Décret sur les ateliers

Dès le 29 mars, la Commune organise, au sein de son Conseil, dix commissions dont « La Commission du Travail, de l’Industrie et des Échanges. »

Parmi ses attributions, cette commission est chargée de la propagation des doctrines socialistes et elle doit chercher les moyens d'égaliser le travail et le salaire.

Y siègent beaucoup d’internationalistes, notamment Léo Fränkel, Benoit Malon, Albert Theisz.

 

Léo Frankel

Ouvrier bijoutier d’origine hongroise, devient le véritable « ministre du travail » de la Commune. Pour lui, « La Révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, nous qui avons pour principe l’égalité sociale, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. »

Sous son impulsion, la commission décide que la mise au point de tous les décrets doit se faire avec la participation active des ouvriers regroupés dans leurs organisations, qui doivent débattre de toutes les décisions qui les concernent, ainsi que celle des organisations populaires, tels que les clubs, les sections de l’AIT, la Garde nationale, et l’Union des femmes. Quand ce travail de réflexion a été fait, les organisations proposent des projets de décrets à la Commune qui, en les votant, leur donne force de loi.

Malgré des conditions extrêmement difficiles dues au ralentissement de l’activité industrielle et artisanale, et à la guerre civile déclarée par les Versaillais, la commission du travail va traiter en priorité ce qu’il est possible d’obtenir et qui vise à améliorer la situation des travailleurs.

Après le décret du 16 avril sur les ateliers abandonnés, le décret du 20 avril sur le travail de nuit des ouvriers boulangers, le 27 avril est pris le décret interdisant les amendes et retenues sur salaires mettant fin à l’arbitraire patronal.

 

Le décret du 27 avril

Affiche de la Commune de Paris N° 213 du 27 avril 1871 – Décret sur l’interdiction du système  des amendes et retenues sur les salaires. (Sources : argonnaute.parisnanterre.fr)
Affiche de la Commune de Paris N° 213 du 27 avril 1871 – Décret sur l’interdiction du système  des amendes et retenues sur les salaires. (Sources : argonnaute.parisnanterre.fr)

Ces prélèvements étaient une des principales armes dans les mains des patrons pour affaiblir la résistance ouvrière et constituaient une atteinte permanente à la dignité ouvrière.

 

Le règlement d’atelier au XIXe siècle par F. Hordern (1)

Dans les grandes entreprises où les règles des métiers n’ont pas cours, le patron a pris l’habitude, dès le XVIIIe siècle d’établir un règlement qui s’applique à tous les ouvriers.
Au XIXe siècle on l’appelle très souvent règlement d’atelier, mais l’on trouve aussi règlement de police et souvent tout simplement le mot règlement. Le texte en est affiché dans les ateliers et souvent contresigné par le maire. Pourtant il est dû à la seule initiative du patron et n’a pas à être contrôlé par l’administration qui refuse d’ailleurs de le faire. Le patron y précise les conditions d’exécution du contrat de travail, la période d’essai, le délai-congé, la durée du contrat et ses causes de résolution (rupture), la discipline de l’atelier, et parfois la rémunération. Il est très difficile aujourd’hui de connaître les règlements d’atelier, car aucune disposition légale n’obligeant les chefs d’entreprise à les déposer auprès d’un agent de l’État ...

 

Le contenu des règlements

L’étude des quelques règlements connus permet de faire un certain nombre de constatations. La première préoccupation semble être d’assurer l’intégration de la force de travail au processus productif et d’en garantir la stabilité. Aussi y trouve-t-on des règles qui cherchent à discipliner des ouvriers et à les soumettre au rythme régulier de la production industrielle. On réglemente d’abord l’entrée des ouvriers, on sanctionne les retards et les absences par des pertes de salaire, des amendes ou le renvoi. L’habitude ouvrière de fêter le Saint Lundi est punie avec une grande sévérité.

On s’occupe également du rendement de la force de travail. On punit le manque d’application, la mauvaise exécution du travail, ainsi que tout ce qui nuit à la conservation et au bon usage des machines et de l’outillage technique … On rend les ouvriers responsables de leurs outils et des dégâts aux machines. On cherche à discipliner rigidement la vie interne du groupe ouvrier, en éliminant toute une série de comportements déviants que l’on sanctionne car ils troublent et bouleversent l’ordre de l’entreprise : bagarres, disputes, propos obscènes, ivresse, tabagisme. Enfin le respect et l’obéissance aux chefs doivent être immédiats et totaux ...

Le règlement tient lieu de contrat (de travail) et en fixe les conditions. Les patrons entendent que le règlement soit établi par eux seuls et imposé sans discussion, ce qui en fait un acte d’autorité, mais la jurisprudence estime qu’il oblige les ouvriers qui sont présumés l’avoir accepté et c’est ce qui en fait un contrat, ou tout au moins un élément du contrat.

 

La réticence des compagnies de chemin de fer

Les Compagnies de chemin de fer n’étaient pas très favorables à la Commune. A plusieurs reprises elles ont tenté de désorganiser le service, comme l’attestent quelques procès verbaux des séances de la Commune de Paris.

Séance du 20 avril :

Le citoyen Arnold communique à la Commune des documents relatifs au chemin de fer du Nord, constatant une tendance, de la part des principaux chefs, à désorganiser le matériel et le personnel.

Séance du 26 avril : Lonclas -

Nous devons veiller à ce que les décrets de la Commune s'exécutent, et rien de plus. A ce propos, je déclarerai que le chemin de fer de Lyon est un foyer de réaction, qui cherche à nous entraver en tout; cette compagnie ne fournit pas d'hommes pour la Garde nationale; ses employés se cachent derrière leurs pupitres ...

Séance du 28 avril : Johanard -

Hier soir, un employé du chemin de fer du Nord vint me trouver et me dit : Depuis huit jours, il est constamment venu des agents versaillais à la gare; ils ont tout désorganisé, fait disparaître le matériel, les 'wagons; les employés sont partis. Il n'y a plus aujourd'hui qu'un service fictif. Les trains -sortent, mais ils ne rentrent pas.

Il n’est donc pas étonnant que la Commune se soit méfiée des Compagnies de Chemin de fer et qu’elle se soit attachée à faire appliquer le décret du 27 avril par des directions particulièrement rétives et autoritaires.

 Un train vers 1871
Un train vers 1871

 

Circulaire du contrôleur général des chemins de fer Paul Pia

Le 30 avril, le contrôleur général des chemins de fer, Paul Pia envoie la circulaire suivante aux directeurs des différentes compagnies de chemins de fer.

    Citoyen directeur,

    Un arrêté de la commission exécutive, en date du 27 avril 1871, dispose qu’aucune administration, publique ou privée, ne pourra plus désormais imposer de retenues ou d’amendes aux employés et ouvriers dont les appointements, convenus d’avance, doivent être intégralement soldés. Il dispose en outre que tou­tes les amendes et retenues infligées depuis le 18 mars 1871 seront restituées aux ayants droit dans un délai de quinze jours.

    Les considérations qui précèdent cet arrêté me dispensent de tout commentai­re. Je m’attacherai seulement à faire ressortir qu’il indique de la part de la Com­mune l’intention formelle de ne pas se laisser distraire, même par les graves pré­occupations de la lutte, de l’application des principes souverains en vertu desquels le travailleur, quel qu’il soit, ouvrier, employé, paysan, doit rentrer en possession de l’intégralité de ses droits et du produit de son travail.

    Je n’ignore pas que, dans les administrations de chemins de fer, le montant des amendes a été versé jusqu’à ce jour dans une caisse de secours avec laquelle on peut venir en aide aux employés ou ouvriers malheureux ; mais, outre que la répartition des secours est la plupart du temps abandonnée à l’arbitraire ou à des influences plus ou moins justifiées, il est certain que le secours lui-même est une offense directe à la dignité du travailleur, une atteinte à sa moralité.

   La caisse de secours peut donc disparaître. Réintégré dans la plénitude de ses droits, le travailleur saura bien, par sa seule initiative, se garantir contre les éven­tualités de l’avenir.

    La révolution du 18 mars est assise sur une base inébranlable : la justice. La revendication de la justice l’a fait naître, c’est par la justice qu’elle triomphera.

    L’arrêté du 27 avril est une des conséquences logiques de cette révolution ; c’est vous dire combien la Commune tient à son exécution. Je vous prie donc, citoyen, de vouloir bien, en m’accusant réception de cette dépêche, me faire connaître les mesures prises par vous pour assurer la restitution des amendes et retenues infligées depuis le 18 mars.

    Je lirai d’ailleurs avec le plus grand intérêt les instructions que vous jugerez sans doute utile de donner à cette occasion dans vos différents services.

    Salut et fraternité.

Le contrôleur général des chemins de fer,

Paul PIA.

 Notification aux délégués communaux du 13e arrondissement du décret sur l’interdiction des amendes et retenues sur salaires, 2 mai 1871. Archives de Paris, VD3 14.
Notification aux délégués communaux du 13e arrondissement du décret sur l’interdiction des amendes et retenues sur salaires, 2 mai 1871. Archives de Paris, VD3 14.

 

Affiche de la Commune de Paris N° 350 du 27 floréal an 79 (17 mai 1871) - Paul Pia (Source : placard.ficedl.info)
Affiche de la Commune de Paris N° 350 du 27 floréal an 79 (17 mai 1871) - Paul Pia (Source : placard.ficedl.info)

Notes

(1) « Le règlement d’atelier au XIXème siècle » par Francis Hordern (extrait du cahier n°3 de l’Institut régional du travail de l’Université d’Aix-Marseille II. 1991)

 

 

Maxime Lisbonne, l’Indomptable

L’Indomptable, ou le d’Artagnan de la Commune, ou le Murat de la République. Bref un extraordinaire personnage de roman, comme la Commune a su en produire.

Engagé à 15 ans, militaire, il fait preuve d’une très grande témérité, notamment dans tous les combats de la Commune, accompagné par ses « lascars ». Homme de théâtre il met en scène des pièces de Louise Michel et organise des repas pour les indigents.

Maxime Lisbonne (1839-1905)   Maxime Lisbonne - La brasserie des frites révolutionnaires, où on servait des plats qui rappelaient le bagne et la défaite des Communards.
Maxime Lisbonne (1839-1905) / La brasserie des frites révolutionnaires, où on servait des plats qui rappelaient le bagne et la défaite des Communards.

   

C’est souvent avec des personnages tels que Lisbonne que l’on découvre la Commune, et que monte en nous l’envie d’en savoir plus, toujours plus. C’est ainsi que l’on passe parfois sa vie à se passionner pour la formidable aventure de la Commune et de ses acteurs. Mais le champ est immense et l’on peut se sentir un peu perdu. Qui est qui ? Et qui fait quoi dans cette histoire ?

C’est dans cette situation que Bernard Noël est précieux. Son dictionnaire de la Commune (publié en 1971 pour le 100e anniversaire) fut pour beaucoup une guide indispensable pour retrouver son chemin au sein de la Commune de Paris. Ce travail remarquable, fruit d’une longue érudition, reste et restera un classique pour tous ceux qui veulent approfondir leur connaissance de la Commune.

Il nous a quittés le 13 avril 2021. Quel meilleur hommage à Maxime Lisbonne que de reproduire ce que Bernard Noël disait de lui dans la notice de son dictionnaire :

LISBONNE Maxime (Paris, 1839 - La Ferté-Alais, Seine-et-Oise, 1905). Engagé à quinze ans dans la marine, il fit la campagne de Crimée (1854-1855) ; il se réengagea ensuite et servit cette fois dans les chasseurs à pied, puis dans les zouaves. A sa libération, en 1864, il se lança dans le théâtre et, l'année suivante, devint directeur des Folies-Saint-Antoine. Mis en faillite le 29 juillet 1868, il se fit agent d'assurances. Durant le Siège, il fut élu capitaine de la 1ère compagnie de marche du 24e bataillon de la Garde nationale et participa à divers combats : Arcueil, Buzenval. Le 14 mars, il fut élu délégué du Xème arrondissement au Comité central ; le 18 mars, il seconda Brunel et fut très actif les jours suivants. Le 3 avril, il fut nommé à la tête de la Xe légion et chargé de réorganiser la XIe ; le 1er mai, il reçut le grade de lieutenant-colonel et fut attaché à l'état-major de La Cecilia, qui lui donna le commandement des remparts depuis la porte de Versailles jusqu'au Point-du-Jour. Durant la Semaine sanglante, il essaya de résister au Panthéon, puis commanda les défenseurs de la place du Château-d’Eau. C'est là qu’il fut blessé à la cuisse, le 26 mai. Reconnu à l'hôpital militaire de Saint-Mandé, il fut transféré à Versailles et jugé le 5 décembre 1871 par le 3e Conseil de Guerre, qui le condamna à mort. Le 6e le condamna de nouveau à la même peine, le 4 juin 1872, mais elle fut commuée en travaux forcés à perpétuité.

Rentré de Nouvelle-Calédonie après l’amnistie, il prit la direction du théâtre des Bouffes du Nord et y monta la Nadine de Louise Michel et le Germinal de Zola. En 1884, il lança un journal, l’Ami du Peuple, où il appelait la révolution sociale; en 1885, il ouvrit, 2, boulevard de Clichy, « la Taverne du Bagne », où le décor imitait celui d’une prison et où les garçons servaient en tenue de galériens. Vers la même époque, il se promenait dans une voiture en forme de panier à salade, tirée par deux poneys, et faisait figurer sur ses cartes de visite la mention « ex-forçat de la Commune ››. Il monta ensuite « le Casino des concierges ››, mais finit par être mis en faillite, le 23 octobre 1894. Il fit une dernière tentative et ouvrit, en 1897, un cabaret intitulé « le Ministère des Contributions directes ››; il devait y perdre ses derniers sous. Pour le sauver du dénuement, des amis lui firent obtenir un petit bureau de tabac à La Ferté-Alais, où il avait de la famille, et on l'y oublia un peu.

Ses Souvenirs, demeurés inédits, ont été utilisés par Lepelletier, qui trace de lui ce portrait :

Ce raillard, ce farceur, ce cabotin-colonel, se montra l’un des plus vaillants, à une époque où le courage courait les rues. Ses compagnons l'avaient surnommé le Murat de la République. Comme le héros des cavaleries impériales, Lisbonne se plaisait à caracoler au milieu des balles... Ces allures de mousquetaire, excusables par la bravoure dont il fit preuve en vingt occasions, méritent encore l’indulgence par la modestie qui les accompagnait. Il devenait simple, lorsqu’ il parlait de lui-même.

 Carte de visite de Maxime Lisbonne
Carte de visite de Maxime Lisbonne (Actuellement la propriété de Patrick Fonteneau)

 

Pour en savoir plus :

Livres

Marcel Cerf, Le d'Artagnan de la Commune (le Colonel Maxime Lisbonne), Le Pavillon Éditeur, 1967.

Marcel Cerf, Les mémoires de Maxime Lisbonne, texte présenté et annoté, "La Commune", revue d'Histoire de l'Association des Amis de la Commune de Paris-1871. Présentation sur plusieurs numéros à partir de 1976.

Didier Daeninckx, Le Banquet des affamés (roman), Gallimard, 2012.

Michel Cordillot, La Commune de Paris 1871, les acteurs, les évènements, les lieux, Les éditions de l’Atelier, 2020.

 

Site

Biographie de Maxime Lisbonne, sur le site de l'histoire de La Ferré-Alais, réalisé par Philippe Autrive :

http://lafertealais.com/contents/fr/d66_maxime_lisbonne.html

 

Film

Sur les traces de Maxime Lisbonne, de Jacqueline Margueritte, sur un scénario de Claudine Cerf, d'après "Le d'Artagnan de la Commune (le Colonel Maxime Lisbonne)".1983

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k13205947.r=%22Th%C3%A8me%20histoire%22Commune%20de%20Paris%20Commune%20de%20Paris?rk=21459;2

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