L’exposition Victor Hugo en exil, présentée au Musée des lettres et manuscrits de Bruxelles jusqu’au 29 mars, retrace l’itinéraire de l’écrivain proscrit, de Bruxelles à Guernesey, à travers des correspondances et des dessins exceptionnels.

Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte dissout l’Assemblée nationale. Face à ce coup d’État, Victor Hugo lance un appel aux armes. Le 4 décembre, les barricades dressées sur les boulevards sont prises d’assaut par l’armée qui tire également sur la foule. La révolte est réprimée dans le sang. Victor Hugo, qui s’est rendu sur place, constate l’horreur du crime. Le lendemain, Juliette Drouet, sa maîtresse, emmène l’écrivain chez des amis, les Lanvin. Un plan de fuite est échafaudé : Hugo utilisera le passeport de Jacques-Firmin Lanvin, typographe, pour passer la frontière.

Exposition - Victor Hugo en exil - Musée des lettres et manuscrits de Bruxelles, 2015
Exposition - Victor Hugo en exil - Musée des lettres et manuscrits de Bruxelles, 2015

 

Alexandre Dumas vient prévenir Adèle, la femme d’Hugo, que le gouvernement cherche à le faire assassiner. Le 8 décembre, l’appartement de Juliette est perquisitionné et Lanvin interrogé par la police. Le 11, l’écrivain se rend à la gare du Nord et prend le train de nuit pour Bruxelles. Le 12 décembre, il descend à la gare du Midi. Le lendemain, Hugo rend visite au ministre de l’Intérieur Charles Rogier, qui lui délivre un permis de libre circulation. Il lui fait part de son intention d’écrire « l’histoire immédiate et toute chaude du coup d’État  » et s’engage à quitter la Belgique après la publication de l’ouvrage. Sa maîtresse, Juliette Drouet, le suit. Par respect des convenances, ils ne se voient pas en public. Juliette est logée au 11bis de la Galerie des Princes, au-dessus de l’actuelle librairie Tropismes.

Victor Hugo à Guernsey
Victor Hugo à Guernsey

 

Napoléon le Petit fait Hugo le Grand

Le 9 janvier 1852, Hugo est officiellement expulsé de France. Les proscrits républicains affluent à Bruxelles et se réunissent pour assister à des conférences au Cercle artistique et littéraire de Bruxelles dans la Galerie de la Reine (l’actuelle Taverne du Passage), auxquelles assistent Alexandre Dumas et Victor Hugo. Ce dernier s’installe au n° 16 de la Grand place, dans la maison du Moulin à vent. À l’arrivée de son fils Charles, il déménage au n° 27, dans la maison du Pigeon. Charles parle ainsi de ce logement :

« C’était tout juste le nécessaire, mais l’oeil allait droit à la haute fenêtre ouverte sur l’Hôtel de Ville, et alors ce logis s’éclairait de poésie, d’art et d’histoire. »

Le père et le fils apprécient là l’hospitalité belge. Grâce à Pierre-Jules Hetzel, qui deviendra l’éditeur de Jules Verne, un contrat d’édition est signé avec Jean-Baptiste Tarride, libraire-éditeur bruxellois. Il est convenu que Napoléon le Petit sera publié en deux formats, dont l’un, plus petit, facilitera la diffusion clandestine du pamphlet en France.

Un exemplaire annoté par l’auteur et par son éditeur est présenté dans l’exposition. «  Il faut que cela tombe comme une bombe », écrit Hugo à sa femme. Le 1er août 1852, quelques jours avant la publication du livre, il honore sa promesse et quitte le sol belge. Depuis le port d’Anvers, Victor Hugo rejoint l’île de Jersey où la famille est réunie au grand complet à Marine-Terrace, lourde bâtisse blanche sur la grève d’Azette, entre ciel et mer.

Quand la liberté rentrera, je rentrerai

« Nous sommes ici dans un ravissant pays (…) De la côte on voit la France », s’exclame le poète. C’est le début de dix ans d’exil dans les îles anglonormandes, dix ans pendant lesquels il n’oubliera pas Bruxelles, où toutes ses oeuvres seront publiées. Pendant ce temps, Napoléon le Petit est traduit en plusieurs langues : Napoleon el pequeno, Napoleon the little, si bien qu’un million d’exemplaires circulent dans le monde ! Victor Hugo proteste violemment à l’annonce de l’expulsion de trois exilés français, éditeurs d’un journal local de Jersey. Le résultat ne se fait pas attendre.
Quelques jours plus tard, il est à son tour expulsé par le gouverneur. Le 31 octobre 1855, il s’embarque pour Guernesey. Grâce au succès des Contemplations, il achète Hauteville House. « Me voici proscrit français et landlord anglais », plaisante-t-il. Le 16 août 1859, Napoléon III décrète l’amnistie pour tous les proscrits.

Les deux tiers acceptent de rentrer en France.

Mais Victor Hugo ne transige pas et refuse d’en profiter :

«  Fidèle à l’engagement que j’ai pris vis-à-vis de ma conscience, je partagerai jusqu’au bout l’exil de la liberté. Quand la liberté rentrera, je rentrerai.  »

Le 30 juin 1861, le romancier achève l’écriture des Misérables. À travers cette « épopée sociale de la misère », il se livre à un violent réquisitoire contre la « damnation sociale ».

Les trois problèmes du siècle

« Tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus (…) des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles »,

écrit l’auteur dans la préface. Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Le 17 août, Hugo préparant son retour, arrive à Bruxelles. Il y apprend la défaite de Sedan et la capitulation de Napoléon III.

Le 5 septembre, au lendemain de la proclamation de la IIIe République, accompagné de sa famille et de Juliette, il rentre en France après dix-neuf années d’exil. Gare du Nord, les Parisiens, venus en masse, lui réservent un accueil triomphal. « Citoyens, j’avais dit : le jour où la République rentrera, je rentrerai. Me voici  », déclare Victor Hugo.

FRANÇOIS PERIN

• Musée des lettres et manuscrits : 1, Galerie du Roi, Bruxelles. Tél. (depuis la France) : 00 32 25 14 71 87 Site Internet : www.mlmb.be
• Lire « Belgique, terre d’asile », dans La Commune n°58, p. 11.

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