Élu de la Commune et partisan de l’unité du mouvement ouvrier français
Né au nord de Saint-Etienne, dans le pays du Forez, au sein d’une famille nombreuse, il est le fils d’un modeste journalier. Lui-même, très jeune, travaille aux champs comme pâtre ou laboureur.
Il fréquente peu l’école. C’est à vingt ans, au cours d’un séjour chez son frère instituteur, qu’il s’instruit véritablement. En autodidacte, il conservera intacte sa passion de lire et d’apprendre.
Le militant parisien [1]
Comme beaucoup de jeunes de sa génération, il gagne à pied, en 1863, la région parisienne où il trouve un emploi d’ouvrier teinturier à Puteaux. Il s’illustre bientôt comme un des meneurs d’une grève locale dont l’échec sera à l’origine en 1866 d’une coopérative de consommation renommée, La Revendication de Puteaux et Suresnes.
A la fin de l’Empire, il est, avec ses amis Camélinat et Varlin, l’un des nouveaux chefs de l’Internationale. Ils assistent ensemble aux premiers congrès de l’AIT à Genève et à Bâle.
Proudhoniens révolutionnaires, ils associent désormais action politique et revendication sociale. Ainsi, ils parcourent la France afin de soutenir la grande vague de grèves des années 1869-1870. Le reportage que fait au Creusot l’envoyé de La Marseillaise, Benoît Malon, est retentissant.
Enfin, les poursuites du régime impérial contre les responsables de l’AIT le condamnent par deux fois à la prison. Il est libéré définitivement le 4 septembre, jour de proclamation de la République.
Durant ces années, il rencontre la romancière André Léo. Féministe réputée, elle exerce d’emblée sur son compagnon une réelle influence politique.
L’élu de la Commune
Pendant le siège de Paris, il est nommé adjoint au maire du XVIIe arrondissement. Chargé de l’assistance publique, il fait appel à Eugène Varlin. Sa popularité grandissante le fait alors élire, en février 1871, député de la Seine à l’Assemblée Nationale. Mais, deux mois plus tard, conjointement à ses homologues (Victor Hugo, Henri Rochefort...), il démissionne pour protester contre le vote des préliminaires de paix. Quand éclate le conflit entre Versailles et la Commune, il soutient d’abord, en tant que parlementaire, les tentatives de conciliation. Mais, très vite, il se rallie à l’insurrection communaliste.
Élu, il siège au côté de Fränkel à la Commission du Travail et de l’Echange. Celle-ci entend promouvoir les coopératives ouvrières. Par la suite, il se joint à la minorité qui rejette la mise en place d’un comité de salut public.
Parallèlement à son mandat, il est aussi chargé de l’administration de son arrondissement. Dans ce contexte de guerre civile, la tâche est rude. Ainsi, il organise la défense des Batignolles où il se bat sur les barricades jusqu’au dernier jour.
L’exil [2]
Benoît Malon fuit la répression versaillaise grâce à ses amis protestants. Il gagne la Suisse où le rejoint André Léo. Comme pour l’ensemble des exilés, l’installation est difficile et l’existence précaire. Cependant, il reprend aussitôt son activité politique. A l’heure où l’Internationale se déchire entre marxistes et bakouninistes, il hésite avant d’opter pour la Fédération jurassienne, d’inspiration anarchiste. Déçu, il multiplie alors les séjours en Italie où il appuie les courants progressistes du socialisme transalpin. À Milan, Palerme ou Lugano, il collabore étroitement avec ses dirigeants (Enrico Bignami, Andrea Costa…) qu’il influence.
Il constitue ainsi au sein du mouvement ouvrier international un véritable réseau, composé de leaders italiens, suisses (James Guillaume), belges (César de Paepe), allemands (Eduard Bernstein)… Il a enfin beaucoup écrit. Son témoignage sur la Commune, La Troisième Défaite du prolétariat français (1871) et Spartacus(1873), un roman historique sur la célèbre révolte d’esclaves, ont été redécouverts dernièrement.
« La barbe du parti »
À partir de 1876, il se rapproche des marxistes et collabore à L’Égalité de Jules Guesde. De retour en France après l’amnistie, il fonde avec lui une première Revue socialiste (1880-1881) et adhère au Parti ouvrier, fondé à Marseille (1879). Pourtant trois ans plus tard, il le quitte à Saint-Etienne, dans un congrès qu’animent ses lieutenants comme Eugène Fournière.
Dès lors, fort de son indépendance, il se consacre à La Revue socialiste [3] qu’il relance en 1885 avec ses fidèles et d’anciens communards (Zéphyrin Camélinat, Francis Jourde, Élie May…). Face à un socialisme divisé, il espère favoriser par le pluralisme politique l’unité du mouvement ouvrier français. Cependant, l’agitation boulangiste divise la revue. Conscients des dangers d’une telle aventure, Malon et ses amis rallient le camp républicain qui crée, en mai 1888, une Société des droits de l’homme et du citoyen afin de défendre le régime.
En outre, il s’affirme comme un des penseurs du socialisme français. Il collabore ainsi à plusieurs journaux, certains publiant ses lundis socialistes. Son projet politique est surtout exposé dans son œuvre, Manuel d’économie sociale (1883), La Morale sociale (1886), Le Socialisme intégral (2 vol., 1890-1891), Précis du socialisme (1892). Malon formule lui-même d’une phrase son idée directrice :
Soyons révolutionnaires quand les circonstances l’exigent et réformistes toujours.
Sa pensée qui a marqué plusieurs générations de militants avant de tomber dans l’oubli, préfigure le socialisme humaniste de Jaurès.
ERIC LEBOUTEILLER
Notes
[1] M. Cordillot, « Benoît Malon, de la Première à la Deuxième Internationale », Cahiers de l’IHC, n°1, 1994
[2] J. Droz, Histoire générale du socialisme. De 1875 à 1918
(tome 2), PUF, Paris, 1997 (rééd.)
[3] Parution récente du colloque tenu à Saint-Etienne (2010) intitulé Benoît Malon et La Revue socialiste et coorganisé par l’association des amis de Benoît Malon, Jacques André éditeur, Lyon, 2011.