Notre « Amie de la Commune » évoque pour nous sa vie de femme d’action et ses plus grands souvenirs de montées au Mur.
Irène est sous son cerisier en fleurs en cette fin de mars 2011, à Colombes ; elle songe au Temps des Cerises, à son enfance, à sa vie de résistante et de militante, elle pense à ses montées au Mur, mais aussi à son existence de femme « ordinaire » comme elle le dit volontiers.
L’HISTOIRE D’UNE FAMILLE.
Irène Tibet–Zanini est née le 3 février 1926, à Jouy-en-Josas. Son père, Joseph, de l’Assistance publique en Italie, est arrivé en France en 1925, syndicaliste de gauche, chassé par les chemises brunes. Naturalisé français, il est maçon employé municipal à Boulogne-Billancourt, et sa femme Denise est ouvrière d’usine chez Jaeger.
Dans ce milieu très modeste, elle connaît une enfance heureuse avec sa sœur Elvire et son frère Vladimir. Pendant la guerre, elle aide son père dans la Résistance ; elle a à peine quinze ans. Gabriel Péri qui s’occupait de la Seine-et-Oise essaye de regrouper des volontaires pour les tracts et affichettes. Irène porte des tracts dans un sac à provisions, accompagnée de sa petite voisine de trois ans, et d’un ballon. Ils seront dénoncés, le père arrêté. Acquitté, ce dernier reste tout de même en prison : il est détenu à Châteaubriant au moment de la fusillade des 27.
UNE FEMME PRESQUE ORDINAIRE.
En 1944, c’est la reprise de la vie militante. Entre temps, Irène a passé son brevet élémentaire, et travaille, dès 1942, comme employée aux écritures. Puis, prenant des cours par correspondance à L’Ecole Universelle, elle devient aidecomptable. Après la Libération, membre de la jeunesse communiste, elle vend La Jeune Garde. Au cœur de cette vie militante, elle rencontre Robert Guérineau, ancien résistant FTP, responsable interrégional dès 1940, qu’elle épouse le 10 mai 1947. Ils auront une fille, Jeanine, en 1949.
SES MONTÉES AU MUR.
À évoquer la vie d’Irène et de ses proches, nous ne sommes pas étonnés qu’elle ait gardé des souvenirs vifs, et parfois poignants, de ses montées au Mur des Fédérés, au cimetière du Père-Lachaise. La première en date est celle du 12 février 1934. Une grève générale de vingt-quatre heures et une manifestation anti-fasciste, en réaction à la journée du 6 février, sont décidées. La foule est nombreuse cours de Vincennes, une marche a lieu jusqu’au Mur, silencieuse au cimetière. Irène a huit ans, elle fait partie des pionniers de Chaville, dans le cadre du patronage laïque. La petite fille remarque les gardes mobiles à cheval qui tiennent en respect la foule, et vont même la charger une fois. La butte au pied du Mur est encore en terre battue, et des croix bordent le Mur à droite, indiquant les tombes des communards morts après la Commune.
Elle a dix ans lorsqu’elle participe, le 1er mai 1936, à la Montée : elle se souvient de l’immense foule venue ce jour-là.
Son dernier grand souvenir est l’enterrement de Marcel Cachin, le 15 février 1958 : le cortège, parti du siège du journal L’Humanité, s’écoule pendant cinq heures jusqu’au Père-Lachaise où Marcel Cachin avait souhaité être enterré parmi les communards dont Camélinat. Irène en garde un souvenir ému.
Nous comprenons d’où vient l’enthousiasme d’Irène pour la vie militante, la vie associative, la vie tout court. Elle le trouve dans ses origines, dans ses rencontres et dans ses expériences, dans les figures puissantes et courageuses de son père et de son mari, tous deux résistants. Dans le souvenir vibrant des communards. Dans sa jeunesse pauvre, mais heureuse. Dans sa vie de femme volontaire et indépendante, pleine d’énergie et de santé. Dans le bonheur de vivre : tant de gens ont combattu y laissant leur vie ou leurs joies que toutes les luttes pour la liberté doivent toujours être menées, sans relâche. Et Irène l’œil pétillant, la voix chantante, continue !
MICHÈLE CAMUS