial qui transparaît, nécessitant son indispensable prise en compte pour appréhender la réalité de son histoire : ainsi mieux connaître pour mieux comprendre et mieux juger.
JEAN ANNEQUIN
Sources principales :
Julien Papp, La République en Touraine et la Commune de Paris, 1870-1873, Éditions du Petit Pavé, 2015.
Histoire du Nivernais et de Nevers de l’Empire à la République, 1866-1879, Arch. Dép. de la Nièvre, 2008.
Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars 1871. Rapports, Librairie Germer-Baillière, 1872.
Armand Le Chevalier, Les Murailles politiques françaises depuis le 18 juillet 1870 jusqu’au 25 mai 1871, 1874.
Conférences itinérantes en Indre : Étude des espaces cantonaux sous la Commune, depuis 2016.
Communication, La Province et la Commune : l’exemple du Berry, 2019. https://1851.fr, site de l’Association 1851.
Pour la mémoire des Résistances républicaines.