La démographie ouvrière est liée à l’essor du capitalisme industriel sans discrimination pour le sexe : un ouvrier sur trois est une femme ; à l’homme le bois et le métal, à la femme le tissu et le vêtement. Cent mille enfants travaillent dans la grande industrie, dont 77% âgés de dix à douze ans, ainsi que 20% de mineurs dans les mines de charbon, car ils se glissent plus facilement dans les galeries. A Paris 25 000 ouvriers ont moins de dix-huit ans.

Les salaires sont mis sous tutelle par une exploitation des apprentis permettant de baisser le revenu des adultes.

Le travail à domicile demeure la forme la plus répandue permettant en secret une auto-exploitation jusqu’aux limites de l’épuisement. Le machinisme industriel croissant contribue à la parcellisation des tâches professionnelles, c’est la machine qui fait l’ouvrier spécialisé et non l’ouvrier polyvalent qui contrôle la machine. 

La migration entre ouvriers-paysans et paysans-ouvriers crée une concurrence déloyale pour les premiers et leur impossibilité de voter.

Ouvriers dans une usine fin XIXème
Ouvriers dans une usine à la fin du XIXème siècle

Des amendes parfois très lourdes

Le destin de précarité se caractérise par une journée de travail de plus de douze heures.

Dans les industries de main-d’œuvre, le salaire à l’heure subit la concurrence du salaire à la tâche. La discipline d’atelier repose sur des amendes parfois très lourdes, en cas d’absence pour raison de santé. Le marchandage entre patrons et ouvriers-tâcherons repose sur la sous-traitance du petit outillage à domicile, la chambre devenant un atelier de fortune. L’évolution des salaires dépend des régions, de l’irrégularité de l’emploi. En 1860, sous l’Empire dit « libéral », les mortes saisons aboutissent à des journées de seize heures en pleine saison mais la misère s’accroît en raison de l’augmentation du coût de la vie.

À cette époque, 5% des ouvriers de Paris survivent ave 6 francs par jour, la majorité dispose de 3 à 6 francs, 50% des ouvriers sont endettés. L’emprunt est de règle en 1867, les monts-de-piété voient affluer en période de dépression matelas et objets de literie.

80% du budget de l’ouvrier est consacré à l’alimentation, basée sur le pain, les féculents, et parfois la soupe de bœuf. Le repas de midi est souvent pris sur l’établi. La hausse des loyers est la conséquence des travaux d’apparat du baron Haussmann. Les chambres sont occupées jour et nuit, d’où exiguïté, obscénité, promiscuité, humidité, insalubrité. L’eau buvable est polluée, les eaux usées stagnent sur les paliers.

Les raboteurs de parquets de Gustave Caillebotte - 1875 (source : © RMN (MUSÉE D'ORSAY) /HERVÉ LEWANDOWSKI)
Les raboteurs de parquets de Gustave Caillebotte - 1875 (source : © RMN (MUSÉE D'ORSAY) /HERVÉ LEWANDOWSKI)

La médiocrité parisienne des conditions de logement est une cause principale de la mauvaise santé et de la petite taille des ouvriers et ouvrières. La tuberculose pulmonaire, maladie des ateliers humides du textile et de la pauvreté, représente le tiers des décès à Lyon. La surmortalité infantile atteint des proportions terrifiantes : choléra, typhoïde, méningite sceptique prolifèrent dans les quartiers pauvres à domination ouvrière. L’inégalité se poursuit devant la mort et au-delà ; les deux tiers des ouvriers parisiens sont enterrés dans la fosse commune sans succession patrimoniale.

Accidents et maladies du travail

Les accidents du travail sont légions : colonne vertébrale brisée par les efforts brutaux, amputations dues au courroies des machines, asphyxie par coup de grisou, écrasement par éboulement dans les mines, maladies respiratoires dues au « floconage » et à la poussière dans l’industrie textile, intoxication au plomb, au mercure, à l’arsenic, au phosphore, au chlore, au cuivre (céruse) dans les fonderies, brûlures de la peau dues à la galvanoplastie répandue dans une époque obsédée par la dorure. La législation en matière d’accidents du travail est inexistante, l’encadrement médical très insuffisant, et l’hospitalisation une fin sans issue.

Le droit de grève sera voté en 1868 lors de la pseudo-libération du régime impérial mais l’impossibilité de toute organisation syndicale, l’impunité des patrons qui licencient les responsables, le chantage au lock-out, la brutalité de la police vis-à-vis des rassemblements ouvriers rendent le droit de grève illusoire (grève de Fourchambault en 1870).

La répression versaillaise, en éliminant le quart de la population ouvrière parisienne, acheva le travail de suppression programmée de l’homme de peine : par exemple, cette disparition sociale est évidente dans le tableau de Gustave Caillebotte « Les Raboteurs de parquet », où l’on voit un jeune apprenti abandonné à lui-même et imitant son voisin plus âgé pour exécuter le geste, le maître a disparu avec son savoir (sens du rapport esthétique-efficacité du geste manuel singulier).

 

Philippe Lépaulard

 

PS : la sinistrose ouvrière ne serait pas complète si l’on oubliait le sort malheureux des blanchisseuses contaminées par la syphilis présente dans la lingerie de la « civilisation du bordel » au XIXe siècle (supplément du Nouvel Observateur de décembre 2007).

Références : Le dictionnaire du Second Empire, chapitre « Ouvriers » sous la direction de Jean Tulard, Éditions Fayard

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