Une pure invention :
« À coups de canons tirés du haut de Montmartre, la Commune de 1871 tente de détruire cette colonne qui, pour ces Républicains extrêmes, reste un symbole d’alliance entre un souverain et son peuple. La colonne reste debout et la République aussi. »
Assiste-t-on à un retour en force de la légende noire de la Commune ? Outre Jean Sévilla, journaliste du Figaro, qui résume l’événement à une réunion de soudards, c’est principalement à travers les écrits de Lorànt Deutsch que les pires lieux communs versaillais, notamment étudiés par Paul Lidsky [1], trouvent un nouvel écho. Sous sa plume, la Commune est tout d’abord minimisée.
En effet, alors qu’il consacre dans son livre Métronome respectivement huit, treize et quinze pages aux mythes (et pas à l’histoire) de saint Denis, de sainte Geneviève et de Pépin le Bref, l’acteur ne laisse à la Commune qu’un petit paragraphe [2] et quelques allusions éparses dans lesquelles il développe trois accusations contre les fédérés.
Tout d’abord, leur mouvement n’est pas le fruit d’une conviction politique et sociale, mais selon l’auteur d’une confusion, née d’une « fureur populaire », qui prendrait la capitale d’autant plus facilement que les soldats rompent les rangs parce que « fatigués, démoralisés, déboussolés » (page 353).
Une confusion dont évidemment l’Association internationale des Travailleurs aurait profité pour « ordonner » (c’est le verbe employé) l’insurrection à partir de son local du 14 rue de la Corderie (page 340). Or les travaux de Jacques Rougerie montrent bien que l’Association, divisée et encore affaiblie par les vagues de répressions sous le Second Empire, était en retrait au début de l’insurrection. En fait, Lorànt Deutsch ne fait que reprendre des poncifs de la propagande versaillaise (et plus largement du discours contre-révolutionnaire depuis l’abbé Barruel) développée notamment pour disqualifier la Commune en tant que mouvement populaire et parisien [3].
Mais Lorànt Deutsch ne répète pas seulement ce qu’il a (mal) lu. Il invente aussi. Par exemple, pour conclure le chapitre de Métronome consacré à la Bastille, il explique que :
« À coups de canons tirés du haut de Montmartre, la Commune de 1871 tente de détruire cette colonne qui, pour ces républicains extrêmes, reste un symbole d’alliance entre un souverain et son peuple. La colonne reste debout et la République aussi. » (page 336).
Une telle affirmation relève de la confusion entretenue avec la colonne Vendôme et du mensonge éhonté. Tout d’abord, au moment où la Bastille est prise par les versaillais, le 26 mai, les hauteurs de Montmartre étaient déjà occupées depuis trois jours par l’armée régulière.
Pour détruire la Bastille, les fédérés auraient donc dû tirer sur leurs propres lignes, au milieu d’un quartier qui leur était acquis. Suite à une polémique publique en juillet dernier, Lorànt Deutsch affirmera l’authenticité de ses propos et citera deux sources, Lucien le Chevalier et Charles Hennebert, auteurs versaillais, précisions-le au passage [4]. Mais après vérifications, aucun des deux ne parle d’une pareille canonnade.
Lucien Le Chevalier affirme que les communards ont bien voulu détruire la colonne de juillet, avec un incendie allumé dans les sous-sols du monument [5].
Quant à Hennebert, officier de l’armée de Versailles, il n’hésite pas à souhaiter la chute de la colonne de la Bastille qu’il voit comme un symbole révolutionnaire avant d’affirmer que, s’il y a bien eu tir sur le quartier de la Bastille, c’était le fait de l’artillerie versaillaise [6] !
Une recherche en archives dans les cartons du ministère des Beaux Arts enfonce le clou. Dans un rapport daté du 22 octobre 1871, un fonctionnaire date bien les dégâts au 24 mai (donc, après la chute de Montmartre). Il parle certes de l’incendie souterrain (qui semble être une réalité, car des frais sont engagés peu après pour la réfection des voûtes soutenant la colonne) et de trous d’obus, mais ces derniers seraient causés « par l’attaque et la défense ». Les dommages qu’aurait subis la colonne seraient donc dus aux combats, notamment à l’artillerie versaillaise (on imagine mal les communards tirant sur leurs propres positions).
Pourquoi un tel mensonge de la part de Lorànt Deutsch ? Une relecture attentive montre bien qu’il veut surtout promouvoir l’idée d’une monarchie constitutionnelle. D’une phrase à l’autre, la colonne attaquée, « symbole d’alliance entre un souverain et son peuple », reste finalement debout, « la République aussi ». Celle-ci, selon l’acteur, se résumerait au contrat passé entre un souverain et ses sujets.
De propagateur de la légende noire, l’acteur se fera ensuite héraut de l’oubli. La version télévisuelle de Métronome (financée par le service public à hauteur d’un million d’euros) ne fera plus aucune allusion à la Commune pour mieux célébrer le baron Haussmann. Jules Vallès ne devait pas être assez télégénique…
WILLIAM BLANC
Nous remercions Éric Fournier, auteur d’un livre récent Paris en ruines : du Paris haussmannien au Paris communard, Paris, Imago, 2007, pour ses éclairages et conseils.
William Blanc est doctorant en histoire
Notes
[1] Lidsky Paul, Les écrivains contre la Commune, Paris, La Découverte, 2010.
[2] Deutsch Lorànt, Métronome, Paris, Michel Lafon, 2009, page 353.
[3] Voir Tombs Robert, Les Versaillais et les étrangers, Migrance, 35, 2010.
[4] Le Figaro, 11 juillet 2012.
[5] Le Chevalier Lucien, La Commune, 1871, Paris, 1871, page 77.
[6] Hennebert Eugène, La Guerre des Communeux, Paris, 1871, pages 48 et 258.