Notre collaborateur et ami Georges Aillaud a fait récemment une bien curieuse découverte : un croquis de Verlaine, par lui-même, en uniforme de Garde national du 160ème bataillon.

Verlaine en Garde nationale
Paul Verlaine - autoportrait en uniforme de Garde national du 160e bataillon, nuit du 15 octobre 1871

Par étourderie, sans doute, Verlaine a daté ce dessin du 15 octobre 1871. Bien entendu, c’est le 15 octobre 1870 qu’il faut lire, la Garde nationale a d’ailleurs été supprimée le 29 août 1871.

Quant aux fantaisies orthographiques, elles sont, probablement, une manifestation de l’humour particulier du poète. Mais, ce qui nous intéresse, ce sont ses réactions eu égard aux événements.

Le 19 juillet 1870, la France a déclaré la guerre à la Prusse. La situation militaire se détériore rapidement. En août 1870, Verlaine est sur le point de se marier, les bans sont publiés lorsqu’un décret de la régente Eugénie vient tout remettre en question : tous les homme non mariés nés en 1844-1845, qui ne font pas partie du contingent, sont appelés sous les drapeaux. Verlaine, né en 1844, est dans ce cas et il craint l’annulation de son union et son incorporation dans un régiment de province.

Cependant, son mariage est célébré sans difficulté et d’autres faits importants illustrent l’actualité. La capitulation de l’armée à Sedan et la captivité de l’Empereur provoquent le 4 septembre, la déchéance de Napoléon III et la proclamation de la République.

Verlaine, expéditionnaire au bureau de l’ordonnancement de l’Hôtel de Ville pourrait se faire exempter du service militaire, mais il ne veut pas être un embusqué et il décide de s’engager dans la Garde nationale par patriotisme.

Paul Verlaine (1844-1896)
Paul Verlaine (1844-1896)

Il habite alors dans le Ve arrondissement, 2 rue du Cardinal Lemoine, à l’angle du quai de la Tournelle. Il s’adresse donc à un bureau de recrutement de la 5ème Légion.

« Je me fis inscrire dans le 160ème bataillon – La Rapée – Bercy qui était de faction entre Issy, Vanves et Montrouge. Tous les deux jours, armé de mon fusil à piston qui devait bientôt se promouvoir en fusil "à tabatière", je montais des gardes combien inutiles ! Dans les commencements, c’était véritablement charmant, véritablement et je n’exagère en rien » [1]

Mais après des bronchites contractées lors des gardes par des nuits fraîches, il est renvoyé définitivement à son emploi d’expéditionnaire à l’Hôtel de Ville.

Après le 18 mars 1871, Verlaine, rédacteur à l’ordonnancement, a accepté un emploi au bureau de presse de la Commune dans la même pièce qu’il occupait auparavant.

Quant à son ancien bataillon, le 160ème, il a pris part à différents combats dans la banlieue sud. Le 16 mai 1871, il est envoyé à la Grange Ory. Il y retrouve le 118ème de la caserne Mouffetard. Ils seront rejoints le 19 mai par le 151ème.

La livraison du mot de passe par un traître va permettre à l’ennemi de pénétrer par surprise dans la Grange Ory.

Dessin portrait de Verlaine
Dessin portrait de Paul Verlaine

 

Version Versaillaise : Correspondance de l’Agence Havas (Versailles 19 mai 1871) : 

« Dans la nuit de jeudi à vendredi, nos troupes ont surpris les fédérés entre Arcueil – Cachan et Montrouge. Deux bataillons ont enlevé à la baïonnette la Grange Ory et la maison Plichon, situées près du fort de Montrouge. Les fédérés endormis ont été massacrés à la baïonnette et sabrés par la cavalerie dans leur fuite désordonnée sur Paris. Les pertes des insurgés s’élèvent à 4 ou 500 hommes tués ou blessés ; un colonel est parmi les morts. » (les valeurs données par les Versaillais sont certainement exagérées).

Version Commune : De son côté,

« Jean Allemane, en tournée d’inspection des positions tenues par les unités du Ve dans le secteur de la Grange Ory, est témoin du laisser-aller des officiers, de l’indiscipline et du relâchement de la vigilance de la troupe, qui trouvent presque sous ses yeux, leur sanction dans un guet-apens versaillais. Les défenseurs ouvrent naïvement les bras aux lignards du colonel Boulanger [2] qui s’avançaient vers eux au cri de "Vive la garde nationale ! Vive la Commune !", posent leurs fusils pour les aider à descendre dans la tranchée, sont immédiatement désarmés, massacrés et sauvagement décapités » [3]

Paul Verlaine n’a pas dû trop regretter d’avoir abandonné le 160ème bataillon, mais il a eu certainement un cri de haine pour les massacreurs dans son beau poème Les Vaincus.

Marcel Cerf


Notes :

[1] Paul Verlaine : Confessions, page 159, collection Capitale, Edition Marie de paris.

[2] Futur général et aspirant dictateur, le colonel Boulanger s’était déjà illustré par le massacre des gardes nationaux prisonniers le 2 avril au Rond-Point de la Défense. Il devait faire exécuter 700 gardes nationaux sédentaires le 2 mai place du Panthéon (note de Maurice Choury).

[3] Choury Maurice La Commune au quartier latin –page 159 – Club des Amis du livre progressiste – Paris – 1961.

Dernières publications sur le site