Nous avons commencé l’année 2010 avec une peine immense à l’annonce du décès, survenu le 1er janvier, de notre très cher ami et doyen Marcel Cerf. Marcel était, de très loin, celui d’entre nous qui connaissait le mieux la Commune. Nous publions, cidessous, l’hommage que lui à rendu Jacques Zwirn lors de ses obsèques, le 8 janvier 2010 au cimetière de Montrouge à Paris.

Marcel est mort. Il était le meilleur d’entre nous, Amis de la Commune.

Notre peine est immense.

Mais il ne faut pas — ceci s’adresse à vous, Claudine, Cypora, Grégory (1) — mais il ne faut pas être triste. L’association avait fêté les 85e, 90e, 95e anniversaires de Marcel. Elle se préparait au centième. Cette très longue vie a été pleine, dense, utile, féconde. Donc, pas de tristesse, mais du respect, de la reconnaissance et de la tendresse.

Cette longue vie avait présenté des facettes multiples. Deux exemples. Marcel fut, avant la dernière guerre, reporter-photographe à Regards, magazine communiste qui révolutionna ce genre de publication dans les années trente avec les signatures des plus célèbres écrivains et photographes.

Marcel Cerf en 1935 (autoportrait)
Marcel Cerf en 1935 (autoportrait)

Quand on lui demandait ce qu’il y faisait, Marcel répondait qu’il n’était ni Robert Capa ni Chim (David Seymour) et qu’il couvrait les matches des équipes de football de la FSGT dans les villes de la banlieue parisienne. Soit. Mais la première de couverture du célèbre numéro de Regards du 14 juillet 1936, avec la photo d’une superbe jeune femme coiffée d’un bonnet phrygien, était l’œuvre de Marcel… comme bien d’autres dans les domaines politiques, sociaux, en France et à l’étranger.

Il fut, après la guerre, le collaborateur historique avisé, sous la signature de Jacques Sylvère, de la Presse nouvelle hebdomadaire, publication de l’UJRE, Union des Juifs pour la résistance et l’entraide.

Mais l’essentiel de son activité fut consacré à la Commune et à notre association. Il en avait été proche avant la guerre. Après celle-ci, elle sombra rapidement dans le sommeil, belle au bois dormant qui fut ressuscitée par Jacques Duclos en 1961-62, en prévision du centième anniversaire. Marcel était, semble-t-il, un des deux rescapés de cette renaissance.

La Commune de Paris faisait l’objet de son principal intérêt. Être l’arrière-petit-neveu de Maxime Vuillaume, journaliste communard, l’auteur des Cahiers rouges, y contribua sans doute. Auteur d’ouvrages de référence sur Henri Bauër, Edouard Moreau, Maxime Lisbonne (Claudine et son amie Jacqueline Marguerite, firent, sur la base de ce dernier livre, un film pour le Centre national de documentation pédagogique), Marcel accéda, un temps, au poste de secrétaire, fut membre de la commission à la culture… Mais ce n’est pas dans ces fonctions «officielles» que s’exerçait son influence déterminante.

Il consacra certes aux publications des Amis de la Commune un travail considérable par ses monographies (Les cahiers rouges, Antonio de la Calle…) et ses innombrables articles, toujours documentés et instructifs. Il était, de très loin, celui d’entre nous qui connaissait le mieux la Commune, qui la fit le plus connaître et donc aimer. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg… Elle permet cependant de rappeler que Marcel possédait un sens de l’humour, discret mais parfois vachard.

Son influence indirecte, non visible, se situe ailleurs. Parmi tous ceux qui l’ont connu depuis un demi-siècle, plusieurs décennies ou quelques années, aucun ne l’a jamais surpris en défaut d’intelligence, de gentillesse, de disponibilité et, cela va de soi, de compétence. Il se mettait au service des autres. Rares sont celles et ceux, auteurs anonymes de nos monographies thématiques, qui n’aient pas eu recours à ses connaissances et ses conseils pour sortir un travail propre.

C’est pourquoi, au-delà de la reconnaissance et de l’estime, nous éprouvions pour lui de la tendresse, une immense, une infinie tendresse.

Nous l’aimions. Et puisque nous parlons d’amour, il faut associer à Marcel le souvenir de sa compagne, Cécile. Très jeune, dès 14 ans, elle avait été, dans les années trente, une militante révolutionnaire contre le régime militaro-fasciste polonais. Elle se réfugia en France et connut Marcel. La guerre les sépara : il fut prisonnier. Ils se retrouvèrent à la Libération. Mais c’est après la mort de Cécile, en 1973, qu’il apprit son rôle important dans la Résistance en France, au sein des FTP-MOI (2). Elle partageait ainsi avec lui deux vertus qui ne sont pas des plus répandues, la modestie et la discrétion. Chacun d’entre nous pourrait en témoigner.

Salut Marcel ! Salut et fraternité !

Vive la Commune !

(1) Fille et petits-enfants de Marcel Cerf ;

(2) Francs tireurs et partisans français - Main d’œuvre immigrée

Une longue et riche vie

 Marcel Cerf aux Amis de la Commune
Marcel Cerf au local des Amies et Amis de la Commune

Marcel Cerf est né le 4 octobre 1911 à Versailles. De 1929 à 1935, aux côtés de René Lefeuvre, futur éditeur de Rosa Luxemburg et de Victor Serge dans la revue Spartacus, Marcel Cerf participe aux amis du Monde, journal d’Henri Barbusse. Il est très actif dans la commission Cinéma.

 Marcel Cerf (autoportrait) en 1933 au cinéma Rex, cabine de projection (source La maison de Claudine)
Marcel Cerf (autoportrait) en 1933 au cinéma Rex, cabine de projection (source La maison de Claudine)

En 1934, il épouse Cécile Salit, disparue en décembre 1973, connue sous le nom de Cécile Cerf, qui deviendra un des cadres du groupe de Résistance FTP-MOI et co-fondatrice de la Commission centrale de l’enfance (CCE).

 Marcel Cerf (autoportrait) à Wilno 1933
Marcel Cerf (autoportrait) à Wilno 1933 (source : Cécile Cerf)

Reporter-photographe à Regards en 1935-36, Marcel Cerf couvre les meetings et les manifestations politiques et sportives. Certaines de ses photos font la couverture de l’hebdomadaire.

Lors d’une rétrospective consacrée au Front Populaire, plusieurs photographies de Marcel Cerf montrant des scènes de congés en 1936 ont été exposées en 2006 au musée du Jeu de Paume à Paris. En 2009-2010, un documentaire TV et une exposition à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration à Paris, ont emprunté à Marcel Cerf ses images d’avant-guerre sur les musulmans de France.

 Rencontre des membres de l’Etoile Nord-Africaine dans un café en région parisienne (photo Marcel Cerf vers 1936; source association Génériques
Rencontre des membres de l’Etoile Nord-Africaine dans un café en région parisienne - Photo Marcel Cerf vers 1936 (source association Génériques)

Après cinq ans de captivité en Allemagne pendant la deuxième Guerre mondiale, Marcel Cerf devient spécialiste du mouvement insurrectionnel de la Commune de Paris. Lié, par sa famille maternelle, à Maxime Vuillaume, il a lu Les Cahiers rouges dès sa jeunesse.

En 1950, il adhère aux Amis de la Commune de Paris et joue un rôle de premier plan dans cette association dont il est vice-président.

De 1965 à 1981, il est rédacteur de la page «histoire» de la Presse nouvelle hebdomadaire et, de 1975 à 1985, directeur des Cahiers de l’Académie de l’Histoire dont le président est Jean Savant.

Marcel Cerf, historien reconnu de la Commune, a écrit de nombreux articles et fascicules. Dans ses ouvrages, il se consacre à l’analyse rigoureuse de la «Révolution du 18 mars» à partir de portraits sensibles de communards sur lesquels il jette un éclairage nouveau.

Un article lui est consacré dans Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social, tome III.

Parmi les ouvrages de Marcel Cerf, citons : Maxime Lisbonne, le d’Artagnan de la Commune ; Edouard Moreau, l’âme du comité central de la Commune de Paris ; Henri Bauër, le mousquetaire de la plume.

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