Au début du siècle dernier, sous l’impulsion de Gustave Geffroy, biographe de Blanqui, la section de Puget-Théniers de la Ligue des droits de l’Homme forme un comité pour l’érection d’un monument à la mémoire de Blanqui, dans sa bourgade natale.
Le président d’honneur en sera Georges Clemenceau dont les idées politiques sont, certes, fort éloignées de celles de Blanqui ; mais, cependant, Clemenceau est un grand admirateur de « l’Enfermé » pour son courage et sa volonté inséparables.
Le comité rassemble les personnalités illustres du monde politique et littéraire : Anatole France, Octave Mirbeau, Jaurès, Laurent Tailhade…
La municipalité radicale-socialiste de Puget-Théniers appuie fortement ce projet et donne un avis favorable à l’emplacement du mouvement à proximité immédiate de l’église paroissiale.
Un appel est lancé à toutes les municipalités de France pour adhérer à cette initiative et participer à la souscription en faveur de l’érection du monument.
Ce projet ne met nullement en cause la valeur artistique du gisant de Dalou que l’on peut voir au Père Lachaise. Mais, les amis de Blanqui souhaitent la réalisation d’une œuvre qui soit le reflet de la vie combattante de Blanqui.
Le sculpteur Aristide Maillol (1861-1944) est pressenti. Il a pour thème le nu féminin. Une sensualité méditerranéenne a inspiré toutes ses œuvres. Ses femmes aux formes généreuses ont influencé son ami, le peintre Renoir, dans la dernière période de sa vie à Cagnès.
Clemenceau se fait le porte-parole du groupe des amis de Blanqui auprès de Maillol. Le temps des statues représentant un homme en redingote, figé dans sa gloire posthume, est révolu. On souhaite une figure symbolisant le destin exceptionnel du grand révolutionnaire.
Maillol a parfaitement compris l’impulsion intense qu’il doit donner à son œuvre. À Clemenceau qui lui demande comment, plastiquement, il conçoit sa réalisation, il a une réponse qui pourrait embarrasser un interlocuteur autre que le futur président du conseil :
« Je vous ferai un beau cul de femme, ce sera la liberté enchaînée ».
Il ne faut pas se laisser déconcerter par l’apparente gauloiserie du propos de Maillol. Par cette formule abrupte et concise, le sculpteur veut faire comprendre que le mouvement amorcé par la courbe des hanches sera le prélude à l’élan impétueux vers la liberté, même si les mains de la femme sont encore liées par la tyrannie.
Si « La liberté enchaînée » est l’appellation parfois employée, c’est « l’action en chaînée » qui va prévaloir. Le terme « action » étant plus adéquat au combat mené par Blanqui.
« L’action enchaînée est une image souveraine de l’énergie. Bien qu’il s’agisse d’une femme, sa carrure athlétique est visible. Son torse est bombé. Tous ses muscles sont tendus. Ses jambes sont des colonnes. Son masque s’apparente à celui de David taillé par Michel Ange. L’élan de cette figure qui marche accroît notre tonus vital » (Waldemar George).
Dans les travaux préparatoires, il faut citer un très beau torse de bronze (1905), ciselé et patiné par Maillol.
Au début 1908, le monument est complètement terminé. Par un enchaînement de circonstances plus ou moins inattendues, les différentes personnalités prévues pour l’inauguration se trouvent toutes indisponibles (curieuse coïncidence !).
Cette superbe statue de bronze placée vis-à-vis de l’église de Puget-Théniers fit scandale, par sa nudité, aux yeux des bien-pensants. Il fallut dévier le parcours des cérémonies religieuses pour déjouer les pièges du démon.
Après la guerre 14-18, cédant à la pression de la brigade des dames patronnesses et autres bigots, la statue est reléguée sur le pré de la foire et le monument aux morts prend sa place près de l’église.
Pendant la seconde guerre mondiale, la statue est cachée dans les abattoirs du village, mais elle est découverte en mars 1942 et l’occupant veut l’envoyer à Hambourg pour refonte. Elle est déposée à Nice où elle obtient un sursis d’un fonctionnaire complaisant.
Le départ pour l’Allemagne est heureusement différé.
Elle retourne enfin à Puget-Théniers en septembre 1944.
« L’action enchaînée » est à présent exilée dans un petit square étriqué. Placé sur un socle très élevé, elle est enfouie dans le feuillage des arbres qui l’entourent et la dérobent aux regards concupiscents, méchants des mécréants. Le seul avantage de la hauteur du socle, c’est d’avoir permis la pose d’un médaillon au profil de Blanqui et d’avoir laissé la place à l’inscription d’un hommage au révolutionnaire :
Louis Auguste BLANQUI
(1805 – 1881)
Penseur. Polémiste. Agitateur révolutionnaire.
Défenseur héroïque du Prolétariat.
Membre de la Commune de 1871
Il paya de 40 ans d’emprisonnement sa fidélité
à la cause sacrée de l’émancipation des Travailleurs.
Contre une classe sans entrailles.
Luttant pour le peuple sans pain.
Il eut, vivant, quatre murailles.
Mort, quatre planches de sapin.E. POTTIER
Une plaque commémorative est également apposée sur la maison natale de Blanqui :
Dans cette maison
Le 1er février 1805 [1]
Est né
Louis Auguste BLANQUI
Journaliste militant
Ecrivain, homme politique
Membre de la Commune de Paris
Il faut aussi noter que le collège de Puget-Théniers porte le nom de Blanqui.
Une version sans bras de « l’Action enchaînée » a été exposée sur les Champs Elysées, lors de l’exposition « Les Champs de la sculpture » du 11 avril du 9 juin 1996.
Dans les jardins du Carrousel, on trouve une excellente réplique de l’original et on peut admirer ce chef d’œuvre sous tous ses angles, beaucoup mieux qu’on pourrait le faire dans le petit square de Puget-Théniers. Mais là encore, il est presque ignoré.
Le musée Maillol (Fondation Dina Viermy) possède une autre variante de « l’Action enchaînée ». Cependant, depuis 1908, s’estompe lentement le souvenir de « l’hommage a Blanqui » qui méritait un autre sort.
Marcel CERF
Note :
[1] La date du 1er février 1805 est une erreur. Maurice Dommanget, le grand spécialiste de Blanqui, a consulté l’état civil de Puget-Théniers et les archives départementales des Alpes maritimes. Louis Auguste Blanqui est né, en réalité, le 19 pluviôse de l’an XIII, donc le 8 février 1805. (Dommanget Maurice : « Auguste Blanqui – (des origines à la révolution de 1848) », page 19, Paris Mouton La Hage, 1969)