Jean Cabut, dit Cabu, un des parrains et adhérents de notre association, est mort dans l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier, avec ses potes dessinateurs : Charb, Honoré, Tignous, Wolinski. Il a été enterré, le 16 janvier, à Châlons-en-Champagne (Marne), sa ville natale. Anar rêveur derrière ses lunettes cerclées, le bonhomme à l’éternelle coupe au bol n’avouait qu’un regret, celui de n’avoir pas toujours été assez féroce vis-à-vis du pouvoir, du conformisme, des sportifs ou de la télé. Le dessinateur, qui travaillait pour les deux grands hebdomadaires satiriques, expliquait leur différence :
« Dans Le Canard enchaîné, il y a des limites (la mort, le sexe…), dans Charlie Hebdo, on peut tout dire, tout dessiner. »
Ses caricatures de Mahomet, publiées en 2006, étaient les plus caustiques parmi celles qui avaient valu à l’équipe de Charlie des menaces de mort et l’incendie de leur local en 2011.
Ses soixante ans de carrière et ses 35 000 dessins ont fait de lui l’un des plus grands caricaturistes français, dans la lignée de L’Assiette au beurre, journal satirique anarchiste du début du XXe siècle, anticolonialiste, anticlérical, antimilitariste et anticonformiste.
« La caricature de presse est vraiment née au début du XIXe siècle, avec Daumier, Cham, puis un peu plus tard avec André Gill, sous le Second empire »,
dont certaines caricatures sont restées célèbres : Gambetta, Victor Hugo, Thiers, explique l’historien Christian Delporte, sans oublier « Mme Anastasie », incarnation de la censure de la presse jusqu’en 1881. En 1960, Cabu rejoint la joyeuse bande d’Hara-Kiri, où sévissent Cavanna (membre lui aussi de notre comité de parrainage), Reiser, Topor, Fred, Wolinski… D’abord mensuel, puis hebdomadaire, Hara-Kiri sera interdit le 16 novembre 1970, pour avoir annoncé le décès du général de Gaulle sous le titre :
« Bal tragique à Colombey : 1 mort. »
Charlie Hebdo est né.
« Deux marchands d’armes se partagent la presse ».
À Pilote, revue de BD dirigée par Goscinny, Cabu crée « le Grand Duduche », le cancre révolté et sympa, qui l’accompagnera tout au long de sa carrière. « C’est le seul personnage positif que j’ai jamais dessiné, les autres sont des monstres », confiait-il. Parmi ses « monstres » les plus célèbres figure « l’adjudant Kronenbourg », le militaire tortionnaire buveur de bière, souvenir de ses vingt-sept mois de service militaire pendant la guerre d’Algérie. Mais son coup de génie, sera son « Beauf », apparu en 1973 dans Charlie Hebdo. L’archétype du Français rouspéteur, alcoolique et raciste, inspiré d’un patron de bistrot, dont il fait une vedette. Au point de le faire entrer dans le dictionnaire Le petit Robert.
« Beauf : beau frère (d’après une BD de Cabu). Français moyen aux idées étroites, conservateur, grossier et phallocrate. »
Travailleur compulsif, Cabu dessinait tout le temps. Dans la rue ou sur les nappes des tables des troquets de Saint-Germain-des-Prés où il s’était établi « à cause des boîtes de jazz ». Du général de Gaulle à François Hollande, Cabu a croqué tous les présidents de la Ve République. Avec un petit faible pour Sarko, qu’il représentait en lutin frénétique avec des cornes de diablotin. « Les dessinateurs vivent de la bêtise et ça ne régresse pas », constatait-il en riant.
Au titre de membre du comité de parrainage de notre association, Cabu avait en 2005 dessiné l’invitation pour le 120e anniversaire de la mort d’André Gill, célébré dans les jardins du Musée Montmartre. Cabu avait représenté les deux grands patrons de presse Dassault et Lagardère sur une paire de ciseaux, avec cette légende :
« La censure aujourd’hui est économique. Deux marchands d’armes se partagent la presse en France ».
JOHN SUTTON