Au Panthéon des inconnus, Eugène Pottier devrait figurer en bonne place. Une tombe modeste érigée en 1905 grâce à une souscription nationale rappelle les mérites de l’auteur de « L’insurgé », « Jean Misère », « La toile d’araignée », « Ce que dit le pain », « La mort d’un globe », « L’Internationale », avec trois dates : 1816, 1870, 1887.
D’abord ouvrier emballeur, il taquine la muse et fréquente les goguettes « où, le soir en quittant l’établi, j’allais roucouler mes essais », il place ses premières bluettes sous le patronage de Béranger, célèbre chansonnier, on dirait de nos jours, « auteur-compositeur interprète » de l’époque. Il versifie en dilettante, portant un regard critique sur ses pièces : il dit d’une de ses premières chansons qu’elle « est assez correcte, poncive, au demeurant mauvaise (...) suivie ,d’une ribambelle d’autres, aussi mauvaises ».
Sa vie professionnelle est une réussite : il devient dessinateur sur tissus, s’installe à son propre compte avec un succès certain, éliminant la concurrence d’une manière peu banale :
Je m’étais attiré la malédiction de tous mes confrères en poussant leurs employés, exploités, à former une chambre syndicale.
Conviction politique ou opportunisme commercial ? A la veille de la Commune, on le retrouve installé, marié avec deux enfants, bedonnant, notable fièrement portraituré par Nadar, affichant, selon le mot d’un contemporain des idées sociales, « d’un rouge de plus en plus pâle ». 1871. A cinquante-cinq ans, il abandonne tout, métier, famille, tranquillité de bon aloi, et devient maire du IIe arrondissement :
Le peuple sent qu’il est trahi
C’est trop aboyer à la lune
L’Hôtel-de-Ville est envahi
Paris, proclame ta Commune !
Il échappe à la Semaine Sanglante, pendant laquelle il aurait écrit « L’Internationale », caché à Paris, fuit en Belgique, puis en Angleterre, enfin aux États-Unis, où il entre en Franc-Maçonnerie. Il revient en France, après l’amnistie de 1880, malade, ruiné. Il se consacre uniquement à la poésie ; il publie avec l’aide de ses amis communards les « Chants révolutionnaires » en 1887, quelques mois avant sa disparition. Ses obsèques, suivies par des milliers de personnes furent l’occasion d’échauffourées, la police ayant maladroitement tenté de saisir les drapeaux rouges portés par les participants. Pour Pottier, et c’est là sa grande originalité, le discours politique s’exprime en poésie : il écrit presque uniquement en période de crise politique, 1842, 1852 (il garde une dent acérée contre le coup d’État de Louis-Napoléon), et bien sûr 1870. A son retour d’exil, il écrit abondamment pour dénoncer la misère du prolétariat :
On ne connaît bien la misère
Qu’en la combattant corps-à-corps
Ceux qui n’ont pas le nécessaire
Souffrent mille morts.
Il critique, toujours en vers, les scrupules de la Commune qui, trop vertueuse, se refusa à prendre dans les coffres de la Banque de France :
Ton erreur fut grande
Tu ne pris pas la Banque.
Son arme favorite est l’ironie, elle est féroce comme en témoigne cette « Pétition des épiciers à la Constituante de 1848 » :
Complotant de grands entrepôts
Les masses égarées
Se cotisent pour faire en gros
Achat de leurs denrées
Si l’on doit nous ruiner
Autant nous guillotiner (refrain)
Protéger la boutique
Comme l’ont fait tous vos devanciers
Et que la République
Profite aux épiciers.
Et ce petit bijou :
Crois-tu, quand la Commune a troué la masure,
Reboucher la crevasse avec un septennat ?
« L’Internationale » sera mise en musique par Pierre Degeyter en 1888. Pottier n’entendra donc jamais chanter cet hymne du prolétariat. Son nom s’effacera même de la mémoire collective, sa chanson sera souvent attribuée à Degeyter ou Jean-Baptiste Clément. C’est peut-être en cela que Pottier est un authentique écrivain populaire : on se souvient d’une oeuvre dont l’auteur est oublié.
...Tout ça n’empêche pas, Nicolas/Qu’la Commune n’est pas morte...
Claude Chaix