Une chanson de Jean Baptiste Clément, commentée par lui-même
À Mouren
Que j’aime ton ciel et tes vins,
Que j’aime tes plaines fertiles,
Tes sombres forêts de sapins.
Tes hameaux et tes grandes villes !
Que j’aime ces mâles débris
Qui nous retracent ton enfance,
Que j’aime aussi ton vieux Paris,
Ô ma France !
Que j’aime tes hardis penseurs.
Tes artistes et tes poètes,
Tes légions de travailleurs.
Tes jours de calme et de tempêtes !
Que j’aime ces coeurs de lions.
Tes fils nourris d’indépendance,
Et tes trois Révolutions
Ô ma France !
Mais ne crois pas que mon amour
S’arrête juste à la frontière :
Nous avons tous le même jour,
Nous avons tous la même terre.
Français ou non, si je restais
Indifférent à la souffrance,
N’est-ce pas, tu me renierais,
Ô ma France !
Va ! laissons glaner nos voisins
Dans nos caves et dans nos granges ;
Qu’ils aient quelques sacs de nos grains
Et quelques crûs de nos vendanges ;
Et le peuple déshérité
Saura peut-être en récompense
Trinquer à la fraternité,
Ô ma France !
Donne tes vins, donne tes blés,
Puisque ta mamelle est féconde ;
Ouvre tes flancs aux exilés
Qui, pour patrie, ont vu le monde :
Martyrs traqués par les tyrans.
Apôtres de l’Indépendance,
Bien dignes d’être tes enfants,
Ô ma France !
Oh ! qu’on me laisse un petit coin
Quand viendra mon heure dernière,
Six pieds à peine, où, sans témoin,
Chante l’oiseau du cimetière ;
Que pour ce repos éternel
Je dorme à l’ombre du silence.
Sous les étoiles de ton ciel,
Ô ma France !
Paris, 1867
II est bien entendu que ce n’est pas un accès de chauvinisme qui m’a inspiré cette chanson. Du reste, les sentiments que j’y exprime le prouvent et l’on connaît trop mon opinion sur cette question pour le supposer un instant.
Je suis internationaliste dans toute la force du terme, c’est-à-dire pour la coalition de tous les opprimés contre les oppresseurs.
Et si, dans cette chanson, je dis : Ô ma France ! avec enthousiasme, ce n’est pas, on le sait bien, parce que je suis fier d’être Français, puisque c’est au hasard que je dois d’être né en France. Je serais Allemand ou Russe que, pensant comme je pense au point de vue philosophique, j’aurais chanté de même la France, pour saluer en elle deux grandes révolutions : 1789 et 1871 !
D’où qu’on soit, on est bien obligé de reconnaître que ça n’a jamais été pour des questions purement locales, ni mêmes nationales, que les Parisiens ont fait sauter les pavés de Paris. Leurs prises d’armes ont toujours eu pour but d’affirmer des idées générales et des revendications communes à tous les opprimés de la terre.
Aussi nous trouvons-nous en avance de deux révolutions sur tous les autres peuples : d’une révolution philosophique et politique et d’une révolution sociale.
C’est à ce titre seulement que je dis :
« ma France ! comme je dirais : Ô révolution ! Ô humanité ! »
JEAN-BAPTISTE CLÉMENT