Dans la lignée de la Commune Insurrectionnelle de Paris de 1792, la Commune de Paris constituée en 1871 fait une large place à tous les étrangers dans ses rangs.
Léo Frankel, né le 25 février 1844 à Óbuda (précisément à Újlak) à Budapest en Hongrie, dans une famille juive, a été à la fois délégué au travail, à l'industrie et à l'échange et élu du 13ème arrondissement de Paris.
Socialiste internationaliste, le jeune Léo Frankel, lui, est arrivé à Lyon puis à Paris pour parfaire son apprentissage d’ouvrier bijoutier et milite déjà au sein de la Ière Internationale ou Association Internationale des Travailleurs (AIT). À Paris, il a été signalé à Karl Marx comme un des ses enthousiastes lecteurs par sa fille Laura Marx, épouse de Paul Lafargue.
En 1870, avec d’autres dirigeants, il a déjà été arrêté et incarcéré par la police impériale, qui préparant un plébiscite en mai cherche à présenter l’AIT comme une société secrète ourdissant complot. Le brillant discours qu’il prononce lors de son procès accroît le respect de ses camarades. Libéré à l’effondrement de l’Empire, il participe aux réunions du conseil fédéral de l’AIT à Paris. Fidèle à la démarche internationaliste des « collectivistes » de l’AIT, comme Benoît Malon et Eugène Varlin, Frankel cosigne le 6 septembre 1870 un appel « au peuple allemand » invitant les soldats allemands de « repasser le rhin » et à construire une perspective commune « par notre alliance, construisons les États-Unis d’Europe. Vive la République Universelle ». Fin septembre il intègre le 66ème bataillon de la Garde Nationale dans le XIème arrondissement. Dans la préparation des élections législatives, début février 1871, défend la construction d’une liste de 43 « candidats socialistes révolutionnaires » (dont Blanqui, Garibaldi, Lefrançais, Theisz, Vaillant, Vallès, Varlin...) sans présence d’«internationaux» sur des listes bourgeoises. Seuls Malon et Tolain sont élus, parmi une majorité de monarchistes.
Le 23 mars, le conseil fédéral de l’AIT dont Frankel fait partie rédige un manifeste « pour la Commune » et présente 38 noms, parmi lesquels celui de Frankel, mis en avant par les comités d’arrondissement pour les élections et publié dans le Cri du Peuple. Frankel est élu dans le XIIIème arrondissement. Son élection est confirmée avec argumentaire internationaliste du Conseil de la Commune et publiée au Journal Officiel. [1] Le lendemain de la proclamation de la Commune, le 29 mars , il propose « la nomination d’une commission qui serait intermédiaire entre la Commune et le Conseil fédéral » ; sa proposition est adoptée à l’unanimité et la Commission siégera à l’Hôtel de Ville et ses membres, toujours révocables par le conseil fédéral, devront rendre compte de leurs travaux à chacune de ses séances.
Entretenant, une correspondance limitée par le temps avec Karl Marx, il informe mais sollicite aussi son « avis sur les réformes sociales à appliquer ». Ce dernier soutiendra le mouvement à l’extérieur, mettra en garde contre les facilités que la Prusse ne manquera pas d’offrir aux versaillais, mais respectera l’autonomie de décision de ses camarades parisiens.
Artisan au premier plan de l’œuvre sociale de la Commune, nommé le 20 Avril 1871, il est délégué au Travail et à l’Échange, donc membre de la seconde commission exécutive. Il produit aussitôt le décret du 20 avril supprimant le travail de nuit pour les ouvriers boulangers — « seul décret véritablement socialiste qui ait été rendu par la Commune à cette date ». Le temps manqua, mais c’est néanmoins à lui principalement que sont dues quelques-unes des mesures sociales, sinon socialistes, prises par la Commune. Notamment la mise en oeuvre du décret du 16 avril sur la réquisition des ateliers abandonnés par la bourgeoisie en fuite, en mobilisant les chambres syndicales ouvrières pour constituer une commission d’enquête, en constituer l’inventaire et présenter un rapport sur les conditions pratiques de remise en exploitation ces ateliers « par l’association coopérative des travailleurs qui y étaient employés ».
Le 27 avril c’est un arrêté sur l’interdiction des amendes et retenues sur salaire.
Le 28 Avril, il est désigné parmi les 5 membres de la Commune qui accompagneront la manifestation des francs-maçons le lendemain.
Le 1er mai, le Journal Officiel présente le rapport de la commission du travail et de l’échange proposant la suppression des monts-de-piété, préconisant
une organisation sociale qui donne au travailleur des garanties réelles de secours et d’appui, en cas de chômage et de maladie [2].
À la suite d’une discussion de l’arrêté sur les commandes d’uniformes qu’il recommande de passer à des associations ouvrières, il justifiait ainsi ses propositions à la séance du 12 mai de la Commune :
La Révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, nous qui avons pour principe l’égalité sociale, je ne vois pas la raison d’être de la Commune.
C’est aussi un des militants les plus avancés et actifs de l’égalité hommes-femmes, Frankel propose la mise en place d’ateliers coopératifs et d’en charger la responsabilité aux comités de l’Union des Femmes, fournissant dans sa lettre aux maires la liste des militantes de l’arrondissement concerné.
Il avait aussi rédigé la proposition de ne pas considérer la légitimité de l’union dans le versement de l’indemnité journalière versée aux femmes des gardes nationaux.
Le 1er mai, face à la dégradation de la situation militaire, illustrant les clivages au sein du Conseil, par le vote du 1er mai, 34 voix du Conseil se prononcent pour la création d’un Comité de Salut Public, contre 28 voix, dont celle de Frankel pour un Comité Exécutif. Des dérives autoritaires ne tardent pas à se confirmer et le clivage entre « majoritaires » (notamment blanquistes ou néojacobins) et « minoritaires » (notamment socialistes) affaiblit encore la défense de la Commune.
Deux fois blessé le 25 mai à la barricade de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, il échappe à la répression avec Élisabeth Dmitrieff, autre militante Russe de l’Internationale, il est néanmoins condamné en 1872 à la peine de mort, par contumace.
Frankel arrive à Genève en juin d’où il n’est pas extradé, puis gagne Londres. Frankel y est élu au Conseil général de l’AIT et prend part très activement aux travaux de la Conférence de l’Internationale de Londres en septembre 1871, notamment sur l’organisation en parti, intervenant aux côtés de Marx.
Au 5e congrès général de l’Internationale, à La Haye en 1872, Frankel soutint Marx et vota pour l’expulsion de Bakounine des rangs de l’Internationale. En 1875, il doit quitter Londres. En septembre 1877, au congrès international socialiste de Gand, il recherche l’union des forces socialistes, marxistes ou libertaires. En 1878, il participe en Hongrie au congrès fondateur d’un parti ouvrier.
En 1889, il est de retour à Paris où il meurt d'une pneumonie le 29 mars 1896. Il est d’abord inhumé au cimetière du Père-Lachaise[3], sa dépouille sera transférée à Budapest en 1968.
Frankel n’est pas croyant et s’affirme en libre penseur
Ayant vécu libre penseur, je veux mourir de même. Je demande donc qu’aucun et prêtre d’aucune Église n’approche de moi, soit à l’heure où je meurs, soit à mon enterrement, pour "sauver" mon âme.
La riche monographie[4] qui vient d’être publiée vient à point pour mettre un peu plus en avant cette belle figure.
Notes
[1]Journal Officiel de la République Française, n°90, 31 mars 1871, p.
[2] Journal Officiel de la République Française, n°121, 1er mai 1871, p1-2
[3] Voir l’applicatif de visite sur téléphone portable https://parcours.commune1871.org
[4] Julien Chuzeville. Léo Frankel, communard sans frontières. Libertalia: Montreuil, 2021. eISBN: 9782377291663