ÉLISÉE RECLUS L'HOMME QUI AIMAIT LA TERRE

Henriette Chardak, Élisée Reclus, l'Homme qui aimait la Terre, Éditions Stock, 592 pages.

Henriette Chardak, en écrivant sa biographie passionnée d’Élisée Reclus, réussit à communiquer aux lecteurs son enthousiasme pour le grand géographe. Son lyrisme tellurique s'accompagne d'une sérieuse documentation historique et scientifique.

L'auteur nous avoue loyalement qu'elle a imagine les dialogues fondés sur des faits réels, mais elle nous assure, en revanche, que les lettres reproduites dans l'ouvrage sont parfaitement authentiques ; dont acte.

Fils de pasteur, Élisée Reclus perd très tôt la foi, Étudiant à Berlin, il devient le disciple du géographe Karl Ritter. Gagné aux idées républicaines et socialistes, il doit s'exiler, ainsi que son frère préféré, Élie, après le coup d'état du 2 décembre 1851.

Il parcourt l'Angleterre, l'Irlande, puis s'embarque pour l'Amérique où il est tour à tour précepteur, planteur et explorateur. De dures conditions matérielles ne réussissent pas à décourager l'infatigable voyageur qui lutte contre l'esclavage, les injustices, les conventions sociales et le colonialisme.

Membre de la première Internationale, il se lie à l’anarchiste Bakounine. Il mène sa vie sentimentale avec autant de passion que celle de géographe. Des femmes exceptionnelles partagèrent sa destinée, y apportant leur beauté, leur intelligence et leur compréhension des impulsions impératives du globe-trotter impénitent. Revenu en France à la fin du Second Empire, il se réjouit de sa chute mais déplore l’inaction du gouvernement de la Défense Nationale. Le 18 mars 1871 consacre le triomphe de son idéal social.

Simple Garde national lors de la désastreuse sortie du 3 avril, Élisée Reclus est fait prisonnier et subit le régime atroce des prisons versaillaises. Son frère Élie, l'ethnologue, est nommé, par la Commune, directeur de la Bibliothèque Nationale. Élisée est condamné à la déportation en Nouvelle Calédonie. Grâce aux pétitions des savants européens, sa peine est commuée en dix années de bannissement. Exilé en Suisse, il poursuit ses travaux scientifiques.

Amnistie en 1879, il fonde avec Kropotkine le journal anarchiste La Révolte. En 1890, il est nommé professeur de géographie comparée à l'université libre de Bruxelles. Chose à peine croyable, cet encyclopédiste, généreux et tolérant, fut un temps influencé par la propagande antisémite. Mais son amitié pour le savant juif Metchnikoff, et son admiration pour le courage de Zola dans l'Affaire Dreyfus, lui feront prendre conscience du dévoiement momentané de sa pensée.

L'œuvre magistrale d'Élisée Reclus, La Géographie Universelle (1875-1894) établit définitivement sa réputation scientifique internationale, confirmée par de nombreux autres travaux de géographie et de critique sociale.

Sans tomber dans l’hagiographie, Henriette Chardak a su faire revivre intensément l'action militante et pédagogique de l'Homme qui aimait la Terre.

Marcel Cerf

Henriette Chardak, Élisée Reclus, l'Homme qui aimait la Terre, Éditions Stock, 592 pages.



EUGÈNE POTTIER, NAISSANCE DE L'INTERNATIONALE

Pierre Brochon, Eugène Pottier – Naissance de l’Internationale, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 1997.

Pierre Brochon est sans conteste un des meilleurs historiens de la « Chanson sociale ». Ses publications sur le Pamphlet du pauvre et Beranger demeurent des références à l'instar de son édition critique des Œuvres complètes d’Eugène Pottier auquel, il le connaît mieux que quiconque, il consacre ce nouvel ouvrage.

Pour évacuer d'emblée une réserve, il convient de rappeler les tribulations d'un manuscrit imposant, fruit d'années de recherches minutieuses. Les impératifs d'édition en ont rendu nécessaire une version resserrée. C'est pourquoi les transitions entre les chapitres semblent parfois un peu abruptes et peuvent déconcerter le lecteur moins averti que Brochon... Cette critique ne pèse pas face à son apport. Il avait fait un sort depuis longtemps à l’émouvante légende dorée de l'Internationale créée dans les flammes de la Semaine sanglante. Il nous révèle comment s'est forgé le poète, l'homme et son milieu, fournissant une foule de données sur des aspects méconnus ou ignorés : son enfance, les sociétés chantantes populaires ou goguettes, ses amis, son métier de dessinateur sur étoffes et les techniques de cette profession. son évolution intellectuelle et politique (avec des précisions nouvelles sur l'influence du fusionnisme et de son pittoresque fondateur Louis de Tourreil), son rôle sous la Commune, notamment au sein de la Fédération des Artistes... Scrupuleux, lucide et foisonnant, l'auteur n'entend rien omettre et apporte ainsi nombre d'éclairages nouveaux.

Cette volonté d'être complet conduit Brochon à ne pas éluder un problème grave : Pottier était antisémite. Il faut évidemment situer cette attitude dans le contexte de son époque. Sans doute peut-on dire qu'il s'agit plus d'anti-judaïsme que d'antisémitisme (dans la tradition de certains philosophes rationalistes du 18ème siècle), que l'affaire Dreyfus sera l'occasion d'une mise au point théorique, que Pottier ne sombre pas dans la dérive sémantique d'un Toussenel ou le délire génocidaire d'un Proudhon... Certes, mais il n'en demeure pas moins que l'auteur de l'Internationale fit plusieurs fois preuve d'un racisme intolérable : il fallut expurger d'un texte l'édition maçonnique de ses Chants révolutionnaires, en 1907. Assurément la formule d'Auguste Bebel selon laquelle l'antisémitisme est le socialisme des imbéciles est-elle fondée et séduisante, mais elle est incomplète : Pottier n'était pas un imbécile. Force est d'en conclure que parfois la raison détonne en son cratère.

Mentionner cet aspect souligne le sérieux avec lequel Brochon nous offre un livre dont le personnage est envisagé sous ses multiples facettes, Il constituera désormais le point de départ oblige de toute étude ultérieure sur Eugène Portier.

Jacques Zwirn

Pierre Brochon, Eugène Pottier – Naissance de l’Internationale, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 1997.

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