Le musée des Beaux-Arts de Caen a présenté cet été l’exposition Les Villes ardentes. Art, travail, révolte (1870-1914) (1), consacrée à la représentation du monde ouvrier et de ses luttes dans les œuvres des peintres néo-impressionnistes.

Paul Louis Delance, Grève à Saint-Ouen, 1908 (© RMN - Musée d'Orsay)
Paul Louis Delance, Grève à Saint-Ouen, 1908 (© RMN - Musée d'Orsay)

Le thème du travail est rarement associé aux maîtres de l’impressionnisme comme Claude Monet ou Auguste Renoir. Edgard Degas et ses Repasseuses ou Gustave Caillebotte et ses Raboteurs de parquet, faisant exception. La bonne idée des commissaires de l’exposition, Emmanuelle Delapierre, directrice du musée des Beaux-Arts de Caen, et Bertrand Tillier (2), professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, est d’avoir étendu la chronologie depuis la Commune jusqu’à la Première Guerre mondiale. Cet élargissement permet une vision renouvelée de la représentation de l’industrie et du prolétariat dans la France de la Troisième République. Le spectacle des hauts-fourneaux, des quais de déchargement et des chantiers de construction a inspiré des peintres tels qu’Armand Guillaumin, Maximilien Luce et Alexandre Steinlen. Aux nombreux dessins et peintures, l’exposition ajoute quelques terres cuites de Jules Dalou, dont ses Terrassiers chargeant. Les travailleurs ont fait leur entrée dans la sculpture, grâce au communard Jules Dalou (3) et au grand sculpteur belge Constantin Meunier (4), qui découvrit à l’âge de cinquante ans le monde de la sidérurgie et de la mine.

Maximilien Luce, Aciéries près de Charleroi (© RMN - Musée d'Orsay)
Maximilien Luce, Aciéries près de Charleroi (© RMN - Musée d'Orsay)

Améliorer au plus tôt le sort des ouvriers

« Nous sommes unanimes à vouloir que l’on célèbre (…) ce qu’on est convenu d’appeler les travailleurs, unanimes à penser que la vie sociale actuelle ne leur fait point la part qui leur est due,

écrit Jules Dalou, le 13 avril 1898,

unanimes à croire que ce doit être le souci d’une République de donner au travail, en dehors d’irréalisables utopies, la place légitime qui lui revient, unanimes enfin à vouloir que le sort des ouvriers soit amélioré au plus tôt. »

Pour les peintres, se pose la question de la couleur. Comment exprimer la magnificence colorée des aciéries ? Par le rouge et par le bleu, selon Maximilien Luce, qui tente de fixer l’instant aveuglant de la coulée de métal en fusion sur la toile L’Aciérie (1895). Luce est largement présent dans l’exposition, à travers ses tableaux sur la sidérurgie dans la région de Charleroi (Belgique) et les chantiers de construction parisiens, les échafaudages et les grues. Il les observe notamment à Montmartre, durant la construction du Sacré-Cœur, monument qu’il exècre, lui qui est l’auteur de plusieurs tableaux consacrés au massacre des communards pendant la Semaine sanglante. Le plus célèbre d’entre eux, Une rue de Paris en mai 1871 (1903-1905), ne figure pas dans l’exposition, mais se trouve au Musée d’Orsay.

Dessin de Grandjouan (L’assiette au beurre, n° spécial du 24 mars 1906, consacré à la catastrophe de Courrières)
Dessin de Grandjouan (L’assiette au beurre, n° spécial du 24 mars 1906, consacré à la catastrophe de Courrières)

Le travail des enfants, les métiers qui tuent

A l’âge de treize ans, Luce est témoin de la répression de l’insurrection par les versaillais. Il « s’était trouvé en présence, rue de Seine, de ces cadavres immobiles au soleil, dans la ville déserte, et plus tard, quant il sait ce que cela symbolise du point de vue social, il exécute ce tableau ». Dès les années 1880, en réaction à l’impressionnisme et au naturalisme de Zola, les peintres représentent les usines, manufactures, mines et aciéries. Cette iconographie de la condition ouvrière fait écho aux dessins d’Alexandre Steinlen et de Jules Grandjouan, publiés dans L’Assiette au beurre, célèbre revue satirique qui paraît de 1901 à 1912. Dans des numéros spéciaux, sont notamment dénoncés le travail des enfants, les « métiers qui tuent », la catastrophe minière de Courrières, ou la dureté du « pays noir ». La dénonciation sociale y prend alors des couleurs charbonneuses. Dans L’Assiette au beurre, on retrouvera aussi des dessins de Steinlen et de Grandjouan sur les grèves et les manifestations, dont certains ponctuent l’exposition.

 JOHN SUTTON

Les villes ardentes. Art, travail, révolte (1870-1914), éd. Snoeck/ Musée des Beaux-Arts de Caen, 2020
Affiche de l'exposition à Caen en 2020 : Les Villes ardentes. Art, travail, révolte (1870-1914)

Notes :

(1) Les villes ardentes. Art, travail, révolte (1870-1914), éd. Snoeck/ Musée des Beaux-Arts de Caen, 2020. 

(2) Auteur de La Commune de Paris, révolution sans images ?, 2004, édit. Champ Vallon, et de La Républicature, la caricature politique en France (1870-1914), 1997, CNRS éditions.

(3) Pour en savoir plus, lire Dalou à Paris, 2010, édit. Paris musées.

(4) Les sculptures de Constantin Meunier sont exposées à Bruxelles aux Musées royaux des Beaux-arts de Belgique et au Musée Constantin Meunier. 

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