Le boulevard de Clichy, entre la place Pigalle et la place Blanche, avec ses boîtes à strip-tease, ses peep-shows et autres sex-shops, offre un morne spectacle que certains osent qualifier de pittoresque.

Mais soudain, au n°58, quelle surprise ! … A travers une importante grille de fer forgé, on aperçoit, au-delà de la sombre voûte, dans un halo de lumière, la façade ouvragée d’une maison modern-style.

Villa des platanes
Villa des platanes

Un superbe escalier, en spirale à double volutes, terminé par deux statues porte-flambeau, constitue le principal élément décoratif de ce bâtiment situé dans la première cour du domaine.

Ce n’est que le début d’un remarquable ensemble monumental qui comporte plusieurs corps de bâtiments d’habitation et un agréable espace vert. Cette réalisation est due à l’architecte Deloeuvre, en 1896 ; elle est appelée la « Villa des Platanes  », et parfois la « Cité des Platanes ».

Une autre issue de la Villa des Platanes est située à l’extrémité de la rue Robert-Planquette (Anciennement avenue des Tilleuls) à la hauteur du 22, rue Lepic. La Villa des Platanes a connu, à la fin du XIXe siècle, de plus illustres voisins que ceux d’aujourd’hui : au n° 54 de l’avenue de Clichy, la brasserie des frites révolutionnaires de Maxime Lisbonne –Le D’Artagnan de la Commune- et, au n° 62, un célèbre cabaret de chansonniers, «  Les 4 Z’arts ».

A l’emplacement de la Villa des Platanes existait, à l’époque romantique, un vaste enclos qui s’appela « Lucas  » puis «  La Californie ». C’était un ensemble de pavillons, de jardins, et même une ancienne « folie » du 18e siècle, qui existe encore, « La Villa des Tilleuls ».

Mais le plus curieux, dans ce domaine du rêve, reste encore à découvrir : sur un des anciens murs de la première cour de la Villa des Platanes, ce sont trois bas-reliefs bois sculpté qui évoquent les événements de la Commune.

Pourquoi cette évocation de la Commune dans la Villa des Platanes ? Il faut se reporter à la situation militaire de Montmartre au printemps 71 et pendant la « Semaine sanglante  », pour en saisir la raison.

Les canons du Champ des Polonais à Montmartre durant la Commune de Paris 1871
Les canons du Champ des Polonais à Montmartre durant la Commune de Paris 1871

Après le 18 mars, de nombreux canons restèrent parqués au lieu dit « Le Champ des Polonais », derrière le chevet de l’église Saint-Pierre de Montmartre. Mais ces pièces étaient mal entretenues et, pour la plupart, inemployées. Les barricades étaient inexistantes. Si l’artillerie et le génie avaient été bien employés, ils auraient fait de Montmartre une forteresse inexpugnable.

Jean-Baptiste Clément, membre de la Commune pour le 18e arrondissement et délégué à la surveillance de la fabrication de munitions, s’était rendu compte du mauvais état de la défense de Montmartre : des obus traînaient partout, alors que des canons manquaient de munitions. Il sermonna rudement ses deux collègues de la Commune, membres, eux aussi, de la Commission de la fabrication des munitions :

«  Nom de Dieu de merde, Assi et Sicard, je vous brûle la gueule si demain matin vous ne m’envoyez pas à la Mairie de Montmartre (place des Abbesses) un homme avec mandat, chevaux et voitures, pour nous enlever de la poudre, des fusées, artifices de Konvische, Ruggieri, plus des caissons de balles de mitrailleuses, plus, pour voir, les deux forteresses Babli que nous avons là, plus la machine électrique pour éclairer la plaine.  » [1]

Il s’agit, sans doute, de transporter du matériel stocké à la mairie du 18e pour être utilisé sur différents points stratégiques de la butte.

Malgré les efforts de l’auteur du « Temps des cerises » pour pallier les défaillances de la défense, il est déjà trop tard pour redresser une situation si compromise. Le chef de la 18e légion, Millière (homonyme du député fusillé sur les marches du Panthéon) est incapable de prendre une initiative rigoureuse. Plusieurs bataillons du 18e sont engagés à l’extérieur de l’enceinte et ne pourront rejoindre leur arrondissement, en ordre dispersé, qu’après l’entrée des Versaillais dans Paris.

Le 23 mai 1871, après la prise des Batignolles et de la place de Clichy, Montmartre est attaqué sur trois points à la fois au nord par Saint-Ouen, car les Prussiens ont laissé le passage des Versaillais dans la zone neutre, au centre par le cimetière de Montmartre (où Louise Michel s’est bien battue), et au sud par les boulevards extérieurs.

Bas-relief insolite, villa des Platanes - des combats de 1830
Bas-relief insolite, villa des Platanes - des combats de 1830

Les soldats de ligne grimpent aux buttes par les pentes qui y conduisent Rue Lepic, la résistance est très vive à la barricade qui défend la place Blanche. Un groupe de femmes, animé par Elisabeth Dmitrieff et Nathalie Le Mel, se joint aux fédérés ; après avoir subi de nombreuses pertes, les combattants se replient sur la place Pigalle.

 

Après la prise de Montmartre, on tua partout : 

« Autant de rues comptait la butte, autant on peut compter de tueries  », dira Camille Pelletan, dans La Semaine sanglante : 

- Tuerie rue des Abbesses, au coin de la rue Germain-Pilon 
- Tuerie rue Lepic, au coin de la rue Tholozé ; le long de la maison portant le numéro 48, vingt corps restent alignés sur le trottoir 
- Tuerie place de la Mairie. Les fédérés qui se trouvaient là sont percés à coups de baïonnette 
- Tuerie rue des Poissonniers 
- Tuerie au Moulin de la Galette. Les Gardes nationaux y sont surpris, cernés, désarmés. On en exécute quelques-uns sur place ; les autres sont emmenés au sommet de la butte, versant nord, sur l’emplacement d’une batterie destinée, pendant le siège, à combattre les batteries prussiennes de Stains, et y sont fusillés 
- Tuerie au Château Rouge. On portait les cadavres dans la cour d’une école voisine où l’on avait installé une morgue /…/ 
- Tuerie dans un petit enclos, rue des Carrières (rue Eugène-Carrière).

On avait pris dans la même rue treize des défenseurs de la barricade, dont deux blessés. On les fusilla tous. » [2]

Plusieurs de ces massacres ont eu lieu dans le quadrilatère formé par le boulevard de Clichy, la rue Lepic, la rue des Abbesses et la rue Germain-Pilon. Le centre en était la Villa des Platanes. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’un artiste inconnu, peut-être témoin oculaire de la barbarie versaillaise, ait voulu laisser une trace de ces tragiques événements.

Précisons que la Villa des Platanes est un domaine strictement interdit aux étrangers à la cité.

 Marcel CERF

Documentation

  • Montmartre-Clignancourt 18ème . Edit. Village Communication, 1995.
  • Les grandes demeures montmartroises, Paris aux cent villages, n°63, juin 1982.
  • Montmartre à la Une, n°3, 2ème trimestre 2003, Les mystères de la Californie, Hector Plasme.
[1] Arch. Nat. Dossier J.- B. Clément – BB 24/855 – S-79-1765

[2] La Commune de Paris – Actes et documents – Episodes de la Semaine sanglante, Editions Clarté, 1921

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