Si la première partie de l’existence de Napoléon La Cécilia est riche en prouesses guerrières, à partir de son mariage avec Marie David, il est impossible de traiter séparément la vie de ces deux êtres puisqu’ils ont participé aux mêmes événements tragiques et partagé le même idéal.
Napoléon La Cécilia est un homme de la trempe de ces héros chevaleresques qui, au cours du XIXe siècle, ne craignirent pas d’affronter tous les périls pour défendre la liberté partout où elle était menacée. Parmi ces combattants pour la bonne cause, on peut citer Flourens, Garibaldi, Dombrovski, Wroblewski, Cipriani, La Calle, etc.
La Cécilia Napoléon, François, Paul, Thomas est né à Tours, le 13 septembre 1835. Il est de nationalité française. Le père, Giovanni, historien, est d’origine italienne, sa mère est Corse.
Il fait ses études au collège d’Ajaccio puis à Paris. Mathématicien et philologue, ses connaissances en langues anciennes et modernes sont remarquables. Franc-maçon il aurait appartenu à l’Internationale d’après Lepelletier. Il refuse de servir le Second Empire, et participe en 1860 à l’expédition des « mille » sous les ordres de Garibaldi. Il se distingue à Marsala et à Palerme. Ardent républicain, il n’accepte pas d’être maintenu dans son grade de colonel de l’armée royale italienne. Il enseignera pendant quelque temps, les mathématiques à Ulm, en Allemagne.
Il décie de se rendre à Paris à la fin du Second Empire. Il collabore au journal républicain « Le Rappel ». Il y fait la connaissance du journaliste Edgar Monteil qui deviendra son ami et qu’il retrouvera à l’époque de la Commune. Après le 4 septembre 1870, il s’engage dans le premier bataillon des Francs-tireurs de Paris. Il est nommé sous-lieutenant puis lieutenant et capitaine après le combat de Milly-sur-Oise (Milly-sur-Thérain). Son bataillon s’illustre à Barneville, Châteaudin, Varize et Alençon. La Cécilia est nommé commandant après la bataille de Nogent-le-Rotrou et lieutenant-colonel pour son héroïque contribution à la victoire de Coulmiers (Loiret). En Janvier 1871, il accède au grade de colonel.
Malgré cette activité débordante, Napoléon La Cécilia a dû prendre le temps de se marier avec Marie David. Cette jeune institutrice avait été remarquée par Louise Michel qui avait noté sa présence à l’école professionnelle du bon M. Francolin, rue Thevenot, à la fin du règne de Napoléon III. Louise Michel explique les raisons de la participation de la jeune fille :
Les cours avaient lieu le soir. Celles d’entre nous qui en faisaient partie pouvaient ainsi se rendre rue Thevenot après la classe, nous étions presque toutes institutrices
Marie David assistait aux réunions du cercle de la rue Nollet, présidé par André Léo où l’on discutait de la libération de la femme et du soutien à l’école laïque. André Léo voulait créer une école laïque de filles qui devait ouvrir à Paris le 1er octobre 1870. Marie David figurait parmi les enseignants sélectionnés pour cette école. La déclaration de la guerre à la Prusse mit fin à ce projet.
Marie David fut aussi secrétaire de la « Société pour la revendication du droit des femmes », dont Élie Reclus rédigea une partie du programme. Cette association avait été créée par Léon Richer et Maria Deraisme. Simultanément fut fondé le 18 avril 1869 le journal « Le Droit des Femmes » avec la même direction.
Le 15 mars 1871, La Cécilia adhère au Comité central de la Garde nationale fédérée, et la Commune élue, il devient colonel, chef d’état-major du général Eudes.
Le 24 avril 1871, il est nommé général commandant la place de Paris. Son état-major est situé place Vendôme, puis à l’Ecole militaire. Il prend pour officier d’ordonnance son ami du « Rappel », Edgar Monteil. Ce dernier, dans son livre de souvenirs, nous fait le portrait du général :
C’était un homme de petite taille, maigre, à la marche rapide, nerveux, son visage était creux, marqué de petite vérole, la lèvre fine et serrée, pas de barbe, une petite moustache, très myope, portant des lunettes aux verres épais.
Edgar Monteil, sans raisons valables, attribue à la femme de La Cécilia les changements de caractère de son mari qui autrefois énergique serait devenu indécis et mou. Ce ne sont que pures divagations, Rossel, qui sait apprécier les officiers compétents, confie à La Cécilia le commandement de l’armée du centre de la Commune (entre la Seine et la rive gauche de la Bièvre). Dès le 1er mai 1871, il dirige fermement les opérations destinées à dégager les abords du fort d’Issy. Il lutte jusqu’à la dernière heure avec un courage remarquable comme le constate même un rapport de police.
Pendant la Semaine Sanglante, Marie La Cécilia accouche prématurément d’une petite fille qui meurt deux jours après sa naissance. Cette perte cruelle s’ajoute à l’horreur de la situation. Après la défaite, le général La Cécilia est en fuite. Comme il l’a conté à Victor Hugo, il a été sauvé par une femme qui le connaissait à peine. Une femme qui l’a caché chez elle ; lors d’une perquisition vers quatre heures du matin, elle l’a couvert d’édredons et de vêtements ; les hommes de la patrouille fouillent la pièce et négligent le lit où La Cécilia est dissimulé sous les couvertures [1].
Marie La Cécilia peut gagner la Belgique. Son mari l’y rejoint et ils parviennent à se diriger vers le Luxembourg. Le 20 juillet 1871, ils arrivent à Vianden où séjournent Victor Hugo et sa famille expulsés de Belgique. Le grand poète relate son entretien avec le couple :
Le bourgmestre (de Vianden) entre dans le jardin où est notre table et me dit :
Je vous présente deux compatriotes.
Il me les nomme. Ils arrivent de Paris. Ils y étaient il y a cinq jours. L’un s’appelle Monsieur Lacombe. Monsieur et Madame Meurice semblent le connaître. Je les ai fait asseoir. Le bourgmestre s’en va. Alors, M. Lacombe me dit :
Je suis le général La Cécilia
La Cécilia est venu exprès à Vianden pour justifier sa conduite lors de l’exécution d’un espion versaillais qui n’était pas un enfant comme la presse réactionnaire le soutenait. Victor Hugo, dans « L’année terrible », avait écrit « Johannard est cruel et Sérizier infâme ».
Il faut rétablir les faits dans leur stricte réalité. Le 18 mai 1871, aux Hautes Bruyères, un jeune homme, parfaitement conscient de ses actes, fut arrêté par les Fédérés pour avoir fourni aux Versaillais le plan des positions des Communards et avoir reçu 20 francs en récompense de sa trahison. Il fut condamné à mort par un Conseil de guerre constitué du général La Cécilia, commandant de corps d’armée, de Johannard, délégué de la Commune et de tous les chefs de bataillon du secteur.
Lissagaray commente ainsi l’événement :
Ce fait odieusement travesti a fourni à Victor Hugo, très mal renseigné sur toute cette guerre civile, un vers de « L’année terrible » aussi injuste pour La Cécilia et Johannard que pour l’un des fusillés de Satory, Sérizier ». Victor Hugo, convaincu par l’argumentation de La Cécilia donne son appréciation sur son visiteur : « C’est un homme distingué, de figure très douce. Il est brave.
La Cécilia et sa femme réussirent à passer en Allemagne ou l’ex-général sera un des fondateurs de l’école française destinée aux enfants de réfugiés. Il sera chargé de cours et membre du Conseil d’administration. Il enseigne également à la « Royal Navy School » de New Cross. Son érudition et sa connaissance de nombreuses langues anciennes et modernes justifient sa qualité de membre de la « Philosogical Society of England ». Il n’appartient à aucune formation politique mais a des affinités avec les Blanquistes.
Il collabore aux journaux de Vermesch et quand il apprend l’exécution de Rossel et de Ferré, il écrit dans le « Qui vive » - Londres, 29 novembre 1871, un article élégiaque intitulé « Les Martyrs » :
(...) Ils ont osé ! Rossel et Ferré ne sont plus. Rossel, l’ardent patriote, le fier soldat, le plus intelligent, le plus capable. Ferré, l’homme à la volonté indomptable, l’incarnation des idées révolutionnaires de la Commune ! (...)
Les soucis occasionnés par l’administration de l’école des enfants de réfugiés, les conflits personnels et les horaires épuisants de sa vie professionnelle ruinent sa santé. Il doit, en effet, quitter son foyer à six heures du matin pour enseigner au collège naval, et il rentre à six heures du soir pour donner encore des cours aux enfants de réfugiés. Ses forces s’épuisent, ses poumons sont fragiles et le climat de l’Angleterre ne lui convient pas. Le 23 octobre 1872, Napoléon La Cécilia a été condamné par contumace par le 17e Conseil de guerre à la déportation en enceinte fortifiée.
Un garçon naît en 1876 (selon le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier). On retiendra plutôt la date du 7 juillet 1872 (d’après l’historien anglais Stanley Hutchins). L’enfant a pour prénoms, Vindex, Châteaudin, en hommage à son père qui fut un héros de la résistance aux Prussiens à Châteaudin.
Au début de 1877, Napoléon La Cécilia, très malade, a dû abandonner l’administration de l’école des enfants de proscrits et il décide de quitter l’Angleterre pour l’Égypte où il espère trouver un climat plus favorable à sa santé. Mais il est déjà trop tard et le poste d’enseignement prévu est très mal rétribué, ne lui permettant pas de se soigner convenablement. Il meurt de phtisie pulmonaire à Ramleh près d’Alexandrie, le 25 novembre 1878. Il avait seulement 43 ans. Son père, l’historien, s’éteindra à Naples en Janvier 1880.
Sa femme accablée par sa disparition est dans une profonde misère. Elle a les plus grandes difficultés pour payer son retour en France et celui de son fils. Arrivée à Paris, Marie se souvient du bon accueil reçu à Vianden et elle fait part de sa triste situation à Victor Hugo. Juliette Drouet, qui classe le courrier du poète, écrit à son « Totor » une note de rappel :
Paris, 10 décembre 78, mardi matin (...). Je te fais souvenir aussi que tu as cent francs destinés à venir en aide à Madame La Cécilia. Ce mémento se rencontre aujourd’hui même avec une lettre de Madame La Cécilia très circonstanciée et très touchante à toi adressée. Tu feras bien d’aviser le plus tôt possible du meilleur parti à prendre dans l’intérêt de cette pauvre femme et donner un accusé de réception ». (...). Juliette insiste sur l’urgence de l’intervention de son poète vénéré. Elle s’adresse à « l’homme généreux qui, a l’intention d’envoyer à cette malheureuse veuve, en même temps qu’un secours, une marque de sympathie politique. Vacquerie et Meurice pourront s’entendre demain avec toi sur ce sujet (...).
Marie La Cécilia fera l’objet d’une constante surveillance policière. Un rapport énumère ses différentes adresses ; elle en change souvent pour brouiller les pistes. Elle est présentée comme une femme très convenable, effacée, ne portant pas d’insigne, même pendant la Commune. Marie la discrète accomplit son travail de propagande sans tapage, mais avec efficacité.
Le 5 mars 1879, Lockroy organise une souscription en sa faveur sous la présidence de Clemenceau. Dans le dossier de police la concernant, il existe une curieuse copie d’une lettre datée du 18 novembre 1879 envoyée par Marie à une certaine Louise (est-ce Louise Michel ?) : elle s’indigne d’une humiliation qu’elle vient de subir. Elle refuse un poste d’enseignante auquel elle a droit mais octroyé à condition de renier son passé. Des amis socialistes, scandalisés par une telle proposition rédigent une lettre de protestation qui sera publiée dans le « Prolétaire », journal de Paul Brousse. Dans la même lettre, elle donne des nouvelles de son fils. Il a grandi et c’est le portait de son père dont il a l’intelligence, la droiture et le courage. Cet enfant est toute sa raison de vivre. Sans lui, elle souhaiterait rejoindre ceux qui sont morts pour la liberté. La presse réactionnaire ne peut admettre qu’une Communarde puisse retrouver son emploi d’institutrice ; dans le « Gaulois » du 25 août 1880, l’échotier estime qu’elle n’est pas à plaindre :
Elle va prendre la direction d’une école de filles rue du Perche (IIIe arrondissement). Mais pourra-t-elle s’y maintenir ?
Elle poursuit son activité militante. En Août 1880, une réunion des anciens proscrits de Londres se tient à son domicile, 37, rue des Noyers dans le cinquième arrondissement de Paris.
Le 19 mars 1881, dans la salle de « La Fraternité », 156, rue Saint-Denis, au cours d’un banquet de l’anniversaire de la Commune, Marie La Cécilia prend la parole pour rappeler l’œuvre de la Révolution du 18 mars en faveur de l’émancipation des femmes. En 1882, elle obtient un poste d’enseignante grâce aux bons offices de Lefèvre Ronner, ancien sous-chef d’état-major au Ministère de la Guerre et juge suppléant à la Cour martiale de la Commune. Pendant des années, Marie La Cécilia vivra modestement de son traitement d’institutrice tout en assurant l’éducation de son fils. Elle conserve, aussi ardente, sa foi en la défense de l’école laïque et à la revendication des droits de la femme.
Marcel Cerf
[1] Hugo Victor. Choses vues, tome III, p. 297. Edit. Rencontre. 1968.