Il est le troisième homme, avec Gustave Courbet et Hippolyte Moulin, de l'équipe organisatrice de la fameuse assemblée générale des artistes, le 13 avril 1871, au grand amphithéâtre de l'École de médecine. À cette époque, Eugène Pottier gagne sa vie comme dessinateur pour tissus. Sa philosophie artistique s'appuie sur la notion de « luxe communal » mise en évidence par Kristin Ross (1) .
Après Sedan, Eugène Pottier entre dans la Garde nationale, bataillon des artistes, commandé par Gabriel Ranvier, peintre décorateur. C'est là qu'il rencontre Hippolyte Moulin et que se forgent ces amitiés qui aboutiront au programme-manifeste de la Fédération des artistes, paru le 15 avril au Journal officiel de la Commune. Il ne craint pas de combattre pendant le siège et pendant la Semaine sanglante, avant de se cacher en juin pour écrire L'Internationale. Les chansons et la poésie restent son moyen d'expression préféré. Mais comment est-il devenu dessinateur ?
Avant la naissance d'Eugène, son père est employé à la garde-robe de l'impératrice Joséphine, et fréquente à ce titre la manufacture de Jouy-en-Josas qui fabrique des tissus très appréciés. À 22 ans, Eugène Pottier est embauché comme associé comptable dans l'atelier d'impression créé par le fils d'un ouvrier de Jouy, Édouard Laroche, qui s'inspire des idées du créateur de « la mode à bon marché », Oberkampf. Eugène Pottier lui-même chantera « le bon marché (qui) fait la guerre aux haillons », grâce aux machines. Dans l'entreprise, 29 rue du Sentier, se croisent des ouvriers suisses, hollandais, allemands et alsaciens. Une véritable Internationale !
À partir de 1845, Pottier, qui allait souvent à Jouy, passe des jours entiers à dessiner dans la nature, au fusain ou au pinceau, pour trouver des motifs d'inspiration pour ses tissus. Dans sa biographie, il écrit en vers (2) :
« Il vit d'un jet de son dessin Intermittent et sans méthode Et tire d'un bout de fusain Les arabesques de la mode. L'étrange lui tient lieu de beau, La folle du logis s'y prête »
Mais il ne s'en tient pas à l'imagination, cette « folle du logis », et, en 1864, après trois déménagements de l'entreprise dans le nouveau quartier du Sentier (IIe arrondissement de Paris) et vingt ans de création artistique, il fonde la Chambre syndicale des dessinateurs, qui adhère par la suite à la Première Internationale.
Pendant la Commune, à 54 ans, il est élu maire du II e arrondissement, et c'est lui qui écrit et lit le rapport élaboré par les trois organisateurs devant les quatre cents artistes réunis à l'École de médecine. Ce rapport a été qualifié de « très remarquable » par Paul Hippeau, présent à la réunion, dans Les Fédérations artistiques sous la Commune (3) . On peut légitimement penser qu'Eugène Pottier aurait aimé être élu président de la Fédération des artistes à la place de Courbet. Il avait jugé « impolitique » son élection en raison des positions esthétiques du peintre, qualifié par lui de « chef d'une école discutée ». Il est vrai que Pottier, tout comme Hippolyte Moulin, ne s'embarrassait pas de contester les canons officiels de l'art, contrairement à Courbet qui brûlait ses vaisseaux.
Cette partie, restée inconnue, de la vie d'Eugène Pottier, « artiste industriel » comme il le disait luimême, mériterait une recherche approfondie. Les Archives de Paris possèdent un fonds de dessins pour tissus, déposés en vue de prouver aux prudhommes l'authenticité des auteurs. Il y a peut-être là des œuvres « étranges », comme il le dit dans son poème, de l'auteur de L'Internationale.
EUGÉNIE DUBREUIL
Notes
(1) Voir la note de lecture de John Sutton sur L'imaginaire de la Commune, Bulletin n° 62, 2e trimestre 2015, p. 32-34.
(2) Voir Pierre Brochon, Eugène Pottier. Naissance de l'Internationale, Christian Pirot éd., 1997.
(3) Paul Hippeau, Les Fédérations artistiques sous la Commune, souvenirs de 1871, Comptoir d’édition, 1890.