Aujourd’hui, Auguste Lançon (1836-1885) est souvent plus connu par la rue du XIIIe arrondissement qui porte son nom que par son œuvre, qui est pourtant très originale et moderne. Il naquit à Saint-Claude dans le Haut-Jura, fils unique d’un père modeste menuisier. Il arrêta ses études après le collège pour gagner sa vie.
Ouvrier lithographe à Lons-le-Saunier, il réussit facilement le concours à l’école des Beaux-Arts de Lyon en 1853, puis, en 1858, celui de Paris, tout en continuant à travailler dans l’imprimerie.
Mais, rebuté par l’enseignement académique et poussiéreux de ses professeurs, il annonce à ses parents qu’il « ne fréquente plus les écoles », préférant le Louvre. En effet, il admire Millet, Delacroix, Corot, Courbet et, dans un autre domaine, les sculptures de Barye, qui va influencer sa spécialité d’artiste animalier. On peut voir ses gravures dans des revues comme Le Temps, L’Illustration, Le Monde illustré, Le Journal pour tous. Durant la guerre de 1870, engagé dans une ambulance de la presse, il envoie au jour le jour ses dessins sur les horreurs de la guerre aux journaux. Théophile Gautier lui rend hommage dans un article :
« Il ne s’agit pas ici de batailles officielles avec un état-major piaffant autour du vainqueur et quelques morts de bon goût faisant académie au premier plan, le tout se détachant sur un fond de fumée bleuâtre, pour éviter au peintre la peine de représenter les régiments. Ce sont de rapides croquis, dessinés d’après le vif sur un carnet de voyage, par un brave artiste, à la suite d’une ambulance. Pas un objet qui n’ait été vu, pas un trait qui ne soit sincère ; aucun arrangement, nulle composition. C’est la vérité dans son horreur imprévue, dans sa sinistre bizarrerie. De telles choses ne s’inventent pas. L’imagination la plus noire n’irait pas jusque là. L’artiste à qui l’on doit ces dessins, M. Lançon, est un naïf. Il fait bonhomme, comme on dit dans les ateliers, c’est-à-dire qu’il ne recherche ni le style ni la tournure ni le chic à la mode. Il rend ce qu’il voit, rien que ce qu’il voit, et, comme un témoin, il raconte les faits en termes brefs et précis. On peut se fier à lui. Il y a dans ces esquisses sommaires une qualité remarquable : le sujet y est toujours attaqué par la ligne caractéristique. Les détails peuvent manquer ou n’être indiqués que par un trait hâtif, mais l’important y est et l’impression en résulte profonde et certaine. »
Durant le siège de Paris, Lançon est sergent de la Garde nationale et, au moment de la Commune, manifeste un engagement communard, participant activement à la Fédération des artistes. Après l’écrasement de la Commune, il est arrêté et va être détenu six mois à Satory et à l’Orangerie de Versailles, en compagnie de Courbet, avant de comparaître devant les tribunaux militaires. Durant son emprisonnement, il continue de « croquer » ce qu’il voit, représentant les conditions de vie des communards. Il sera finalement relaxé et pourra reprendre ses dessins dans la presse dès la fin de l’année 1871. Après un premier tableau refusé au Salon de 1873 pour sa noirceur, il est finalement médaillé, et ses eaux fortes aux Salons de 1874 et 1875 consacrent sa réputation. Il décrit dans ses gravures la vie quotidienne des ouvriers, la misère du peuple dans une série « Les Bas-fonds parisiens », sensible comme toujours aux plus humbles ; il s’intéresse aussi aux vues du Vieux Paris (plusieurs gravures de la Bièvre dans L’Illustration de novembre 1876). Il va également illustrer d’admirables estampes le livre de son ami Jules Vallès, La rue à Londres (Librairie Charpentier, 1883), dans lesquelles on retrouve l’ambiance d’un de ses écrivains préférés, Charles Dickens. Pendant toute la guerre des Balkans, en 1877, il suit l’armée russe en qualité de correspondant de L’Illustration. On pourrait évoquer d’autres aspects de sa production : il illustra de nombreux albums édités notamment par Hachette et Hetzel ; il réalisa une maquette qui servit pour le Lion de Belfort de Bartholdi.
Il mourut précocement à l’âge de 48 ans, le 13 avril 1885, laissant néanmoins une énorme production artistique. L’homme ressemblait à son art. L’archiviste du Jura, Bernard Prost, qui l’a connu intimement, en dresse ce portrait :
« L’homme privé avait la rudesse d’allure et la fière sauvagerie des montagnards. Mais sous des dehors qu’il prenait plaisir à outrer, tous ceux qui l’ont connu ont pu apprécier la fine bonhomie de son esprit et la loyauté de son caractère. Jaloux de son indépendance, il ne voulut jamais rien devoir à personne. Dédaigneux de la réclame, il a vécu isolé, loin des indiscrets dans son atelier de la rue Vandamme, fuyant également les coteries chères aux turbulentes médiocrités et les salons où se dispense, à défaut du talent l’illusion éphémère de la renommée. » [1]
Tout cela explique sans doute que cet artiste, aujourd’hui encore, n’a pas la reconnaissance que ses œuvres si fortes et puissantes mériteraient.
On peut voir de lui de nombreuses peintures au musée des Beaux-Arts de Dole et au musée de Vendôme, et beaucoup de gravures au musée municipal de Nuits-Saint-Georges et au musée du domaine de Sceaux. Son atelier d’artiste, parfaitement conservé, existe toujours dans sa maison natale à Saint-Claude.
PAUL LIDSKY
Les illustrations sont extraites de Paris incendié, histoire de la Commune de Paris de 1871, Georges Bell, impr. E. Martinet, 1872.
On peut consulter et/ou télécharger l’ouvrage numérisé à l’adresse
https://archive.org/details/bub_gb_tZTaiIFm4t8C
On peut voir une vidéo sur Auguste Lançon réalisé par la Société d'Histoire et d'Archéologie du XIIIe arrondissement de Paris
https://www.histoire-paris13.fr/copie-de-t%C3%A9moignage-r-gagneux-bi%C3%A8vre
Article à lire : Enfin une exposition à Paris d’Auguste Lançon !
Notes :
[1] B. Prost, Auguste Lançon aquafortiste, peintre et sculpteur, Paris, 1887.