Le décret sur les pensions du 10 avril 1871
Ce 10 avril, c’est Arthur ARNOULD , membre de l’AIT (1) qui préside la séance de la Commune de l’après-midi.
Il soumet au vote des élus un décret concernant les pensions pour les famille (veuves, enfants, parents, frères et sœurs) de gardes nationaux morts au combat.
Les élus votent le texte à l’unanimité. Il est publié dans le JO du 11 avril.
Bien que ce ne soit pas son but, ce décret légitime de fait l’union libre (ou concubinage, c’est-à-dire l’union de fait, stable et continue entre 2 personnes). Il confère à la famille constituée hors mariage (concubins, enfants naturels) sa première reconnaissance légale.
En effet l’article 2 déclare que chacun des enfants, reconnus ou non, recevra, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, une pension annuelle de 365 francs, payable par douzièmes.
Tandis que l’article 1 tel qu’il apparaît au JO ne précise pas le « statut » légitime ou non de la femme du garde national tué pour la défense des droits du peuple. Cependant sur l’affiche éditée par la Commune et dans l’ouvrage d’Arthur Arnould (voir plus loin) il est indiqué « femme, mariée ou non »
Il faut noter qu’à cette époque les unions, dans les classes populaires, était libres pour au moins un tiers d’entre elles (entre 10 et 50 % selon des enquêtes plus ou moins fiables), et donc que les enfants nés hors mariage étaient monnaie courante (2).
En 1878, Arthur ARNOULD publie à Bruxelles son livre de souvenirs « Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris » (3).
Il montre toute la portée révolutionnaire de ce décret concernant la place des femmes dans la société et les relations hommes/femmes.
Ce décret, qui fut voté à l'unanimité, si je ne me trompe, est un de ceux qui méritent d'attirer l'attention, non parce qu'il accorde une pension à la veuve et aux enfants du combattant tué au service de la Commune, cela ne pouvait faire doute pour personne, mais parce qu'il admet au bénéfice de cette pension la femme légitime on non, l'enfant reconnu ou non.
Par ces 6 articles la Commune fit plus pour l'affranchis-sement de la femme, pour sa dignité, qu'aucun des moralistes et des législateurs du passé.
Ce fut peut-être une des plus grandes audaces de la Commune, car elle tranchait ainsi radicalement une question de morale, et jetait le jalon d’une modification profonde de la constitution actuelle de la famille.
Ce décret, en élevant la femme au rang de l’homme, en la mettant, aux yeux de la loi et des mœurs, sur un pied d’égalité civile absolue avec l’homme, se plaçait sur le terrain de la morale vraie, et portait un coup mortel à l’institution religioso-monarchique du mariage tel que nous le voyons fonctionner dans la société moderne.
C’était aussi un acte de justice, car il est temps d’en finir avec cet inique préjugé, cette barbarie de la loi, qui, dans ce qu’on appelle aujourd’hui le concubinage, par opposition au mariage légal, ne frappent que les faibles : la femme séduite, l’enfant innocent.
L’union de l’homme et de la femme doit être un acte essentiellement libre, accompli par deux personnalités responsables. Dans cette union, les droits comme les devoirs doivent être réciproques et égaux.
Quand un homme devient l’amant d’une femme et la rend mère, cette femme est sa femme, ses enfants sont les siens.
Puisque la société ne frappe point l’amant, pourquoi prétend-elle frapper la maîtresse, pourquoi frappe-t-elle les enfants qui, sans doute, n’ont point demandé à naître?
À ce décret, voté, je le répète, sans aucune opposition, et, je puis l'ajouter, avec joie par la Commune entière, on n'apporta qu'un correctif exigé par l'état actuel des mœurs. Il fut décidé qu'un jury, présidé dans chaque arrondissement par un membre de la Commune, ferait une enquête pour s'assurer que la femme illégitime n'était point une simple prostituée prise par occasion, mais vivait réellement et honnêtement avec l'homme qu'elle avait choisi.
Encore une fois, on n'avait jamais autant fait pour relever la femme, jamais on ne l'avait placée plus résolument aux côtés de l'homme.
Du reste, aucun gouvernement, aucune Révolution, n'ont tendu une main aussi loyalement fraternelle à la femme, que la Commune de Paris, que la Révolution sociale du 18 mars.
Les femmes l'ont compris, car jamais elles ne se sont mêlées avec plus d'énergie, en aussi grand nombre, à un mouvement politique, de même que jamais on n'a versé leur sang avec autant d'abondance, avec un acharnement plus lâche, avec une joie plus féroce.
Que les femmes ne l'oublient pas! Qu'elles se rappellent qu'elles n'arriveront à la place vraiment digne, équitable, honorable, qui leur appartient, que par la Révolution sociale, et que demander, comme le font quelques-unes, leur affranchissement en séparant leur cause de celle de tous les faibles, de tous les exploités, de tous les opprimés, c'est accomplir une désertion coupable, c'est tourner le dos au but poursuivi.
Le mépris de la femme, son asservissement aux caprices et aux plaisirs de l'homme, son maintien sous une tutelle avilissante, sont œuvre de jouisseurs, non de travailleurs.
La femme ne sera ce qu'elle doit être, n'aura les droits qu'elle doit avoir, sans sortir de sa nature et de son rôle, que le jour où la société réformée ne laissera plus subsister aucun abus de la force, proclamera l'équivalence des devoirs et des fonctions.
Comment celui qui exploite l'homme, qui le ravale à l'état de machine, de serf du salaire, aurait-il le respect de la femme ?
Comment celui qui ne voit, dans la majorité de ses semblables, que les instruments sacrifiés de sa fortune, verrait-il dans la femme autre chose qu'un instrument de plaisir, qu'on encense et qu'on foule aux pieds ?
Je puis le dire par expérience personnelle, pour l'avoir constaté maintes fois pendant la Commune, si la part a été faite large, complète, aux femmes, si elles ont été accueillies comme des sœurs, c'est grâce aux travailleurs, à tous les socialistes (4). Si, parfois, j'ai trouvé, à cet égard, de la mauvaise grâce, des préjugés, des moqueries, ç'a été presque toujours parmi ceux qui appartenaient aux classes plus élevées, aux classes oisives, et qui n'avaient pas encore su se dégager de toutes les impressions, de toutes les habitudes, de tous les préjugés d'un certain milieu.
D’autres auteurs – comme Arthème Fayard - ne voient dans ce décret qu’ « habileté » de la part du gouvernement de la Commune pour s’attirer les faveurs des « imbéciles » (5) :
Plusieurs fois la Commune s'est préoccupée du sort des veuves et des orphelins que laissaient les fédérés morts à son service et du sort des blessés.
Le 9 avril elle déclara que tout citoyen blessé à l'ennemi recevrait une pension annuelle ou viagère dont le chiffre serait fixé dans les limites de 300 à 1 200 francs.
Le 10, elle accorda par décret une pension de 600 francs aux veuves des gardes nationaux tués à l'ennemi. Ce décret est digne d'être cité : …..
Faut-il indiquer ici l'habileté de ces décrets ? Il est évident que la Commune ne pouvait servir de si nombreuses et si riches pensions, si elle les votait, sans rire, c'est qu'elle savait que de nombreux imbéciles se diraient après sa chute : Ah ! si la Commune était rétablie nous aurions tant de rentes !
Tous ces rentiers de la Commune sont autant de dévoués partisans.
Notes et Sources
(1) Deux fiches d’Arhur Arnould dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article153784 et https://maitron.fr/spip.php?article179886
(2) A ce sujet lire « Mariage, concubinage et relations entre les sexes. Paris, 1880-1890 » de Françoise Battagliola sur https://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1995_num_18_1_1277
(3) « Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris » d’Arthur Arnould, pages 124 à 127 Tome 2 (livre en trois tomes consultables sur Gallica/BnF). https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k223491/f1.item
(4) Sauf quelques Proudhoniens.
(5) « Histoire de la Commune de 1871 » d’Arhème Fayard, pages 163-164 (consultable sur Gallica /BnF également). https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61324201/f3.item.texteImage
La Charité-sur-Loire
La Charité-sur-Loire fait partie du département de la Nièvre. Sur Loire : fleuve qui est souvent qualifié de royal dans l'Histoire de France. Mais il s'agit surtout de la Loire comprise entre Orléans et son estuaire, avec tous les nombreux châteaux. Mais, on n'emploie pas ce qualificatif pour ses affluents, songeons à l'Allier, le Cher ou la Nièvre. L'axe ligérien était emprunté d'importance, et les informations venant de Paris empruntaient ce chemin. A la Charité, les informations étaient transmises à Bourges, par l'ancienne voie royale de Louis XV, devenue route nationale 151 reliant Auxerre à Poitiers, par La Charité et le Berry.
Pour les élections du 8 février 1871, la Nièvre avait 7 élus et étaient divisés en 3 circonscriptions électorales
1ère : les cantons de Nevers, St Benin d'Azy, St- Saulge, St-Pierre le Moûtier, Dornes, Decize, Fours, Luzy et Moulins-Engilbert.
2e : les cantons de Pougues, La Charité, Pouilly, Cosne, Donzy, St-Amand, Varzy et Prémery.
3e : les cantons de Brinon, Clamecy, Corbigny, Lormes, Tannay, Château-Chinon, Châtillon et Montsauche
Nombre d'électeurs inscrits : 97 485, votants : 64 512
Liste conservatrice :
Charles Martin(de Chanteloup), conseiller à la Cour d'Appel de Bourges, conseiller général de Brinon, 41 087 voix.(élu)
Lebas, avocat à Nevers.(élu)
Pauldre, notaire à Nevers.(élu)
Comte de Bouillé.(élu)
Comte Benoist d'Azy, ancien-vice président le la Chambre en 1851(élu, à la fois dans la Nièvre et dans le Gard). Il était doyen d'âge de l'Assemblée Nationale (né en 1796) et vice-président. Il fit partie des 15 députés chargés d'accompagner Thiers et Jules Favre pour discuter des préliminaires de paix avec les Prussiens. En 1875, il votera contre l'amendement Wallon.
Gillois Emile, agent de change à Paris(non élu)
Candidats solitaires :
Cyprien Girerd, fils de Frédéric Girerd, préfet de la Nièvre après le 4 septembre 1870, (élu).
Général Ducrot: Né à Nevers, prisonnier à Sedan. Il fut sous les ordres de Trochu à Paris.(élu). Il démissionna de son mandat à la suite de sa nomination de commandant de corps d'armée à Bourges.
Liste bonapartiste :
Lepelletier d'Aunay, 7 004 voix, non élu
Général d'Espeuilles, 6 141 voix, non élu
Liste républicaine radicale :
Cette liste n'eut pas d'élus
Dr Turigny, 25 501 voix
Ferdinand Gambon, ancien député de 1848,ancien déporté, 26 485 voix
Coquard, 25 177 voix
Malardier, ancien député de 1849, 18 858 voix
J. B. Alfred Massé, ancien déporté,notaire à la Charité,18 858 voix
Gudin du Pavillon, avoué à Chateau Chinon, 17 931 voix
Gravier, avoué à Nevers 16 022 voix
Les idées républicaines furent entretenues dans cette circonscription de la Nièvre,depuis 1848, en liaison d'ailleurs avec les républicains du Val d'Aubois ou de la Vauvise, dans le Cher, sur la rive gauche de la Loire, avec les « Marianneux » qui organisaient des rencontres et des banquets républicains. Lors des banquets, de nombreux toasts étaient portés aux idéaux de la Rébublique, symbolisée par la figure de Marianne.
Charles-Ferdinand Gambon était une figure rassembleuse dans la Nièvre, surtout autour de Cosne-sur-Loire, avec son frère. En 1872, il se présentera ainsi : ancien magistrat - ancien représentant du peuple à la constituante et à la législative en 48 et 49, ex-représentant du peuple de Paris - membre de la Commune et du Comité de Salut Public ; déporté en 49 par la république de Bonaparte; fusillé (sic) en 71 par la république de Thiers, et condamné aux galères et à la dégradation civique par le 6e conseil de guerre de Versailles (20 ans de galères pour la démolition de la maison Thiers - attaque à la propriété)
Sa devise :
dis ce que pense - fais ce que dis - advienne que pourra.
Les sympathisants et émissaires de la Commune, en mai, se réunissaient « au café de la paume » rue de Nemours, à Nevers, abri de la loge maçonnique « les amis du travail ».
Le 10 avril, La Charité, selon le rapport de l'Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars :
À la Charité-sur- Loire, à Pouilly, des désordres ont éclaté dans les 1ers jours d'avril. Le drapeau rouge avaient été promené par les rues, avec le concours de gardes nationaux en arme poussant les cris " Vive la Commune , Vive Paris "
Plus loin, nous trouvons
un certain nombre de gardes nationaux armés et précédés d'un tambour(...). Le lendemain, les magistrats de Cosne s'étaient transportés pour rechercher les coupables, furent menacés, obligés de se retirer et les détenus arrachés des mains de la gendarmerie.
Le Maitron nous livre quelques noms de ses communeux charitois : Dalbret, Defleurs, P.E. Fressard, H. Lebrave, Ph. Maillot, P.Picard, Ricard F.
Simon Aucouturier, acheta de l'étoffe rouge avec laquelle il fit confectionner un drapeau qu'il apporta à la Garde nationale qui s'apprêtait à défiler.
Louis Normand, tonnelier, sergent de la Garde nationale, accompagna le drapeau rouge lors de la manifestation. Le 11, il aidera à délivrer les manifestants arrêtés.
Hippolyte Favard(ou Favrard), tonnelier, opposant à l'Empire, promena le drapeau rouge, l'arbora à la mairie, puis l'emporta et le conserva chez lui.
Simon Maitron, charitois, républicain libre penseur, qui était cordonnier à Paris, revint travailler chez son père, cordonnier lui aussi à La Charité. Il fut rappelé à l'armée. Il s'exila en Suisse. Le 10 avril, il était à Genève avec cette pensée « ne pas servir, même de nom, le gouvernement de Versailles. »
Rappelons que la Commune suivait les évènements de province. Une des proclamations de la Garde nationale du 7 avril 1871 notait
Tout le Centre s'est levé pour suivre le mouvement. La Nièvre a ses hommes debout. Vierzon, commune aussi, tient la tête du chemin de fer pour empêcher les gendarmes de Versailles d'avancer contre Toulouse et pour aider les gardes nationaux de Limoges marchant vers Paris ...
De nombreux sympathisants dela Commune de Paris regrettent qu'il n'y ait pas de traces mémorielles de ces sympathies communeuses à la Charité.