La presse a été au cœur de l’expérience communarde. L’interdiction de 6 journaux d’extrême gauche (le Vengeur, le Cri du peuple, le Mot d'ordre, le Père Duchêne, la Caricature et la Bouche de Fer (, le 11 mars 1871, est une des raisons qui poussent au soulèvement. Elle a été décidée par le gouverneur militaire de la capitale, le général et sénateur de l’Empire Joseph Vinoy. Il prend par ailleurs prétexte de l’état de siège persistant (les troupes allemandes campent encore aux portes de Paris) pour décréter que « la publication de tous nouveaux journaux et écrits périodiques, traitant de matières politiques ou d’économie sociale, est interdite jusqu’à la levée de l’état de siège ». Désormais, tout acte venant de l’autorité gouvernementale ou militaire va être interprété comme un moment d’une immense bataille organisée contre le peuple de Paris. L’effet de cette décision, plus politique que militaire, se fait sentir une semaine plus tard.

Journaux de la Commune par Moloch (Musée Carnavalet - Histoire de Paris)
Journaux de la Commune par Moloch (Musée Carnavalet - Histoire de Paris)

Les 72 jours de la Commune, malgré la guerre civile (4/5 du temps de vie de la Commune), sont une période d’intense politisation populaire. Or, dans ce foisonnement de politisation spontanée, impromptue ou organisée, il y a le journal, le journal vendu à la criée, le « petit journal » à un sou (5 centimes) ou le « grand journal » (au moins deux sous). Il est acheté, lu et écouté collectivement au cabaret, dans les cours, sur les pas de porte. Les titres résonnent, jetés par les vendeurs à la criée, et les articles sont repris et commentés dans les clubs et les ateliers.

 

La presse, reflet de la polychromie communarde

Pendant la Commune, 71 titres de journaux apparaissent, soit un par jour en moyenne. En tout, une centaine de titres ont été diffusés, soit près de 1 500 numéros, certains à des milliers d’exemplaires. Certains journaux sont éphémères, réduits parfois à un numéro unique. D’autres subsistent sur la totalité ou la quasi-totalité de la séquence communarde. Comparés à la réalité sociale parisienne (1,8 million d’habitants, 440 000 ouvriers, 485 000 inscrits sur les listes électorales, 225000 votants, 162 000 votants pour les partisans de la Commune), les chiffres (incertains) de diffusion de la presse sont exceptionnels. Les trois titres les plus diffusés (le Cri du Peuple de Vallès, le Mot d'ordre de Rochefort, le Père Duchêne de Humbert, Vermersch et Vuillaume) tireraient à plus de 150 000 exemplaires à eux seuls).

La diversité de la presse communarde est à l’image de celle de la Commune tout entière. Toutes les sensibilités sont présentes, y compris celles qui combattent ouvertement la Commune. Il n’est pas si simple de définir l’orientation de chaque journal. Si l’engagement du principal responsable est à peu près connu, il n’en est pas toujours de même des rédacteurs, à un moment où la profession de journaliste reste incertaine et où la distribution partisane est plus qu’imparfaite. Ajoutons que les individus participent souvent à différents journaux, pas nécessairement en fonction d’une affiliation idéologique.

Toutes les sensibilités s’expriment, par les journalistes dont les signatures apparaissent souvent dans plusieurs journaux à la fois. Elles peuvent avoir leur journal attitré, parfois localisé à l’échelle de l’arrondissement ou du quartier.

  • Les blanquistes s’appuient sur L'Affranchi puis sur La Nouvelle République de Paschal Grousset, ou sur Le Vrai Père Duchêne de Gustave Maroteau.
  • Les jacobins ont Le Réveil de Delescluze, le Paris libre de Vésinier ou Le Vengeur de Pyat. Les proudhoniens peuvent compter sur La Commune de Millière et Duchêne et sur Le Cri du peuple, dynamisé par l’aura de Vallès mais dont la direction de fait est assumée par Pierre Denis.
  • L’Internationale publie La République des travailleurs et La Révolution politique et sociale, tandis que Vermorel et André Léo développent leur socialisme dans La Sociale.
  • À quoi il convient d’ajouter les plus difficilement classables et pourtant décisifs, comme la Montagne de Gustave Maroteau, un des plus brillants rédacteurs de son époque, ou comme la Caricature de Pilotell. On peut y ajouter le Rappel d’Auguste Vacquerie, proche et admirateur de Victor Hugo, qui saluait l’engagement des communards mais rêvait de conciliation comme le grand poète. C’est dans le Rappel que Hugo, déchiré par les horreurs de la Semaine sanglante, qui vit dans le souvenir de la Convention sans se reconnaître pour autant pleinement dans la Commune, écrit ce beau texte, intitulé « Paris et la France », où il déclare : « Devant l’histoire, la Révolution était un lever de lumière venu à son heure, la Convention est une forme de la nécessité, la Commune est l’autre... »

"Le Rappel" d’Auguste Vacquerie, proche et admirateur de Victor Hugo

 

Les journaux créés pendant la Commune

Mars :

  • la Commune (20), l’Ordre (20), le Châtiment (nouvelle série le 23), le Triomphe de la République de 23), Rigoletto (24), le Faubourg (26), le Mont-Aventin (26), la Sociale (31), la Commune dévoilée (sans date).

Avril :

  • La Flèche (1er), l’Affranchi (2), la Montagne (2), la Révolution politique et sociale(2), la Mère Duchêne marchande de berlingots (3), l’Action (4), le Trait-d’union (8), le Grelot (9), le Bonhomme Franklin de 10), le Bonnet rouge de 10), Paris- Libre (12), Caïn et Abel (15), la Ligue du Bien public (15), la Nation souveraine (15), le Réveil du Peuple (18), le Fils du Père Duchêne (20), le Livre rouge (22), l’Ami du Peuple (23), l’Estafette (23), le Courrier du soir (25), le Fédéré des Batignolles (25), l’Écho du soir (26), la Fronde illustrée (27), le Bon Sens (28), la Paix (28), le Père Duchêne enfin expliqué (28), la Némésis galante (29).
  • Sans date mais parus en avril: la Mère Duchêne marchande de poissons, le Père fouettard, les Crimes des Congrégations religieuses, la Régénération sociale, la Scie.

Mai :

  • l’Étoile (5), le Journal du soir (5), l’Union française (5), le Bulletin communal (6), le Corsaire (8), la Justice (10), le Prolétaire (10), le Spectateur de 10), l’Anonyme (11), la Discussion (12), l’Indépendance française (13), les Confessions d’un séminariste breton (14), le Régime constitutionnel do 14), le Bulletin du jour de 16), la Révolution politique et sociale (16), le Salut public (16), l’Écho de Paris (17), le Journal populaire (17), le Pirate (17), la Politique (17), la Rouge (17), le Tribun du Peuple (17), la Constitution politique et sociale (18), le Fédéraliste (21), la Guêpe (21).
  • Sans date, mais parus en mai: les Chefs révolutionnaires, le Drapeau rouge, la Fédération communale, Jacques Bonhomme, Mémoires du Père Duchêne, la Souveraineté du Peuple.

 

La presse surveillée ?

La commission de la Sûreté générale publia l’avis suivant dans le Journal Officiel du 9 avril :

« La déclaration préalable pour la publication des journaux et écrits périodiques, de même que le dépôt, sont toujours obligatoires et doivent se faire au bureau de la Presse, délégation de la Sûreté générale et de l’Intérieur, place Beauvau. »

La Commune attendit, en fait, jusqu’au 18 avril avant de s’avouer « que le principe de la liberté de la presse » ne peut aller jusqu’à comporter « l’existence à Paris de journaux qui sont favorables aux intérêts de l’armée ennemie ».

Les journaux supprimés le furent par arrêté de la Commune, et à des dates tardives : le 5 mai, pour le Petit Moniteur, le Petit National, le Bon Sens, la Petite Presse, le Petit Journal, la France, le Temps ; le 11 mai, pour le Moniteur Universel, l'Univers, le Spectateur, l'Étoile et l'Anonyme. Enfin, le Comité de Salut public supprima, le 18 mai : la Commune, l'Écho de Paris, l'indépendance Française, l'Avenir national, le Pirate, la Patrie, le Républicain, la Revue des Deux-Mondes et la Justice.

Les mesures d’interdiction ne firent pas l’unanimité parmi les communard-e-s. Dès le mois de mars, Jean-Baptiste Millière (fusillé par les Versaillais) proteste contre les mesures qui touchent le Figaro : « Il faut que la presse soit libre ; il y a plus : il faut que la liberté n’ait point de limite ». Auguste Vermorel, qui mourra après être tombé sur les barricades le 26 mai, en fait de même dans l'Ordre. Le 2 avril, Rochefort écrit dans le Mot d'ordre : « Aux suppressions de journaux républicains par le gouvernement de Versailles, la Commune qui est le gouvernement de Paris répond par des suppressions de journaux réactionnaires. Cet abattage peut durer longtemps, mais à coup sûr, il ne profitera à personne. »

Quant à Vallès, il écrira dans l'Insurgé : « Je suis d’avis que, même dans le brouhaha du canon et en pleine saison d’émeute, on devrait permettre aux mouches d’imprimerie de courir à leur guise sur le papier, et je voudrais que le Figaro, qui longtemps me laissa libre, le fût aussi ».

 

 

Sources (disponibles sur gallica.bnf.fr) :

Jules Lemonnyer, Les Journaux de Paris pendant la Commune. Revue bibliographique complète de la presse parisienne du 19 mars au 27 mai, Paris, J. Lemonnyer, 1871

Firmin Maillard, Histoire des journaux publiés à Paris pendant le siège et sous la Commune du 4 septembre 1870 au 28 mai 1871, Paris, E. Dentu, 1871

Journal des journaux de la Commune. Tableau résumé de la presse quotidienne du 19 mars au 24 mai 1871, Paris, Garnier frères, 1872

 

Et aussi :

Le blog de notre Amie Michèle Audin "macommunedeparis.com"

La partie Commune du site "archivesautonomies.org" pour différentes sources dont les journaux de la Commune en ligne

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