Surtout connu comme gendre de Karl Marx, Charles Longuet a été remis en lumière par Michèle Audin dans son roman, Comme une rivière bleue (Gallimard, 2017), puis par Gérald Dittmar, auteur d’une biographie unique à ce jour (éditions Dittmar, 2018). Il était temps de redécouvrir le parcours de cette figure longtemps oubliée de la Commune.
Né à Caen dans une famille monarchiste et cléricale de notables normands, il monte à Paris en 1860 faire des études de droit. Au Quartier latin, il se mêle rapidement à la jeunesse des écoles alors engagée dans l’opposition à l’Empire. Lui-même fonde plusieurs journaux éphémères, Les Écoles de France puis La Rive Gauche auxquels collaborent des camarades encore inconnus (Gustave Tridon, Gustave Flourens, Anatole France…). Proche de Jules Vallès, il contribue également à ses journaux (La Rue, Le Peuple). Physiquement, il ne passe pas inaperçu non plus :
Longuet mérite bien son nom ; il est grand, maigre et long à faire croire qu’il va toucher le ciel. (1)
Cependant, son activité politique lui doit de nombreuses condamnations. Il s’exile même un temps en Belgique puis en Angleterre où il s’affilie à la franc-maçonnerie et se lie à Karl Marx et à sa famille. Il entre alors au Conseil général de l’Internationale et devient secrétaire correspondant pour la Belgique. Au Congrès de Bruxelles en 1868, il porte la résolution recommandant « aux travailleurs de cesser tout travail dans le cas où une guerre viendrait à éclater dans leurs pays respectifs ». (2) Il n’appartint toutefois jamais au bureau parisien de l’AIT.
Au moment de la proclamation de la République, c’est pourtant lui, au soir du 4 septembre, qui envoie avec Édouard Vaillant la dépêche annonçant l’évènement à Marx :
République proclamée […] Agissez immédiatement sur vos amis en Allemagne (3)
Peu après, il est désigné délégué au Comité central des vingt arrondissements, mis en place pour organiser localement la défense de Paris et pourvoir aux mesures urgentes. De ce fait, Longuet est encore membre fondateur dans le XIe arrondissement de la Ligue de défense à outrance.
Le communard.
Politiquement, le fervent étudiant proudhonien est devenu au contact de l’avant-garde révolutionnaire un sympathisant blanquiste. Il prend alors une part active au mouvement communaliste. Chef élu du 248e bataillon de la Garde nationale, il est révoqué par le gouvernement pour avoir participé à l’insurrection du 31 octobre qui s’achève dans l’Hôtel de Ville (4). Devenu membre du Comité central de la Garde nationale, il est un des principaux chefs du soulèvement du 18 mars 1871. Avec son bataillon au Quartier latin, il s’empare du palais du Luxembourg. Mais, son échec patent aux élections du 23 mars explique certainement son rôle de second plan par la suite. Désigné rédacteur en chef du Journal officiel de la Commune du 27 mars au 12 mai, il est entre-temps élu du XVIe arrondissement lors des élections complémentaires d’avril. Nommé à la Commission du Travail et de l’Échange, il se range du côté de la minorité opposée à la création du Comité de Salut public, signant par le fait son manifeste aux côtés d’Eugène Varlin et Benoît Malon. Au moment du scrutin, il avait argumenté :
Ne croyant pas plus aux mots sauveurs qu’aux talismans et aux amulettes, je vote contre. (5)
Lorsque les versaillais le condamnent par contumace à la déportation, il est exilé à Londres où il participe à la formation de la Société des réfugiés. Il réintègre surtout le Conseil général de l’Internationale grâce au soutien de Karl Marx et vote l’exclusion de Bakounine au Congrès de La Haye. Il est vrai que depuis 1872 il est marié à Jenny Marx, la fille aînée dont il aura quatre enfants. Elle mourra jeune, à 38 ans, un an après son dernier accouchement. À propos de ses gendres français, Karl Marx écrira :
Longuet se conduit comme le dernier proudhonien et Lafargue comme le dernier bakouniniste. Que le diable les emporte ! (6)
Finalement, la nomination en 1874 de Charles Longuet comme professeur de littérature au King’s College d’Oxford améliore nettement sa situation matérielle à la fin de son exil anglais.
Le vétéran de la Commune.
De retour en France sitôt le vote de l’amnistie des communards, il rejoint l’équipe éditoriale de La Justice, le journal radical de Georges Clemenceau. Il est chargé notamment de la question sociale, suivant au plus près le renouveau du mouvement socialiste français. En 1879 déjà, il avait signé avec d’autres proscrits (Lissagaray, Albert Theisz…) un manifeste lu à Marseille lors du premier congrès ouvrier à s’affirmer collectiviste. À cette époque, il est un des principaux opposants à la diffusion des idées marxistes. En 1881, il argumente contre Jules Guesde sur le thème « Collectivisme et Révolution » au cours d’un débat contradictoire présidé par Benoît Malon. Il dirige alors avec d’anciens communards (Alfred Humbert, François Jourde, Albert Theisz…) une éphémère Alliance socialiste républicaine (1880-1881), d’obédience radicale-socialiste, vocable dont Charles Longuet revendiquait la paternité. Candidat malheureux à diverses élections dans la Seine, il sera toutefois élu conseiller municipal parisien du XIe arrondissement entre 1886 et 1893.
Nommé inspecteur de l’enseignement des langues vivantes dans les écoles parisiennes, il a renoué, à la fin du siècle, avec le mouvement socialiste, en participant dès 1889 à l’organisation du congrès fondateur de la Deuxième Internationale tenu à Paris. Plus tard, après 1900, il rejoint avec son fils Jean Longuet (1876-1938), à l’aube de son engagement politique, le parti formé par Jaurès. Mais, il demeure par-dessus tout fidèle au souvenir de la Commune. Il surnommait « boulevard du Crime » le boulevard Thiers où il habitait avec sa famille à Argenteuil. Karl Marx d’ailleurs y séjourna lors de ses visites à sa fille. Tous deux devaient mourir en 1883, à quelques mois d’intervalle. Charles Longuet sera enfin un soutien actif, comme son fils plus tard, de l’association des vétérans de la Commune. (7) À sa mort en août 1903, il laisse plusieurs traductions de Karl Marx dont La Guerre civile en France, traduction alors inédite, titrée La Commune de Paris.
ÉRIC LEBOUTEILLER
Notes
(1) J. Clère, Les Hommes de la Commune. Biographie complète de tous ses membres, Dentu, 1871.
(2) M. Léonard, L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, La Fabrique, 2011.
(3) Épisode relaté par Charles Longuet dans sa préface à Karl Marx, La Commune de Paris (1901), reproduite dans G. Dittmar, Charles Longuet (Dittmar, 2018).
(4) Récit de Charles Longuet dans la biographie de G. Dittmar.
(5) Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, La Découverte, 2000.
(6) Lettre de Marx à Engels, 11 mars 1882.
(7) Les Amis de la Commune de Paris 1871, Histoire de l’association, 2008.