Il est un coin du XIXe arrondissement de Paris, entre le Parc des Buttes Chaumont et le boulevard Serrurier, on l’appelle le quartier de la Mouzaïa : petites rues autour d’une place centrale, jolies maisonnettes basses avec jardinets, un quartier charmant et paisible.

Au nord, la «  rue des carrières d’Amérique » nous indique que pendant plusieurs siècles tout ce quartier n’était que carrières exploitées pour leurs pierres meulières et leur gypse que des fours transformaient en plâtre, et que ce plâtre était exporté en Amérique d’où le nom de la rue.
Tout près : « rue de la Solidarité » au n° 1, sur une plaque discrètement accolée à une maison, on peut lire que «  tout près d’ici reposent de très nombreux citoyens morts en mai 1871 pour la République et la Liberté  ». On cherche au cimetière de la Villette tout proche : rien. Alors où chercher ?

Les archives de la Préfecture de Police de Paris nous fournissent une piste. En effet, dès octobre 1871, à la demande du Préfet de police, une enquête est diligentée au sujet des sépultures d’insurgés situées dans les contrescarpes des fortifications de Paris…

Au lendemain de la Commune, il s’agissait d’effacer toute trace des combats et du massacre des communards…

Un rapport daté du 31 octobre 1871, très circonstancié, nous permet de retrouver en partie où ont été ensevelis les « insurgés ». Dans ce rapport qui fait le tour des fortifications de Paris, il est indiqué :

  • le Point du Jour (aujourd’hui Porte d’Auteuil) jusqu’à la Porte d’Asnières, où les cadavres inhumés ont été transportés ailleurs.
  • La porte Uhrich (aujourd’hui Porte Dauphine) où se trouvent deux petits tumulus sous lesquels suivant les dires des employés de l’octroi, seraient trois corps d’insurgés.
  • Le bastion 37 (aujourd’hui entre la Porte de Clignancourt et l’impasse Lecuyer), la terre fraîchement remuée indique l’emplacement de tombes.
  • Le bastion 10 (aujourd’hui Porte de Vincennes, à hauteur de la rue de Lagny), on voit un petit tertre de peu d’élévation contenant, assure-t-on un cadavre. Des fleurs aujourd’hui desséchées ont été plantées il y a quelques jours.
  • Le bastion 84 (aujourd’hui, avenue Caffieri parallèle au boulevard Kellermann), on remarque plusieurs monticules paraissant être des sépultures. Des travaux de terrassement font supposer que les exhumations ont déjà eu lieu.
  • Rue de Vanves (Porte de Vanves au niveau de la rue Raymond Losserand) subsiste encore un des deux fossés dans lesquels on avait placé les corps de sept insurgés.

Le rapporteur semble satisfait du travail d’exhumations : « les travaux entrepris sur toute l’étendue des remblais des fortifications tendent du reste à faire disparaître toute trace d’inhumation. »

Carrières d'Amérique, vue prise des fortifications vers les Buttes Chaumont, 19ème arrondissement, Paris – On aperçoit au loin le promontoire du parc des Buttes-Chaumont – Entre 1872 et 1879 - Photo Charles Marville  (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)
Carrières d'Amérique, vue prise des fortifications vers les Buttes Chaumont, 19ème arrondissement, Paris – On aperçoit au loin le promontoire du parc des Buttes-Chaumont – Entre 1872 et 1879 - Photo Charles Marville  (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

Toutefois, un point noir subsiste au niveau des carrières d’Amérique. Il écrit :
 

«  On m’a informé qu’il existait dans les Carrières d’Amérique deux fosses dont j’ai fait reconnaître la situation. Elles se trouvent dans un précipice qu’on appelle « la Cloche » et dont la profondeur atteint environ 40 mètres. La première qui a environ 20 mètres de circonférence renferme 75 cadavres enterrés à une profondeur de 5 mètres et recouverts de chaux. La seconde dont l’étendue est double abrite de 870 à 875 corps enfouis à une profondeur de six mètres et également recouverts de chaux.
Ces fosses qu’aucun insigne extérieur ne décèle sont visitées journellement par des femmes qui viennent y pleurer. Elles ont servi à enterrer les morts du 2e secteur dans lequel d’ailleurs elles sont situées, à 200 mètres environ du bastion 22 (aujourd’hui au-dessus de l’ancien hôpital Hérold, boulevard Sérurier). On craint qu’elles ne soient l’objet d’un pèlerinage à l’occasion de la Toussaint. »

Une annotation en marge de ce paragraphe indique qu’une surveillance spéciale sera exercée.

Hier, ces communards étaient pleurés, aujourd’hui nous demandons qu’ils soient réhabilités.

SYLVIE PÉPINO

Sources

Archives de la Préfecture de Police ; Archives de Paris, Plans parcellaires de 1860 et les plans de 1808-1825

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