Un parcours communard exceptionnel au cimetière Montparnasse

Le dimanche 22 mai 2022, en plus de notre traditionnel hommage aux communards jetés dans la fosse commune du cimetière Montparnasse, nous avons réalisé, drapeau rouge en tête, un parcours sur les tombes des communards (et assimilés) enterrés au sein du cimetière. Ce nouveau parcours, élaboré par la commission culture et suivi par une centaine de personnes, a permis de visiter et déposer un œillet sur une dizaine de tombes, dont celles de Goupil (le premier président de notre association), de Dalou, d’Agar et de Vuillaume. Une gerbe fut déposée lors de la cérémonie finale. Le parcours et la cérémonie furent accompagnés en musique par les brigades Louis Michel. Un évènement exceptionnel qui a enchanté les participants.

porte drapeau devant la banderole dans l'allée du cimetière
crédit : Eric Coulaud

Vous pouvez retrouver toutes les vidéo dans la play liste ou sur cette même page. Les textes sous les vidéos correspondent aux interventions.

Le parcours

Pierre Larousse

Charles Robert

Joseph Proudhon

Proudhon a exercé une influence idéologique avant et pendant la Commune de Paris. Cela prend la forme d’un socialisme associatif et fédéraliste, qui se concrétise en associations ouvrières et en une gestion associative des institutions.
Il est né à Besançon en 1809. Typographe, il évolue dans un univers protoindustriel. Les ouvriers de l’époque ne constituent pas un prolétariat, car ils sont encore dans un système de production artisanale. Le peuple ouvrier lutte pour maintenir son autonomie et son émancipation face au capital.
En 1840 Proudhon écrit « Qu’est-ce que la propriété ?». Sa provocation quand il déclare : « la propriété c’est le vol » lui donne une certaine notoriété. Cependant cela n’empêche pas Proudhon de défendre le droit de possession des petits propriétaires.
En 1846 il publie « La philosophie de la misère » qui connait une riposte fracassante l’année suivante de la part de Marx dans sa « Misère de la philosophie ». Marx y traite Proudhon de « petit bourgeois constamment balloté entre le capital et le travail »
C’est à cette époque que Proudhon s’installe définitivement à Paris. Il est journaliste au « Représentant du Peuple » quand se déclare la révolution de 1848. Il est élu à l’Assemblée nationale lors de l’élection partielle du 4 juin. Et c’est à l’Assemblée qu’il défendra les insurgés des journées de juin 1848.
Condamné à la prison sous le Second Empire, il s’exile à Bruxelles. De retour à Paris en 1860, il publie plusieurs ouvrages, dont son testament politique en 1864 : « De la capacité politique des classes ouvrières », dans lequel il envisage la destruction graduelle de l’Etat. Il décède le 19 janvier 1865, soit six ans avant la Commune de Paris

François ou Francis Jourde

Sa tombe qui était division 3 a disparue et ses ossements ont été transférés au  Père Lachaise.

Francis Jourde fut élu de la Commune pour le 5èm arrondissement et élu le 29 mars à la commission des Finances.

Il fut l’auteur de différents projets, sur les échéances, le Mont-de-Piété, la pension aux femmes, mariées ou non, de gardes nationaux tués “ pour la défense des droits du peuple ”.

Il s’opposa vivement à la constitution du Comité de Salut Public

Condamné à la déportation en Nouvelle Calédonie, il s’échappa en compagnie de Rochefort en 1874.

Il fut enterré au cimetière Montparnasse le 24 mars 1893 en présence notamment d’Édouard Vaillant, Léo Frankel, Jules Martelet et Zéphirin Camélinat. « Les amis du défunt avaient voulu placer un drapeau rouge sur le cercueil, mais la police le leur a interdit »

Edmond Goupil

Né en 1838 à Mayenne Edmond Goupil s’installe à Paris en 1860. Il y achève sa thèse de médecine.
Il fréquente les cabarets et cafés concerts. Bon nombre de compositeurs mettent en musique ses poèmes. Il y rencontre sa femme, jeune chanteuse et artiste dramatique avec laquelle il aura 3 filles.

Edmond Goupil est profondement un humaniste.
Tous ces artistes qu’il fréquente sont sans protection sociale, il participe à la fondation d’une mutuelle, l’association des artistes lyriques.
Après la commune, il créra avec Victor Hugo « la ligue de l’intérêt public » société protectrice des citoyens contre les abus. Cette association préfigure « la ligue des droits de l’homme ».
Il préside en 1914 « La ligue pour la protection de l’enfance ».
Il lance en 1908 une pétition contre la peine de mort.

Edmond Goupil est un inventeur.
Le Docteur Goupil a imaginé l’uroscopie, une technique fondant les diagnostics sur des examens d’urine.
Il fut aussi l’inventeur du « kiosque-signal de circulation », précurseur des feux tricolores.
Testé en 1912 au "carrefour des écrasés », intersection du boulevard Montmartre et Poissonnière.
Mais le « Goupillon » comme le surnomma les parisiens, fut vite retiré car il provoquait l’attroupement de nombreux curieux et ses signaux n’étaient pas respectés.

Edmond Goupil s’est toujours engagé
Il est partisan de la Commune. Il écrira en Novembre 1870 : « Pourquoi que la commune ne se constitue-t-elle pas? Tout pouvoir vient d’en bas, la souveraineté se délègue par le pouvoir du peuple. »
Il esquissa sa composition (80 membres) son rôle (alimentation, assistance, instruction)

Il est élu en février 1871 par l’Internationale à la Chambre Fédérale des sociétés ouvrières.
Le 26 mars élu de la commune, il est à la commission de l’enseignement.
Il s’opposera au Comité Central sur l’attaque contre Versailles, sur les mesures prises contre la liberté de la presse et le clergé.

Suite à l’amnistie de 1880, il s’engage dans le soutien aux communards de retour d’exil.
Il leur rédigera un poème « Cage aux parisiens » pour fêter leur retour.
Il fut à l’origine du monument élevé à son ami Eugène Pottier au Père Lachaise et du monument dédié aux communards, ici, au cimetière Montparnasse.

Il créera l’association « solidarité des proscrits de 1871 ». Cette association deviendra ‘Association fraternelle des anciens combattants et amis de la commune ».
C’est l’ancêtre de notre association aujourd’hui. « Les amis de la commune de Paris ».
Goupil en fut le président jusqu’à 1918.

Denis Dussoubs

Cette division abrite la dernière demeure du républicain Denis Dussoubs (1818-1851). Après avoir participé à la révolution de 1848, il s’opposa au coup d’Etat de 1851 : il revêtit l’écharpe tricolore de son frère député socialiste pour se rendre sur la barricade de la rue Montorgueil à Paris. S’avançant seul et désarmé face à la troupe pour convaincre les soldats de se rallier à la République, il y mourut d’une balle de fusil. Il devint ainsi, à l’instar de Baudin ou plus tard de Victor Noir, un martyr républicain et c’est en tant que tel que son tombeau est connu.


Sur la stèle, un bas-relief en bronze représente au centre, une barricade ; à droite, Dussoubs, debout, étendant la main droite dans la direction d’un peloton de soldats qui le mettent en joue ; à gauche, un officier, le sabre levé, commande l’exécution ; au second plan, près de Dussoubs, un soldat, muni d’une lanterne, éclaire la figure du combattant afin qu’on le puisse viser sûrement. Cette clarté permet de lire le nom de la rue « Mauconseil ». Une couronne de laurier et une palme en bronze sont fixées dans la stèle au-dessus du bas-relief. Sur la face postérieure du monument, ces mots : « Je meurs avec la République, ce fut sa dernière parole (Victor Hugo, Histoire d’un crime). L’ensemble des ornements de ce tombeau, élevé au moyen d’une souscription démocratique
en 1880, fut réalisé par le sculpteur Capellaro.


Dès les premiers jours de la Commune, Charles Capellaro appartint à la délégation municipale du XIe arr., Charles Capellaro appartint à la commission qui fit réquisitionner et brûler la guillotine — Il fut membre de la commission d’enquête constituée le 13 avril « pour les pensions et indemnités à accorder aux veuves et orphelins des victimes de la défense des droits du peuple ».
Le 5e conseil de guerre le condamna, le 13 mai 1872, à la déportation simple.
C’est à son domicile que fin avril 1881 une trentaine d’amnistiés ou d’anciens combattants de la Commune s’étaient réunis sous la présidence de Leverdays pour constituer un groupe révolutionnaire militant.

Jules Dalou

Nous sommes maintenant devant la tombe de Jules Dalou : sculpteur et communard
Vous avez vu une de ses œuvres sur la tombe de Charles Robert. Ici, la tombe est très simple.
Dalou est né en 1838 à Paris, il devient l’élève du sculpteur Carpeaux qui lui transmet le souci de vérité et de naturel qui s’oppose alors à l’art académique. Intègre et fier, Dalou ne fera jamais de concessions dans son art, même s’il a su s’adapter à des commandes privées et publiques.
Pendant la guerre franco-prussienne et sous la Commune, il est officier au 83ème bataillon fédéré.


Le 17 avril 1871, Dalou est élu à la Commission fédérale des Artistes, avec Courbet comme président.
La Commune réalise enfin l’accès de tous à la culture et rouvre les théâtres, les bibliothèques et les musées dans une atmosphère de fête. Les conservateurs en titre qui ne veulent pas rouvrir le musée du Louvre jouxtant le palais des Tuileries déserté, sont alors révoqués par la Commune et le Journal Officiel de la Commune du 17 mai, indique que Dalou est nommé administrateur provisoire adjoint des musées du Louvre. Mais 3 jours après, les conservateurs, aussi bien révoqués que provisoires, s’entendent pour apposer les scellés sur les portes et 47 gardiens du Louvre sont réquisitionnés pour construire des barricades dans Paris.
Voulant protéger sa femme, Irma Vuillier et à sa fille Georgette enterrées ici, Dalou n’est pas mort sur une barricade. Malgré l’incendie des Tuileries symbole de la Monarchie et la violence des événements, le conservateur révoqué Barbet de Jouy, facilite l’obtention d’un passeport pour Londres où la famille Dalou arrive le 6 juillet 1871.


Dalou dessine alors pour les journaux illustrés et réalise des terres cuites qui font sa réputation en Angleterre. Son influence est déterminante auprès des sculpteurs britanniques de la New Sculpture.
Le 3ème conseil de guerre du 1er mai 1874 condamne Dalou aux travaux forcés à perpétuité, par contumace.


En 1877, il reçoit commande d’une fontaine publique en marbre à Londres et d'un monument pour la reine Victoria.
Ayant refusé de demander grâce, ce n’est qu’à l’amnistie de mai 1879 que Dalou et sa famille rentrent d’exil après qu’il ait concouru pour une statue monumentale sur la place de la République. L’envoi de Dalou, ancien Communard, ne correspond pas aux critères requis et le jury choisit le projet engoncé dans la convention des frères Morice, « le Monument à la République ». Dalou en sculpte pourtant les bas-reliefs consacrés aux événements révolutionnaires de 1789 à 1880.


Cependant son groupe « Le Triomphe de la République » est commandé par la municipalité pour être érigé sur la place de la Nation. Dalou consacre 20 ans à la réalisation de sa « République en marche » inaugurée en 1899, avec ses 2 lions symbolisant la force populaire guidés par le génie de la Liberté qui regarde Marianne, accompagnés par la Justice, le Travail et l’Instruction.
Qu’ils soient de commande, comme ceux de Charcot, Delacroix, Mirabeau ou Hugo ; ou d’amitié, pour le tombeau de Blanqui au Père-Lachaise en 1885, Rochefort en 1888, de Courbet et de Victor Noir en 1890, ses portraits sont pleins de vérité psychologique.


Dalou meurt en 1902, sans avoir eu le temps de mener à bien son dernier grand projet, un Monument aux Travailleurs (ou Monument aux Ouvriers) devant mesurer 32 mètres de haut. Pour la statue du Grand paysan, il fait poser un véritable paysan et non un modèle d’atelier.

Pierre Leroux, l’inventeur du socialisme. Paris, 7 avril 1797 - Paris, 12 avril 1871.

Nous nous trouvons maintenant devant la tombe particulièrement bien conservée de Pierre Leroux.

Pierre Leroux est un penseur des débuts du socialisme, un socialiste utopique. En son temps, il était plus célèbre que Joseph Proudhon. Il passe pour l’inventeur du mot Socialisme.. « C’est moi qui le premier me suis servi du mot socialisme. Je forgeai ce mot par opposition à individualisme qui commençait à avoir cours. » Pierre Leroux, 1831

D’origine très modeste, il doit renoncer à rentrer à l’Ecole polytechnique et devient typographe. Il conçoit même en 1822 le linotype, première machine à composer à l’aide d’un clavier.

La pensée de Pierre Leroux est essentiellement religieuse, une religion de l'humanité qui s’appuie sur l’idée d’un apparentement très fort du socialisme et du christianisme. Il propose un solidarisme qui met l’égalité au centre de ses préoccupations.

Pourtant Leroux conçoit le rapport des classes en termes de « lutte de ceux qui ne possèdent pas les instruments de travail contre ceux qui les possèdent » et considère que la misère ouvrière n’est pas le résultat d'une loi de nature, mais d'un état de choses précis : la production capitaliste.

il exerce son influence surtout dans les milieux littéraires. George Sand en particulier adhère à sa pensée et lui est très proche. En 1844 c’est elle qui l’aide à s’installer à Boussac dans la Creuse pour créer une colonie qui réunit 80 personnes autour d’une imprimerie. Il devient même maire de Boussac et intervient pour que l’on accorde le suffrage municipal aux femmes. (Ce qui le distingue de Proudhon !)

Devenu député de la Seine à la Constituante, il prend la défense des insurgés de juin 48 :

« Au nom de la liberté même, de la liberté de chacun, c’est l’égalité qui est la loi de tous. Donc s’il y a dans la société un inférieur en puissance, en richesse, en quoi que ce soit, il a le droit de réclamer. Et si vous ne pouvez pas lui donner la raison, de son esclavage et de votre liberté, de son malheur et de votre prospérité, il a le droit de se mettre à votre place et de vous mettre à la sienne ; en termes consacrés, l’insurrection devient un droit. »

Après le coup d’Etat de 1851, Leroux s’exile à Londres puis à Jersey où il fréquente Victor Hugo.

Pierre Leroux revient à Paris après l’armistice du 28 janvier 1871 et y décède le 12 avril au début de la Commune. La Commune décide alors de lui rendre hommage par des obsèques officielles.  Le procès-verbal de la séance du 13 avril précise que « la Commune décide l’envoi de deux de ses membres aux funérailles de Pierre Leroux, après avoir déclaré qu’elle rendait cet hommage non au philosophe, partisan de l’école mystique dont nous portons la peine aujourd’hui, mais à l’homme politique qui, au lendemain des journées de 1848, a pris courageusement la défense des vaincus. ».

Dans le cortège viennent d’abord les femmes puis  la corporation des ouvriers typographes. Un bel hommage !

Honneur à Pierre Leroux

Agar

Nous sommes maintenant devant la statue de Madame AGAR dont Henry Cros a représenté le buste ! Des photographies d’elle montreront bien sa stature, sa carrure, son ample poitrine destinée à chanter et à déclamer.
Communarde de cœur c’est une grande tragédienne qui a officié dans plusieurs théâtres parisiens !
De sa vie dans les Ardennes (née à Sedan en 1832) on sait peu de choses sur elle jusqu’à sa vie parisienne ! Son patronyme Charvin lui est légué par Pierre, maréchal des logis, qui épouse sa mère âgée de 17 ans ! Du fait de la vie de garnison, l’enfant est bien protégé par de grands parents paternels jusqu’au remariage de son père devenu veuf en 1848.
Pour échapper à sa belle mère elle épouse le premier venu, un être qui lui en fait voir, elle décide de monter à Paris en 1853 se libérant ainsi de la tutelle d’un mari indigne .
Ayant reçu une éducation musicale, elle donne des leçons de piano, elle chante pour gagner sa vie dans des beuglants, des cafés concerts avec une interprétation déjà théâtrale.
Sa rencontre avec un professeur d’art dramatique Achille Ricourt dont elle suit l’enseignement la propulsera vers les plus grands théâtres et rôles. (Beaumarchais - Odéon - Comédie française - les rôles dans Phédre Andromaque etc)
AGAR est née !
La guerre contre la Prusse étant déclarée le 6 août 1870 elle déclame « la Marseillaise » dans une soirée au bénéfice « de la Caisse de secours et dons patriotiques pour les blessés » elle répondra plus tard à ses détracteurs « JE SUIS PARTOUT OÙ JE PUIS ÊTRE EN AIDE AUX MALHEUREUX «
Déjà connue par ses prestations théâtrales alors que les troupes versaillaises entrent dans Paris, elle sera aux tuileries les 14 mai et 21 mai pour de grands concerts.
Le JO de la Commune écrira «  dans la salle des maréchaux, Madame Agar a électrisé l’auditoire en disant le lion blessé de Victor Hugo (l’année terrible ).

 …. « la guerre, ayant encore au flanc
         Ô Paris Ô lion blessé l’épieu sanglant » ….


Mise à l’index poursuivie par les journaux réactionnaires elle sera obligée de quitter la Comédie française, s’exilera en suisse, reviendra quelques années après jouer à Paris. Elle se remariera avec un conservateur des antiquités africaines à Alger. Elle finira sa vie dans la capitale algérienne frappée par une paralysie, (hémiplégie) elle meurt à l’hôpital Mustapha près d’Alger, son corps ramené ici à Paris.
 
(Une rue porte son nom dans le 16eme arrondissement)

Maxime Vuillaume

Maxime Vuillaume est né en 1844 en Beauce.

Lorsqu’il est à l’école des mines, il est avec toute la jeunesse frondeuse du quartier latin.
Cette jeunesse fréquente assidûment les cafés, brasseries…Gambetta, Courbet, Vallès, Eudes et tant d’autres. C’est la bohème littéraire et l’opposition révolutionnaire au second empire.

Après tous les évènements de 1870, Maxime Vuillaume endosse l’uniforme comme tout le monde. Il est lieutenant dans le bataillon commandé par Charles Longuet (futur gendre de Marx).

Vuillaume décide de faire renaître le journal « Le Père Duchesne » avec Vermersch et Alphonse Humbert. Ils prennent cette décision dans une petite chambre que Baudelaire avait occupé, sur la table même où il a écrit "les fleurs du mal ».

« Le père Duchesne » c’était le journal des sans-culottes sous la Révolution Française.
« Le père Duchesne » c’est un personnage fictif, un réparateur de fourneaux à Paris, un éternel insurgé, toujours enclin à dénoncer les injustices.

Ecoutez ce que nous pouvions y lire.
« La grande colère du Père Duchesne contre les gredins de financiers, grippe-sous, monopoleurs, accapareurs, qui font un Dieu de leur coffre-fort, et qui excitent le désordre et le pillage pour faire la contre-révolution…. »

— « C’est cela qu’il nous faut ! » Disent-ils

12 jours avant le 18 mars, le journal paraît.
Ce premier numéro appelle à la grève des loyers et harangues les capitulards.
Le 10 mars la censure guette. Mais ils résistent.

Le numéro après les élections …écoutez…
« La grande joie du Père Duchesne de pouvoir enfin causer des affaires de la nation avec les bons patriotes qui ont chassé tous les jean-foutres de l’Hotel de Ville »

Très rapidement un tirage de 60 000 exemplaires sera atteint.

Après la semaine sanglante, Maxime Vuillaume se réfugie en Suisse.
Il y sera ingénieur des mines : construction de tunnels ferroviaires dans les Alpes, exploration du bassin houiller en Russie pour une société de dynamite. Il rédige des ouvrages de vulgarisation scientifique.

Il rentre définitivement à Paris en 1887 et se consacre exclusivement au journalisme.
Il va approfondir ses recherches sur la Commune amassant inlassablement des pièces à conviction.

Deux premiers récits sur la Commune ne trouveront aucun preneur.
C’est son ami Lucien Descaves, écrivain, membre de l’académie Goncourt, qui portera son manuscrit à Charles Péguy. Très enthousiaste, Peguy accepte sans condition la publication et trouve le titre « Mes cahiers rouges ».

Dix cahiers racontent ; une articulation entre le singulier et le collectif, une écriture dynamique, vivante, factuelle, littéraire. Il y fait parler les témoins. Il nous y livre sa correspondance épistolaire avec bon nombres de communards.
Un témoignage magnifique, aux premières loges, à travers un Paris révolté.

Il dira : — « Je voulais écrire l’histoire de ceux qui n’ont pas d’histoires, je ne voulais pas faire oeuvre de parti, je voulais faire oeuvre de vérité. »

Il rentre à l’hospice en 1824 et y meurt un an plus tard à 80 ans.

Pierre Labrov (1823-1900)

Pierre Lavrov est né en Russie en 1823 dans une famille aisée et d’un père fidèle sujet du tsar. Professeur de mathématiques et philosophe, sa pensée philosophique le mènera à un socialisme intégral qui correspond à quelque chose de plus que résoudre les conditions matérielles. Sa méthode subjective permet de constater et de juger les faits au nom d’un idéal et d’une conviction morale. Pour lui, l’histoire est faite par des individus conscients et d’esprit critique à l’aide des masses organisées et éduquées, qui travaillent et qui souffrent. Pour que leur action soit efficace ils doivent devenir une force historique, une force sociale.

Proche de la Narodnaîa Volïa (la volonté du peuple), il sera condamné à la déportation. Il s’évade en 1870 et gagne Paris au mois de mars. Lavrov est en rapport avec Varlin et membre de la section des Ternes de la Première Internationale quand il se retrouve en pleine Commune. Il s’intéresse à l’organisation scolaire, mais la Commune l’envoie à Londres auprès de Marx et du Conseil Général de l’Internationale. C’est une mission sans résultat pour la Commune, mais riche en expérience pour Lavrov, qui devient proche de Marx et d’Engels.
Après la Commune, lors de son exil à Zurich, il cherche dans ses écrits à concilier Marx et Bakounine, ce qu’Engels lui reprochera en concluant que « l’ami Lavrov est un éclectique ». Malgré tout il mérite d’être connu. Idéaliste, marxiste et révolutionnaire, de retour à Paris il est au cœur des réfugiés politiques russes et prend une part active au mouvement socialiste et révolutionnaire russe. Il participe aussi à la fondation de la Deuxième Internationale à Paris en 1889.

La cérémonie

Nous voici réunis au cimetière Montparnasse. Celles et ceux d’entre vous qui ont effectué la promenade communarde ont pu constater à quel point c’est un lieu chargé d’histoire depuis bientôt deux siècles. Même s’il s’agit d’un cimetière parisien, il s’agit aussi d’un lieu inscrit dans l’histoire du 14e arrondissement, déjà un lieu aimé des artistes ce dont témoigne que deux des trois élus de la Commune de l’arrondissement étaient des peintres, Billioray mort tragiquement de la phtisie à 36 ans, déporté et laissé sans soin en Nouvelle-Calédonie, et Martelet qui refonda le socialisme rive gauche avant de mourir dans la misère à l’hospice d’Ivry.


Le 14e arrondissement est occupé par les versaillais les 22 et 23 mai. Le 22 mai les versaillais enlèvent la porte de Vanves, la ligne de chemin de fer et arrivent aux abords de la gare Montparnasse.
Les combats les plus vifs ont lieu le 23 mai sur les barricades autour du cimetière Montparnasse occupé par les communards sous la direction d’Allemane et à Saint-Pierre de Montrouge environné également de barricades. Une pièce de 4 est installée par les communards dans le clocher. Après la prise du carrefour par les troupes du colonel Boulanger, on estime à plusieurs dizaines le nombre d’exécutions sommaires devant l’église. Le soir du 23 mai, les versaillais sont maîtres de tout le 14e, les combats vont se déplacer vers les 5e et 13e arrondissements. Toutefois il y eut encore des combats terribles et des exécutions sommaires dans les catacombes et les souterrains du 14e. Certains communards perdus y sont morts de faim et de soif.


Et le cimetière Montparnasse devint un des principaux lieux d’enfouissement des communards exécutés ou tués au combat. On peut estimer à entre 1600 et 2000 le nombre de ceux qui reposent dans les fosses au pied du monument où nous sommes. Les cadavres étaient entassés les uns sur les autres en ligne de 20 par 20 et recouverts de chaux dans ces fosses qui avaient dix mètres de profondeur. On y amena les morts des combats du voisinage mais aussi les blessés massacrés par les versaillais au séminaire Saint-Sulpice qui était devenu une ambulance de la Garde nationale. Près d’une centaine de gardes nationaux y sont tués dans leur lit à coups de revolver ou percés par les baïonnettes. Le jeune médecin fouriériste trop méconnu, Valère Faneau, qui les soignait, est aussi exécuté.
Mais tous les morts ne sont pas dans les cimetières. On enterra aussi au voisinage du cimetière. Des ossements furent ainsi retrouvés bien plus tard lorsqu’on creusa les fondements de nouvelles maisons rue Froidevaux…
Le cimetière devint assez tardivement un lieu de mémoire de la Commune. Une première mention apparaît en 1888 lorsque Boulanger voulut rallier autour de son nationalisme autoritaire une partie du peuple. Le journal Le Parti ouvrier (d’Allemane) rappela son rôle dans les fusillades de masse qu’il avait commandées lors de la conquête de l’arrondissement ; ce général qui avait fait fusiller le peuple n’avait rien à voir, malgré sa démagogie populiste, avec les héritiers de la Commune !


Puis ce fut une longue lutte pour que justice fut enfin rendue aux morts dans les cimetières parisiens. Elle fut menée conjointement par le Comité du Mur des fédérés (qui regroupait syndicats et sections socialistes) et la Fraternelle des Anciens combattants de la commune, issue de la Solidarité des proscrits de 1871 dont les premières manifestations remontent à 1881 et 1882, il y a 140 ans. Pour Montparnasse et le Père Lachaise, un emplacement est enfin accordé pour la mémoire et la sépulture des Fédérés à titre perpétuel par délibération du Conseil municipal du 20 décembre 1907. Les conditions sont alors mûres pour ériger un monument.
Le monument est composé d’un fin obélisque dû au sculpteur Antonio Orso sur lequel figurent des symboles funéraires et révolutionnaires (palme, flambeau, bonnet phrygien, soleil levant) et l’inscription MORTS DE LA COMMUNE 21 28 MAI 1871. L’obélisque repose sur un piédestal en béton. L’ensemble a longtemps été entouré d’une grille qui provenait de l’ex palais des Tuileries… C’est par souscription publique que fut financé le monument.


Une inauguration officielle en très petit comité eut lieu le 10 mai 1910 (le conseil municipal étant tombé dans les mains d’une majorité de droite nationaliste). La vraie inauguration a lieu le dimanche 22 mai 1910 à l’initiative du Comité du Mur des fédérés. Elle est précédée d’articles dont celui d’Allemane dans L’Humanité du 19 mai 1910, « Aux Morts de la Commune ! », qui demande que le Paris ouvrier vienne à la cérémonie « aux cris de Vive la Commune, Vive la République et la Révolution sociale ! » Environ 3000 personnes assistent à l’inauguration sur l’emplacement où nous sommes. On en a des photos dans L’Humanité. Elie May, responsable du Comité, le Docteur Goupil de la Fraternelle, Allemane, Camélinat et Louis Dubreuilh interviennent. On se sépare aux chants de l’Internationale. Après la manifestation au cimetière, les membres de la 14ème section socialiste qui veulent se rendre en manifestant à leur siège sont dispersés violement par la police au coin de l’avenue du Maine…


Pendant longtemps, jusque dans les années 1950 environ, il y avait chaque année une cérémonie qui était organisée par les organisations ouvrières de la rive gauche. Par exemple le dimanche 16 juin 1946 ont parlé ici Édouard Chenel, secrétaire général des Amis de la Commune, Bracke, député socialiste et Ambroise Croizat, grand ministre du Travail.
Puis le rituel s’est perdu. Le monument se dégrade alors terriblement. En 2008, j’y fis une visite avec Pierre Biais, alors secrétaire général de notre association. Le piédestal était fissuré, les bas-reliefs s’effaçaient. Notre association a agi pour la réfection de ce monument. Notre demande fut soutenue par Pierre Castagnou, alors maire de l’arrondissement. La réfection fut décidée donnant un résultat très satisfaisant. Depuis le monument est assez régulièrement entretenu par la conservation du cimetière, mais nous devons rester vigilants, car ce monument est fragile.
Depuis quelques années, nous avons repris le flambeau de nos anciens en organisant, le lendemain de la montée au mur, une cérémonie devant le monument. C’est toujours avec une grande émotion que nous nous souvenons du sacrifice de nos communardes, de nos communards qui ont lutté pour la République démocratique et sociale, pour la vraie République. Leur combat reste toujours actuel, profondément actuel dans notre monde où les injustices sociales s’aggravent, où la misère s’étend, où la guerre menace les peuples. Nous le poursuivons avec eux. Vive la Commune !

 

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