L’origine de l’affaire, dite «  Les Trois Académicides  », se trouve dans la candidature facétieuse du poète Achille Le Roy à l’Académie française dans le but de ridiculiser cette institution de vieillards vermoulus et réactionnaires grâce à la complicité de ses amis Marius Tournadre et Maxime Lisbonne.

Achille Le Roy est un ex-communard déporté en Nouvelle Calédonie, auteur de chansons révolutionnaires, dont celle-ci, connue sous le nom de Ni dieu ni maître avec les refrains suivants :

« Debout, frères de misères

Debout et plus de frontières

Révoltons nous contre les affameurs

Pour écraser la bourgeoisie

Et supprimer la tyrannie

Il faut avoir du coeur/De l’énergie.  ».

À noter, qu’invité en Union Soviétique en 1925, il y resta pensionnaire comme ancien communard jusqu’à sa mort en 1929.

"Les trois académicides" - Marius Tournaire, Achille Le Roy et Maxime Lisbonne (Source : supplément litéraire du Petit Parisien du 04/06/1893)
"Les trois académicides" - Marius Tournaire, Achille Le Roy et Maxime Lisbonne (Source : supplément litéraire du Petit Parisien du 04/06/1893)

 

Marius Tournadre, lui, s’il n’a pas participé à la Commune est un militant infatigable de la cause anarchiste dans les bassins miniers.

Enfin, on ne présente plus l’immense Maxime Lisbonne, l’un des grands chefs de guerre de la Commune et personnage incontournable des cabarets de l’époque.

Voici la lettre de candidature d’Achille Le Roy telle qu’elle fut envoyée à chacun des académiciens :

« Citoyen de l’Académie et futur collègue, j’ai l’honneur de vous prévenir que, selon l’antique et immortelle coutume, je me rendrai chez vous demain, vers dix heures, pour vous présenter mes hommages respectueusement académiques. »

Dans Le Petit Parisien du 4 juin 1893, on peut trouver un récit cocasse d’un épisode déjà relaté de manière succincte et erronée du néanmoins très émouvant livre de Marcel Cerf sur le colonel Maxime Lisbonne, intitulé Le d’Artagnan de la Commune.

« Afin d’être plus digne de vous, je serai revêtu de mon habit couleur d’espérance et couvert de palmes académicides ; je serai en outre, accompagné de mon secrétaire perpétuel, le sympathique révolutionnaire Marius Tournadre, et escorté de mon ami Maxime Lisbonne. Croyez, citoyen et futur collègue, à mes civilités empressées. »

Marcel Cerf - Maxime Lisbonne, le d'Artagnan de la Commune de Paris - Éditions Dittmar
Marcel Cerf - Maxime Lisbonne, le d'Artagnan de la Commune de Paris - Éditions Dittmar

C’est ainsi qu’affublé d’une tunique de général bolivien, comme le montre la photo (emporté par son enthousiasme de biographe, Marcel Cerf avait remplacé Le Roy par Lisbonne… dont acte), monté dans une vieille guimbarde et suivi par une foule de fidèles, Achille Le Roy arrive à l’Académie où, si certains académiciens refusèrent de le recevoir, d’autres, plus curieux, dont Jules Claretie, auteur d’un très mauvais La Révolution de 1870/1871, purent remarquer sur la poitrine du candidat, l’insigne des « Trois-Huit » qui veut dire :

«  huit heures de travail, huit heures de repos, huit heures de sommeil.  »

Au duc d’Aumale absent, Le Roy laissa ce mot :

«  L’Académie sera prolétarienne ou elle ne sera plus.  »

Enfin, nos trois sympathiques compères laissèrent sur place une marmite à la Ravachol chargée, non pas de poudre, mais de leurs cartes de visite. Au retour, le convoi stationna place du Panthéon sous les cris pleins d’humour de : « Vive Le Roy » et fut chargé par la police, ce qui entraîna bagarre et arrestations de nos amis.

Le journaliste couvrant cette affaire écrivit à la suite que ces visites académiques compteraient dans les annales de la blague et on peut dire, après lui, qu’elles montrent l’esprit toujours vif, enjoué, rebelle de nos communards. Mais n’est-ce pas ce qui avait avant tout séduit le tout jeune Rimbaud dans le mouvement révolutionnaire de 1871 avant qu’il décide de se perdre dans l’abrutissant Ordre Moral ?

 

THIERRY SOLAS

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RÉFLEXION EN PROLONGEMENT DE L’ARTICLE INTITULÉ « DES COMMUNARDS À L’ACADÉMIE FRANÇAISE ? »

Le chapeau de présentation du texte indique une relation « erronée » d’un épisode évoqué rapidement dans l’ouvrage de Marcel Cerf, Le d’Artagnan de la Commune (Le Colonel Maxime Lisbonne). Épisode anecdotique et postérieur de 22 ans à la Commune.
L’auteur (T.Solas) rappelle que selon un article du Petit Parisien du 4 juin 1893, l’ex-communard Achille Le Roy s’est travesti en « général bolivien » pour briguer un siège à l’Académie Française. Entreprise malicieuse, cela va sans dire. Une photographie montre trois « académicides » : Le Roy, assis, est entouré de Marius Tournadre, anarchiste très actif… et de Maxime Lisbonne.

Rappelons que Lisbonne, ex-communard héroïque, comédien — aux rôles multiples — et homme de cabaret drolatique, était spécialiste en canulars et travestissements. Par exemple, les serveurs de sa «  Taverne du Diable  » étaient costumés, par ses soins, les uns en bagnards, les autres en mouchards ! Autre exemple : Lisbonne aimait déambuler dans les rues, installé dans une petite voiture peinte en rouge et tirée par deux chevaux étiques. Assis à coté de lui, un groom, qu’il avait déguisé en forçat, était attaché au siège par une chaîne.
L’article du Petit Parisien (illustré) rapporte les faits qu’une « causerie » du Progrès illustré de Lyon, daté du 28 mai 1893, avait déjà relatés, « causerie » qui présente perfidement Maxime Lisbonne, aux côtés d’Achille le Roy :

« ... le citoyen Maxime Lisbonne, ancien membre de la Commune, un de ces bohèmes forcenés et minables (sic) qui sont d’autant plus maigres que le col de leur habit est plus gras ». 

Réduit à l’état d’histrion famélique, l’acteur est relégué dans des coulisses glauques par le chroniqueur Jacques Mauprat ici bien mal renseigné !

Si Marcel Cerf, historien de la Commune de Paris, en un raccourci généreux, a attribué à Lisbonne l’accoutrement de « général bolivien  », c’est parce que le « d’Artagnan de la Commune » était, des trois protagonistes, le seul expert en déguisements divers. Lisbonne peut être considéré, de toute évidence, comme l’inspirateur de la bouffonnerie, Le Roy en endossant simplement le costume. Ainsi, l’écrivain Didier Daeninckx, dont le talent créatif et la rigueur dans la recherche historique ne sont plus à démontrer, s’amuse-t-il à enrichir cette joyeuse et loufoque aventure dans son dernier et excellent roman, Le Banquet des affamés [1], centré sur la figure de Maxime Lisbonne [2], Lisbonne, dont la devise était sans appel : 

Saltimbanque je suis Saltimbanque je reste.

 

CLAUDINE CERF


Notes :

[1] Gallimard, collection Blanche.

[2] Précisons que Didier Daeninckx avait déjà été inspiré par Maxime Lisbonne, dans son roman 12 rue Meckert (Gallimard, série noire). Daeninckx vient également d’écrire un ouvrage illustré pour la jeunesse, Louise du temps des cerises : 1871, la Commune de Paris (Editions Rue du Monde).

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