La presse muselée ?
Les responsables de la Commune affirment dès le 20 mars le principe de liberté absolue de la presse. Mais le mouvement communaliste se heurte très vite à l’opposition radicale d’une partie de la presse.
Des journaux contre la Commune
Déclaration de la presse aux électeurs de Paris
« Attendu que la convocation des électeurs est un acte de la souveraineté nationale ; Que l’exercice de cette souveraineté n’appartient qu'aux pouvoirs émanés du suffrage universel ; Que par suite, le Comité qui s'est installé à l'Hôtel de Ville n’a ni droit ni qualité pour faire cette convocation ;
Les représentants des journaux soussignés considèrent la convocation affichée pour le 22 mars comme nulle et non avenue, et engagent les électeurs à n’en pas tenir compte.
Étaient présents et ont adhéré :
- Les journaux du matin : Journal des Débats, Constitutionnel, Électeur Libre, Petite Presse, Vérité, Figaro, Gaulois, Paris-Journal, Petit National, Rappel.
- Journaux du soir : Presse, France, Liberté, Pays, National, Univers, Cloche, Patrie, Français, Bien public, Union, Opinion nationale, Journal des Villes et des Campagnes, Journal de Paris, Moniteur universel, France Nouvelle, Gazette de France. »
Les effets des interdictions ont été limités : des journaux interdits peuvent reparaître, sous un autre titre. C’est ainsi que le Bien public, dirigé par un ami de Thiers, Henri Vrignault, interdit le 21 avril, reparaît une semaine plus tard sous le nom de la Paix et une troisième fois le 11 mai, sous celui de l'Anonyme. En dehors de Gustave Chaudey (exécuté comme otage et non comme journaliste), il n’y eut pas mort d’homme (contrairement à la répression anticommunarde).
La question rebondit après le 2 avril, quand les autorités de Versailles lancent l’offensive militaire contre la Commune. Le 3 avril, Lissagaray demande la suppression des journaux hostiles, au nom des impératifs de défense militaire.
« Nous demandons la suspension de tous les journaux hostiles à la Commune. Paris est en état de siège. Les Prussiens de Paris ne doivent pas avoir de centre de ralliement, et ceux de Versailles des informations sur nos mouvements militaires ».
Dès le 4 avril, et plus encore après le 18, les interdictions se multiplient, même contre des journaux favorables à la Commune. Ces interdictions n’ont pas fait l’unanimité au sein de la Commune. De nombreux journalistes communards protestent contre elles (voir ci-après).
Au total, la répression contre la presse pendant la Commune fut moins féroce que celle qui accompagna les débuts de la Troisième République. Entre 1873 et 1875 (« Ordre moral »), 28 journaux républicains sont supprimés, 20 suspendus et 173 interdictions de vente sur la voie publique sont prononcées ; pendant la crise de mai 1877, 2 000 procès de presse sont intentés en quelques semaines, contre 302 journalistes, qui furent condamnés à 46 ans de prison et à un million d’amendes.
La presse surveillée
La commission de la Sûreté générale publia l’avis suivant dans le Journal Officiel du 9 avril :
La déclaration préalable pour la publication des journaux et écrits périodiques, de même que le dépôt, sont toujours obligatoires et doivent se faire au bureau de la Presse, délégation de la Sûreté générale et de l’Intérieur, place Beauvau.
La Commune attendit, en fait, jusqu’au 18 avril avant de s’avouer « que le principe de la liberté de la presse » ne peut aller jusqu’à supporter « l’existence à Paris de journaux qui sont favorables aux intérêts de l’armée ennemie ».
Les journaux supprimés le furent par arrêté de la Commune, et à des dates tardives : le 5 mai, pour le Petit Moniteur, le Petit National, le Bon Sens, la Petite Presse, le Petit Journal, la France, le Temps ; le 11 mai, pour le Moniteur Universel, l'Univers, le Spectateur, l'Étoile et l'Anonyme. Enfin, le Comité de Salut public supprima, le 18 mai : la Commune, l'Écho de Paris, l'Indépendance Française, l'Avenir national, le Pirate, la Patrie, le Républicain, la Revue des Deux-Mondes et la Justice.
Des communards contre les interdictions de journaux
Dès le mois de mars, Jean-Baptiste Millière (fusillé par les Versaillais) proteste contre les mesures qui touchent le Figaro :
Il faut que la presse soit libre ; il y a plus : il faut que la liberté n’ait point de limite.
Auguste Vermorel, qui mourra après être tombé sur les barricades le 26 mai, en fait de même dans l'Ordre.
Le 2 avril, Rochefort écrit dans le Mot d'ordre :
Aux suppressions de journaux républicains par le gouvernement de Versailles, la Commune qui est le gouvernement de Paris répond par des suppressions de journaux réactionnaires. Cet abattage peut durer longtemps, mais à coup sûr, il ne profitera à personne.
Quant à Vallès, il écrira dans l'Insurgé :
Je suis d’avis que, même dans le brouhaha du canon et en pleine saison d’émeute, on devrait permettre aux mouches d’imprimerie de courir à leur guise sur le papier, et je voudrais que le Figaro, qui longtemps me laissa libre, le fût aussi.
Le prix de la liberté
La Commune, contrairement à ses principes, procéda à des suspensions de la liberté de presse qui choquèrent de nombreux communards. Il n’en fut pas de même, de l’autre côté, quand la répression s’abattit sur les acteurs de la presse communarde. Bien des journaux, comme le Figaro, participèrent même à la curée. Et pourtant, elle fut autrement brutale. Deux extraits de journaux en témoignent, dans des camps opposés.
La Lanterne, 22 avril 1876
De retour de Nouméa, Henri Rochefort relance la Lanterne. Dans son premier numéro, il évoque les temps de la Commune :
En présentant cette nouvelle Lanterne au public, nous ne voudrions ni désillusionner ceux qui nous suivent, ni décourager ceux qui rêvent de nous imiter. Il m'est cependant impossible de ne pas me demander ce que sont devenus, après tant d'orages, ceux de mes collaborateurs qui s'étaient lancés, à mes côtés, dans cette carrière du journalisme, où l'on sable à si peu de frais le falerne dans des coupes d'or. Voici la liste — incomplète — des rédacteurs de la Marseillaise (la vraie, celle de 1869) dont je faisais partie, les titres et dignités auxquels ils sont parvenus à force d'intrigues.
Victor Noir, tué à coups de revolver ; Millière, tué à coups de fusil ; Flourens, tué à coups de sabre ; Corcelles, mort à bord de la Guerrière ; Verdure, mort à la presqu'île Ducos ; Ranc, condamné à mort ; Jules Vallès, condamné à mort ; Humbert, travaux forcés à perpétuité ; Henri Rochefort, déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée ; Olivier Pain, même maison ; Arthur Arnould, déportation même maison ; Paschal Grousset, déportation même maison ; Assi, déportation même maison ; Malon, déportation même maison ; Lissagaray, déportation même maison. Telles sont les récompenses décernées par la République à ceux qui ont le plus énergiquement travaillé à son avènement, à travers les casse-têtes de l'Empire. Nous avons tiré les marrons du feu ; malheureusement les marrons se sont changés pour nous en balles de chassepot, et le feu est devenu un feu de peloton.
Le Figaro, 20 août 1871
Nous avons parcouru attentivement la collection de l’ex-Marseillaise.
L’appoint que la rédaction de cette feuille a fourni à l’insurrection est dans des proportions énormes.
À notre connaissance et sauf erreur, ont été tués, emprisonnés, ou sont en fuite, les rédacteurs dont les noms suivent : Henri Rochefort, Paschal Grousset, Millière, Raoul Rigault, Edmond Bazire, S. Dereure, Arthur Arnould, Barberet, Germain Casse, Gustave Flourens, A. Verdure, Francis Enne, Gustave Marotteau [sic], Gustave Puissant, Alphonse Humbert, Collot, C. Boudet, E. Mourot, Ulysse Parent, Arthur Ranc, Jacques Maillet, Achille Dubuc, Antoine Arnauld [sic] (1), E. Lavigne, Jules Vallès, -, E. Vermersch, Charles Dubourg, Salvador Daniel, Général J. [sic] Cluseret, Boursin.
Ne sont pas compromis : Charles Habeneck, Ulric de Fonvielle, Arthur de Fonvielle, Jules Civry, Edouard Clerc, Emile Clerc, L. Marot, Antonin Dubost, J. Labbé, Malon, Louis Noir, L. Money et les pseudonymes : Gay Badin, L’Ingénu, Barbichon.
(1) Il s’agit en fait d’Arthur Arnould, membre actif de la Première Internationale
Ouverture de l’école de la rue Dupuytren
Le 2 avril, la Commune avait voté le décret de séparation de l’Église de l’État, qui incluait dans sa déclaration le principe d'une école laïque et gratuite.
Aujourd’hui, 12 mai 1871 le décret est mis en application. L’école de dessin de la rue Dupuytren est réouverte, transformée en école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles. Les cours sont gratuits.
Lucienne Prins, communarde, adhérente de l’AIT, amie proche d’André Léo, participe à cette ouverture. (Source Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucienne_Prins )
« Le drapeau à gauche, au no 7, signale l’entrée de l’École impériale gratuite de dessin pour jeunes filles, école fondée en 1803 par Marie Frère de Montizon, que Rosa Bonheur dirigea 1849 à 1860 »
Les cadavres de l’église Saint-Laurent
Le 26 avril, le Cri du peuple révèle la découverte d’ossements dans la crypte de Saint-Laurent, une église du Xe arrondissement. En soi, ce n’est pas très étonnant, l’église est construite à l’emplacement d’un ancien cimetière, et depuis 20 ans, les travaux qui se sont succédé dans l’édifice et à proximité – transformation de la façade, percements des boulevards de Strasbourg et de Magenta (1) – ont pu amener à la découverte et au déplacement de cadavres. Par ailleurs, il était un temps où l’on enterrait encore dans les églises. Des transferts d’ossements aux catacombes sont régulièrement effectués, dont on peut voir, aujourd’hui encore, les cartels indiquer la provenance de Saint-Laurent et les dates : 1804, 1848 et... 1871 (2). Sans doute ce dernier dépôt contient-il d’ailleurs les ossements dont il est question dans cette affaire.
Deux particularités de cette découverte vont cependant nourrir ce que l’on appellerait aujourd’hui un emballement médiatique. En plus d’une grande quantité d’ossements, dans une cavité à part sont regroupés et disposés dix-huit squelettes entiers de femmes (pourquoi uniquement des femmes ?) dont l’un d’entre eux semble plus récent. « [Il] avait encore une chevelure abondante d’un blond cendré » raconte le capitaine d’état-major Gustave Tribalet, qui s’est improvisé, non sans talent, reporter pour le Cri (d’effroi) du Peuple. Reporter et même éditorialiste : « Il faut bien que les aveugles ouvrent enfin les yeux, que la lumière jaillisse sur les ténèbres que font autour d’eux les hommes noirs [les curés], et que les consciences égarées par le fanatisme reculent d’effroi devant ces crimes inouïs. » (3)
La thèse développée par le Cri du peuple, reprise par le Journal officiel est limpide : la crypte est une scène de crime et l’ogre est le curé de Saint-Laurent, qui a agi seul ou avec des complices « pour faciliter les orgies de la gent cléricale », dira Leroudier, secrétaire général de la mairie du Xe, dans un rapport au Journal officiel.
Cette charge anticléricale s’explique aussi par le contexte de cet arrondissement ouvrier. La paroisse de Saint-Laurent est une des plus importante de Paris et son curé depuis dix-sept ans, Albert Duquesnay, est un prédicateur populaire auprès des habitants et fut influent dans le milieu bourgeois des hommes et dames de charité du Second empire.
Depuis les années 60, des rumeurs de messes noires courent et la disparition d’une jeune bouchère lui est attribuée, ce que n’oubliera pas de rappeler le Journal officiel du 16 mai.
De fait, après le 18 mars, l’ecclésiastique s’est enfui à Douai (4).
Le 10 mai, Vallès fait paraître dans le Cri du peuple un long article (5) non signé qui estime les squelettes vieux de « quinze ans au plus », ce qui colle parfaitement aux rumeurs. « C’est l’opinion de médecins [non cités] de toutes nations, Français, Anglais, Américains, qui ont contemplé le spectacle terrible. » Le texte est écrit dans le style d’un roman de gare, ou plutôt des feuilletons noirs en vogue à la fin du XIXe siècle. Sous « l’autel de la Vierge », où il « doit être doux de venir s’agenouiller », se trouve la crypte d’où « une odeur fade, indéfinissable monte par bouffées. D’épaisses ténèbres, des murs étroits semblent vouloir se rapprocher pour se refermer autour de vous ». Là se trouvent les squelettes et le rédacteur anonyme, laissons le bénéfice du doute à Vallès, poursuit en détails macabres. Les corps ont « les jambes écartées, genoux serrés l’un contre l’autre (sic) comme dans un mouvement convulsif, les mains rapprochées sur le ventre comme si elles avaient été liées. » C’est beaucoup d’imagination déployée pour décrire des dépouilles en position tout à fait conventionnelle. « Un des assistants, un ouvrier qui travaille ici depuis plusieurs jours » s’occupe des visites guidées (6) et délivre son expertise : « ces femmes, dit-il, ont dû être endormies, par le chloroforme peut-être, puis violées. On leur aura lié les mains et les jambes, et on les aura apportées ici pendant leur sommeil. Les vêtements ont dû être brûlés dans quelque coin. »
Seul élément sérieux qui tend à montrer que l’un des corps est plus récent, « la présence, sur l’un des squelettes [est-ce la femme blonde ?], d’un de ces petits vers blancs qu’on ne trouve que sur les chairs en décomposition. »
La conclusion de l’article dévoile son intention s’il en était besoin : la morale est du côté des révolutionnaires, non du clergé, et il faut en convaincre « la mère de famille » :
Mère de famille crédule, vous qui confiez aux prêtres l’honneur et la vie de vos enfants ; vous pour qui toute attaque contre le clergé est calomnie ou blasphème, venez voir ce que renferme dans ces hideux caveaux la vieille église de l’enclos Saint-Laurent. Vous vous plaignez que les paroles et les actes de vos saints soient méconnus par les révolutionnaires ou travestis par eux.
Ici, rien de pareil n’est possible.
Le prêtre a travaillé seul,
À son aise,
Dans les ténèbres...
Je soupçonne aussi Vallès d’une intention plus prosaïque, celle de profiter de ce fait divers pour quelques retombées dans les caisses du Cri du peuple. Il proposa un tiré à part de l’article (7), illustré par un dessin d’après nature de Lançon, vendu au prix de 10 cts et dont il fait la publicité dans le journal, du 13 au 17 mai.
Le Journal officiel de la Commune produit également deux articles dans le même ton, les 16 (8) et 21 mai. Le second, de Leroudier, toujours à la manœuvre dans cette affaire, tente d’apporter une dimension historique à l’affaire (9).
Ce que ne mentionnent ni le Cri du peuple ni le Journal officiel, c’est qu’une enquête officielle a été menée. Dès le 28 avril, quatre jours après la révélation du Cri du peuple, Leroudier cherche un médecin pour expertiser les squelettes. Dans un premier temps, on tente avec le docteur Gachet, l’ami des artistes qui deviendra célèbre grâce au portrait par son patient Vincent Van Gogh. Gachet est du quartier. Son cabinet se situe rue du Faubourg-Saint-Denis, toute proche, et il est major aux ambulances du IXe bataillon de la Garde nationale, dans la même rue.
Gachet ne répond pas, malgré deux rappels sur un ton plus autoritaire par le juge d’instruction Moiré et le commissaire de police du Xe, nommé Blond, les 30 avril et 6 mai (10). Alors que la bataille fait rage en banlieue et que les blessés affluent, le médecin estime sans doute et à juste titre qu’il a mieux à faire.
Alors le 8 mai, Blond, toujours sur ordonnance de Moiré, s’adresse à un professeur renommé, à la retraite, Adolphe Piorry (11). Sans réponse, un rappel lui est envoyé le 13 mai (12).
Entre-temps, le 12 mai, Piorry est opportunément nommé, à son insu, médecin-major du 24e bataillon.
Piorry refuse sa nomination, comme il avait refusé, quelques semaines plus tôt, le décanat de la Faculté de Médecine (13), mais accepte d’examiner les squelettes.
Ainsi, le 13 mai, un rapport officiel est enfin produit (14). La conclusion de Piorry contredit les « médecins de toutes les nations » évoqués par le Cri du peuple :
toutes les parties molles étaient détruites, et la décomposition était si complète et avait si bien formé un terreau qu’on ne sentait aucune odeur méphitique. [...] Il ne peut s’agir ici d’un événement ou d’un crime récent, mais bien de l’ensevelissement de gens qui ont voulu être enterrés dans l’église Saint-Laurent...
Il existe un autre rapport, non officiel mais bien plus complet que celui de Piorry, que l’on trouve dans la Gazette médicale de Paris (15). L’auteur en est le docteur Prat, sans doute le médecin major du 227e bataillon de la Garde nationale, nommé le 7 mai. Il conclut de la même façon que Piorry, mais donne des éléments beaucoup plus précis qui auraient permis une contre-expertise. S’il ne faut en lire qu’un, c’est celui-ci, qui donne aussi une description enrichissante des lieux et de l’ambiance de la visite.
Aucune mention ne sera faite de ces deux rapports, ni dans le Cri du peuple, ni dans le Journal officiel...
Cent-cinquante ans après les faits, à la lecture de toute cette affaire, il demeure cependant un sentiment d’enquête inachevée et un doute sur la datation de l’un des cadavres. On aurait bien aimé que ceux qui avaient découvert le fameux « petit ver blanc » – plus précisément un coléoptère clavicorne nécrophage, d’après le rapport Prat – collaborent avec lui et Piorry. On regrette aussi de ne pas retrouver la photographie d’Etienne Carjat dont les articles font mention.
Alors laissons conclure Louise Michel, qui évoque, sans grande conviction, l’affaire dans son ouvrage La Commune, paru en 1898 :
l’enquête, commencée avec un grand désir de connaître la vérité, n’était pas achevée quand Versailles fit oublier les squelettes anciens par des cadavres nouvellement couchés sous la chaux vive.
Le dernier article du Journal officiel sur les cadavres de Saint-Laurent paraissait le 21 mai, premier jour de l’attaque de Paris par les versaillais.
Notes et documents :
(1) Source : blog « Autour du père Tanguy » http://autourduperetanguy.blogspirit.com/archive/2008/11/19/le-percement-du-boulevard-magenta-en-1865.html
(2) Dans https://www.tombes-sepultures.com/crbst_2033.html
(3) Dans le Cri du peuple du 26 avril 1871
(4) Source : persee.fr https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1963_num_45_178_2471
(5) Dans le Cri du peuple du 10 mai, l’article (non signé) qui fera ensuite l’objet d’un fascicule vendu 10 centimes.
(6) Au sujet des visites des squelettes de Saint-Laurent, l’anti-communard Paul Fontoulieu prétend, avec quelques arguments, dans « les églises de Paris sous la Commune » (Dentu, 1873) qu’elles étaient payantes, au prix de 50 cts, et qu’un certain Rousselet faisait jusqu’à 200 frs de recette par jour, soit 400 visiteurs. Un registre tenu à l’entrée contenait 3000 noms, ajoute-t-il. (Source : https://books.google.fr/books?id=HsknAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=saint-laurent&f=false )
(7) Le tiré à part de l’article du Cri du peuple, illustré par dessin d’après nature de Lançon :
(8) Dans le Journal officiel du 16 mai 71 :
Nous avons pu pénétrer hier dans le curieux ossuaire qui vient d’être découvert dans les substructions de l’église Saint-Laurent Cette trouvaille, rapprochée des bruits sinistres qui coururent il y a quelques années, et surtout les circonstances irrégulières dans lesquelles elle s’est produite, ont donné lieu à une enquête qui éclaircira sans doute ce mystérieux événement.
La crypte où se trouvent les squelettes est située derrière le chœur, au-dessous de la chapelle de la Vierge, qui occupe le petit bâtiment circulaire faisait le coin du Faubourg-Saint-Martin et de la rue Sibour. On enjambe des décombres, puis on descend un petit escalier de pierres, rapide et sombre ; on pose le pied sur une terre molle ou grasse : c’est l’entrée du caveau.
Tout d’abord, une odeur étrange me saisit à la gorge, odeur sui generis, et que j’appellerai sépulcrale. Je venais de quitter le boulevard tout ensoleillé, et mes yeux ne s’habituaient pas encore à la lumière vacillante d’une bougie fichée dans la terre. Cette lueur frappait obliquement sur le crâne dénudé d’un squelette, dont elle accusait avec exagération les saillies et les dépressions.
Les mâchoires étaient démesurément ouvertes, comme si le mort eût voulu, dans un suprême effort, lancer un appel désespéré.
Autour de lui, tout était sombre.
Bientôt, cependant, on apporta d’autres bougies, et je pus me rendre compte de la conformation du caveau et de son funèbre contenu.
C’est un hémicycle voûté, percé de deux soupiraux fort étroits, qui ont été bouchés à une époque relativement récente.
On y pénètre par trois entrées formées au moyen de deux piliers en arceaux.
Le côté droit seulement a été déblayé ; à gauche, la terre recouvre encore les squelettes, peu profondément enfouis, car le pied se heurte à chaque instant à quelque affreux débris.
Quatorze squelettes ont été mis ainsi à découvert, mais ils recouvrent une seconde couche de cadavres, et peut-être une troisième.
Ils ont été ensevelis sans bière, dans de l’humus ou terre de jardin, et recouverts de chaux.
Ils sont systématiquement pressés, et avec un ensemble de dispositions qui impliquerait que l’opération a été faite en une seule fois, et avec la préoccupation de faire tenir le plus grand nombre de cadavres restreints dans un espace donné.
La plupart sont des squelettes d’hommes, reconnaissables surtout par la forme du crâne et la formation de l’os iliatique ; leur taille varie de 1 mètre 50 à 1 mètre 70.
Quatre sont disposés pieds contre pieds, en forme d’éventail ; un cinquième squelette, dont on aperçoit seulement la tête et les vertèbres supérieures de l’épine dorsale, leur sert de traversin.
Neuf autres squelettes sont ensevelis sur deux rangées, de façon àce que la tête de l’un touche presque les pieds de son voisin.
Les mâchoires distendues de ces restes humains donnent, à la lumière, des effets d’un fantastique surprenant ; par moment, il semble que ces os décharnés vont s’agiter pour raconter quelque lugubre tragédie.
Presque toutes les têtes ont conservé leurs dents, et les sutures imparfaites de la boîte osseuse dénotent la jeunesse des sujets. Ces têtes sont généralement penchées à droite, ce qui indiquerait que l’ensevelissement a eu lieu avant la rigidité cadavérique.
En outre, l’inhumation paraissait de beaucoup postérieure au décret de la première Révolution, qui interdit l’ensevelissement dans les églises, doit avoir été, sinon criminelle, au moins illégale.
Un témoin, parmi les infiniment petits, vient corroborer cette opinion : c’est un insecte que vient de trouver un entomologiste qui nous accompagne, et qui se nourrit exclusivement de ligaments ; il est peu probable que cette bestiole se soit imposé un jeûne de quatre-vingts ans.
En outre, près de la tête d’un squelette de femme, déterré non loin d’un des piliers de la triple entrée, on a trouvé un peigne d’écaille, dont la fabrication ne peut remonter fort loin, et qui a pu être orné de matières précieuses.
En inspectant les murs du souterrain, on voit qu’il a dû servir de prison, à une époque fort antérieure à l’enfouissement de ces cadavres.
Nous avons, à l’aide d’une allumette-bougie, déchiffré quelques grossières inscriptions.
BARDOM 1713
JEAN SERGE 1714
VALENT…
Ces noms sont placés en face de l’ouverture du soupirail qui donnait sur la rue Sibour, ancienne rue de la Fidélité.
Les murs du caveau portent des traces de crépi qui dénoncent une restauration qui ne doit pas remonter à plus de quelques années.
Il serait intéressant de questionner l’architecte et le conducteur des travaux de la dernière restauration de l’église Saint-Laurent.
Après avoir assisté à la reproduction photographique des squelettes, très habilement faite par Etienne Carjat, à l’aide de la lumière électrique, je me suis empressé de quitter ce lieu funèbre, dont la pesante atmosphère commençait à m’écoeurer.
J’ai remonté le petit escalier de pierre, en haut duquel on m’a fait remarquer une excavation pratiquée sous la maçonnerie en brique de calorifère, et dont la récente construction est de toute évidence.
Là ont été retrouvés sept cadavres ; leur enfouissement ne peut absolument remonter à plus de quelques années, et la situation anormale de leur sépulture prouve surabondamment qu’il y a crime.
Quel est l’assassin ? Quelles sont les victimes ? Il y a, renfermé dans une armoire, le squelette d’une jeune femme encore orné de magnifiques cheveux blonds ; les commères qui assiègent les alentours de l’église parlent de la fille d’un marchand de vin du quartier ; on ne sait quel fondement accorder à ce bruit, qu’éclaircira l’instruction.
Toujours est-il qu’il y a là un fait mystérieux, illégal, dont la justice est saisie, et c’est d’elle que les citoyens doivent attendre les éclaircissements qui leur sont dus.
Le curé de Saint-Laurent est en fuite, ainsi que ses vicaires.
(9) Dans le Journal officiel du 21 mai 71 : (un article daté du 3 mai)
DEUXIÈME RAPPORT SUR LA RECHERCHE DES CRIMES COMMIS À L’ÉGLISE SAINTLAURENT
Le passé
Dès les premiers siècles de la monarchie française, l’église Saint-Laurent fut édifiée où se trouve aujourd’hui le couvent de Saint-Lazare.
Plus tard, cette paroisse fut transportée de l’autre côté de la route, c’est-à-dire dans le cimetière, place qu’elle occupe encore aujourd’hui.
La première pensée qui vient à l’esprit, c’est qu’un conduit souterrain devait exister entre Saint-Lazare et l’église actuelle, ainsi qu’il en a toujours existé entre les maisons religieuses des deux sexes, pour faciliter les orgies de la gent cléricale. Il en était de même pour les châteaux féodaux, où des passages secrets permettaient de s’échapper aux heures de danger. Partant de là, rien de plus compréhensible, rien de plus saisissant que la déduction qui en jaillit.
Grâce au voisinage de Saint-Lazare, l’église Saint-Laurent était pourvue d’autant de femmes ou jeunes filles que ces de Sade tonsurés pouvaient en désirer. Le mécanisme était des plus simples : ou l’objet convoité était enlevé, ou bien une banale accusation de sortilège, d’adultère ou d’impiété était invoquée, et l’accusée, femme ou fille, était cloîtrée, circonvenue et livrée sans défense possible à ces monstres de luxure. La famille même cessait d’être une sauvegarde, car la recluse, étant soustraite à tous les regards, passait pour s’être volontairement retirée du monde dans un esprit de repentir.
Les établissements séquestrant les femmes étaient multiples. Combien d’orphelinats, de couvents, de refuges ! Ces débauchés n’avaient que l’embarras du choix, et les victimes marquées, les supérieures de ces établissements s’empressaient de les livrer. D’ailleurs, la résistance leur était impossible, car il y allait de leur intérêt, et même de leur vie qui était en jeu.
On sait que l’influence des prêtres était irrésistible : leur caractère sacré, l’acquiescement des chefs de famille, leur puissance absolue, les vœux imprudents ou forcés, la crainte de leur vindication, puis l’imagination et le tempérament, tout leur venait en aide ; tout concourait à leur triomphe odieux.
Malheur à l’écrivain assez osé pour soulever un coin du voile ! Pour lui, dans le passé, c’était la torture et la mort ; et encore aujourd’hui, la ruine, la prison et l’anathème des privilégiés. Ce ne sont pas là de vaines allégations, c’est la rigoureuse appréciation des faits.
Le présent.
Mais admettons qu’en ces derniers temps le passage souterrain n’existait plus ; supposons que l’épouse ou la jeune fille arrivait aux bras de ces hypocrites par la grande porte, sous l’influence abusive des sacrements, en passant par le confessionnal ou la sacristie, peu importe ! Paris tout entier ne s’en lèvera pas moins indigné !… navré !…
Qu’il descende dans la crypte placée derrière le chœur : là, un spectacle sans nom frappera ses yeux ! des cris déchirants se feront entendre ! Écoutez :
« Les prêtres, nos bourreaux impitoyables, après nous avoir attirées ici par force ou par ruse, après avoir assouvi sur nous leur brutale lubricité, se lassèrent bientôt ; alors il nous fallut faire place à de plus jeunes et de plus belles ; puis après les outrages d’une dernière orgie, nous fûmes endormies par l’effet d’un puissant narcotique, livrées sans résistance possible à ces monstres, qui nous dépouillèrent de nos vêtements et nous lièrent si fortement, que l’on peut voir encore la contraction des os les uns contre les autres. Au bout d’un certain temps, l’ivresse du narcotique s’étant dissipée, le sentiment de l’existence nous revint ; des terreurs, des angoisses inexprimables nous saisirent ; nous cherchâmes d’instinct à nous dégager des liens de la terre qui nous oppressaient !
Vains efforts, nos liens nous paralysaient ; seule, notre tête put se tordre sous la terre encore molle : nous essayâmes d’aspirer le peu d’air ambiant provenant d’un escalier et d’un soupirail ; c’est pourquoi toutes nos têtes sont tournées vers ces issues, cherchant à boire le peu d’air s’infiltrant entre les interstices de la terre. Comprenez nos tortures ; comprenez notre agonie, notre lutte contre l’étouffement produit par la terre emplissant notre bouche à chaque effort tenté pour respirer.
Touchez nos mâchoires contorsionnées et horriblement ouvertes.
Autant de cadavres, autant de martyres !… Flétrissez, maudissez nos bourreaux ! Le crime impuni est là !… visible ! palpable !… écrasant !
Faites-vous justiciers ! Soyez nos vengeurs !
…Elle vient enfin, la justice, majestueuse, inexorable ; elle arrive !
Car rien ne l’arrête, ni le temps, ni l’espace ! Elle porte en ses mains la balance et le glaive étincelant. Ah ! misérables ! vous pensiez être à l’abri de toute revendication ; mais c’est en vain que vous aviez rempli la crypte des os de nos aïeux ; des mains hardies, des mains vengeresse, les ont soulevés, et mis à nu la tombe accusatrice. L’heure terrible sonne enfin pour vous ! L’avenir confesse le passé ! Les pages de votre histoire s’imprimeront avec du sang et seront lues à la lueur sinistre de vos bûchers.
Après avoir vidé l’ossuaire, après avoir dégagé l’humus enveloppant ces restes terrifiants, la science calme et froide est venue constater que ces débris appartenaient tous à des infortunées enterrées depuis moins de dix ans. Or le règne du dernier curé en a duré dix-sept.
Mais qu’importe la date du crime, il n’y a point de prescription pour lui !
O justice ! si tu mesures la grandeur de la peine à celle du forfait, ton glaive s’émoussera, surtout si tu nombres les victimes pressées et superposées : les mots seront impuissants pour exprimer ton indignation, pour écrire ton enquête !
…Et toi, peuple de Paris, peuple intelligent, brave et sympathique, viens en foule contempler ce que deviennent tes femmes et tes filles aux mains de ces infâmes ; viens les reconnaître, les compter, elles sont tiennes. Ouvriras-tu enfin les yeux sur les faits et gestes de ces corrupteurs de l’esprit, de ces assassins du corps ? Persisteras-tu dans ton aveugle apathie ? Laisseras-tu toujours tes femmes, tes filles, hanter leurs églises, ces lupanars occultes ? Ah ! si ta colère n’éclate pas, si tes yeux ne flamboient, si tes mains ne se crispent, fais alors comme Charles-
Quint, couche-toi, vivant, dans ton cercueil.
Mais non, tu comprendras, tu te lèveras, comme Lazare ! tu couronneras la femme des rayons de l’intelligence, sans quoi point de salut pour le monde ; surtout, tu feras bonne garde devant ce charnier durant un siècle s’il le faut !… Ce sera ton phare lumineux pour guider l’humanité jusqu’à l’heure suprême de l’association de toutes les sublimes harmonies ! »
Pour la municipalité,
LEROUDIER.
Paris, le 3 mai 1871.
(10) Source : blog « Autour du père Tanguy » : http://autourduperetanguy.blogspirit.com/archive/2007/05/09/les-squelettes-de-l-eglise-saint-laurent-la-commune-de-paris.html
(11) « Pierre Adolphe Piorry est un médecin français né à Poitiers le 31 décembre 1794 et mort le 29 mai 1879 à Paris. Il inventa la plessimétrie, une méthode d'exploration des organes internes utilisant la percussion. » Source : wikipedia
(12) Dans la Gazette de médecine et de chirurgie du 16 juin 1871
(13) Source : site cairn.info https://www.cairn.info/revue-parlements1-2012-2-page-23.htm
(14) Le rapport Piorry. Source : la Gazette de médecine et de chirurgie du 16 juin 1871
https://www.google.fr/books/edition/Gazette_hebdomadaire_de_m%C3%A9decine_et_de/SFLlAAAAMAAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=cadavres+%C3%A9glise+saint-Laurent&pg=PA328&printsec=frontcover
(15) Le rapport Prat, dans la Gazette médicale de Paris (revue hebdomadaire), n° 19, daté du 13 mai 1871. Source : Universitaire de Paris. Bibliothèque numérique Medica :
https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90182x1871x26&p=205