Un de nos fidèles amis, Alain Tizon, lors d'une de ses promenades dans Paris, a découvert, au n° 3 de la place de la Bastille, à l'angle de la rue Saint Antoine, et à la hauteur du premier étage, une curieuse inscription : 26 mai 1871. Il nous en a fait parvenir des photos.
Il ne s'agit pas d'un graffiti griffonné fiévreusement dans le feu des combats de la semaine sanglante. Ce sont des lettres et des chiffres soigneusement gravés dans la pierre de ce bel immeuble haussmannien dont le rez-de-chaussée est occupé par « le Café Français ».
Cette inscription de faible dimension peut passer inaperçue car le regard est surtout attiré par une grande plaque plus à gauche reproduisant le plan de la forteresse. Posée le 14 juillet 1880, elle rend hommage au peuple qui a pris la Bastille, 91 ans plus tôt.
L’énigmatique inscription, serait-elle contemporaine de cette cérémonie du 14 juillet 1880 qui marque la consécration définitive de la République ?... Le 14 juillet est devenu notre fête nationale et « La Marseillaise » l'hymne de tous les Français. Quelques jours auparavant, le 11 juillet, la loi entérinant l'amnistie pleine et entière des communards, a été promulguée.
Pourquoi le 26 mai 1871 ? — sans doute pour marquer la résistance héroïque des communards très inférieurs en nombre aux Versaillais, du 24 au 26 mai 1871, place de la Bastille.
Les fédérés avaient construit de solides barricades pour défendre les différentes voies aboutissant à la place. De la terrasse de la gare du chemin de fer de Vincennes (emplacement actuel de l’Opéra Bastille) leurs canons dominaient la situation mais les artilleurs manquaient.
A quelques mètres de l’inscription, une barricade armée de trois pièces fermait l’entrée de la rue Saint-Antoine et une seconde avait été construite un peu plus bas, à la hauteur de la rue Castex.
L’artillerie fédérée ne permettait pas aux Versaillais d'attaquer directement ces deux barricades Ils durent, à partir de la rue Saint-Paul, se frayer un chemin à travers les maisons enlevées aux communards qui, postés dans les étages, les tiraillaient sans cesse.
Le général Vinoy, commandant en chef des opérations d'investissement était furieux, disait-il, « des démonstrations hostiles des habitants qui ne nous cachaient pas leur sympathie pour l’infâme gouvernement dont nous voulions les délivrer ».
Le 25 mai, l'armée régulière réussit enfin à s'emparer de la barricade de la rue Castex. Les assaillants veulent ensuite s'attaquer à la grande barricade de la rue Saint-Antoine, mais la riposte sévère des fédérés et la nuit qui tombe mettent un terme à leur avancée.
Ils reprennent l’offensive le lendemain, soutenus sur la gauche, par un détachement venu de la place Royale (place des Vosges).
Le 26 mai 1871, les Versaillais parviennent aussi à prendre à revers la gare de Vincennes et encore, pendant six heures, les derniers défenseurs des barricades de la Bastille résistent au flot des envahisseurs.
Les lecteurs, qui pourraient nous fournir des renseignements complémentaires sur l'inscription du 26 mai 1871, sont invités à nous contacter.
Marcel Cerf
Le 26 mai 1871 (suite)
Ci-dessus, nous avons relaté la découverte par notre ami Alain Tizon, d’une curieuse inscription sur un immeuble de la place de la Bastille.
Depuis cette révélation, de nouveaux éléments sont venus conforter notre thèse sur l’origine de l’inscription.
Dans le n°24 (4ème trimestre 2001) des Cahiers de la Rotonde (publication de la Commission du Vieux Paris), Isabelle Parizet a établi un inventaire chronologique des immeubles parisiens datés et signés, antérieurs à 1876.
873 inscriptions ont été relevées. Le numéro 776 a particulièrement retenu notre attention. Il est ainsi rédigé :
26 mai 1871, 3 place de la Bastille, 1 rue St. Antoine 4° art). A. DUCLOS – entrepreneur – immeuble de rapport.
On peut en conclure que la construction de la maison a été terminée le 26 mai 1871.
Nous avons déjà soutenu qu’il paraissait improbable que cette inscription ait pu être soigneusement gravée en pleine semaine sanglante, au milieu de très violents combats.
D’autre part, le lien entre la date du 26 mai 1871 et le nom de l’entrepreneur semble bien fragile. Les deux inscriptions sont nettement séparées l’une de l’autre et les caractères utilisés pour la gravure sont très différents.
La consultation des cadastres 1862 et 1876 aux Archives de Paris permettent d’en déduire que l’immeuble a été construit vers la fin des années 60 du 19ème siècle.
En 1870, le propriétaire est Louis Carmoy, il le sera encore en 1891. Cette même année 1870, on peut constater la présence de quelques locataires. Il est fait mention d’un bail de Janvier 1870.
Dans l’atmosphère politique de l’époque, il est d’ailleurs difficile d’admettre que l’inscription ait pu être exécutée avant l’amnistie des communards, le 11 juillet 1880.
L’immeuble du 3, place de la Bastille est devenu un lieu historique du fait de son emplacement sur une partie de l’ancien périmètre réservé à la célèbre prison. Une plaque commémorative reproduit le plan de la Bastille. Un autre, beaucoup plus petite, rend hommage « à nos pères de 1789, à ceux qui ont conquis nos libertés ». Sur une troisième aussi réduite, on peut lire « souvenir du 14 juillet 1789 ».
Il était donc normal que l’héroïque résistance des fédérés place de la Bastille, le 26 mai 1871, soit aussi glorifiée dans le même lieu, mais l’absence d’un commentaire plus explicite peut surprendre. Faut-il incriminer le propriétaire de la maison ou les autorités de l’époque ? Qui nous donnera l’explication de cette étrange omission ?…
Marcel Cerf