Notre ami Claude Willard, président d’honneur des Amies et Amis de la Commune de Paris, nous a quittés le 30 novembre 2017, à l’âge de 95 ans.
Eu égard au rôle immense qu’il joua au service de notre association, qu’il présida de 1984 à 2007, et à son action au service des idéaux de la Commune de Paris, nous lui consacrons plusieurs témoignages en forme d’hommage.
L’AMI DE LA COMMUNE
Claude Willard était bien davantage qu’un président d’honneur de l’Association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 : cet homme d’une élégance rare en était une figure à la fois attachante et respectée.
Se vouer à cette association, la plus ancienne du mouvement ouvrier français, n’avait rien de formel chez lui. Ce n’était rien d’autre que la marque d’une fidélité de toute une vie, amour d’un ancrage familial voué au grand rêve de « la Sociale », attachement indéfectible à un engagement de jeunesse dans le mouvement communiste et dans l’action résistante, passion intellectuelle pour l’étude d’un mouvement ouvrier qui, pendant longtemps, n’attira pas la foule des chercheurs et des institutions.
Claude mit toute son ardeur et son ouverture d’esprit à l’étude ambitieuse et exhaustive du courant guesdiste français, puis l’élargit à celle du mouvement socialiste et communiste français. Profondément cultivé, professeur inoubliable, déterminé à faire connaître et aimer l’histoire de ce peuple que l’on oublie trop, il ne cultivait pas les honneurs, préférant le « bien vivre » et la fraternité au paraître, tout comme la magnifique Germaine Willard, qui partagea sa passion jusqu’à sa mort en 2003.
Claude fréquenta Jacques Duclos, par l’entremise de son père, l’avocat communiste Marcel Willard. Il côtoya longtemps son camarade et collègue, l’historien Jean Bruhat. C’est donc tout naturellement qu’il leur succéda à la tête de l’Association des Amis de la Commune, en 1984. Il en fut le Président jusqu’en 2007, toujours lui-même, passionné, attentif, chaleureux, d’une ouverture constante. Il ne confondit jamais le désir de poursuivre une trace et la frilosité conservatrice. Il considérait que, puisque décidément la Commune n’était pas morte, l’association qui se réclamait de sa mémoire et de ses valeurs devait elle aussi évoluer pour vivre.
Pour lui, la Commune ne pouvait être la chasse gardée de quiconque, organisation ou courant d’idées. Puisque la Commune était plurielle, ses héritiers devaient cultiver ce pluralisme et ce regard porté au-delà de Paris et de la France. Il rêva même d’une association internationale, qui s’est réalisée dans les faits sinon dans la structure, si l’on en juge par l’attrait aujourd’hui universel pour la Commune et pour l’ensemble de ses acteurs.
Claude confiait souvent sa fierté devant le travail réalisé dans l’association, avec lui et par ses successeurs après lui, Claudine Rey et Jean-Louis Robert. On comprendra ici que nous retournions l’hommage : l’association des Amies et Amis de la Commune est fière d’avoir bénéficié de l’élan de cet homme exceptionnel. Elle s’associe à la peine de sa famille, à celle de son fils François et de Marie-Claude, sa fille, si pleinement impliquée dans nos travaux. Mais cette peine, comme la nostalgie du Temps des cerises, n’atténue pas, bien au contraire, la détermination de poursuivre la même quête communarde de la justice sociale et de l’émancipation humaine.
ROGER MARTELLI ET JOËL RAGONNEAU
coprésidents de l’Association des Amies et Amis de la Commune de Paris-1871
NOTRE AMI
Écrire sur la mort de Claude Willard ravive une intense douleur. Cet homme d’une grande modestie, qui sut par son intelligence prendre le chemin qu’il fallait pour développer largement notre association, ajoutait à cette qualité, fondamentale à mon sens, une élégance rare, une gentillesse, un regard bienveillant qui le rendaient proche de tous.
Il avait un remarquable esprit de synthèse, au point que dix lignes, avec des virgules bien sûr, (et il nous faisait la guerre pour cela), était déjà un texte de base qui faisait référence. Précis, il l’était aussi dans la vie quotidienne et nous savions qu’il fallait commencer et finir à l’heure nos réunions !
Sa détermination à faire avancer le thème de la modernité de la Commune, pour ouvrir l’association et l’actualiser, le moyen concret de grandir en multipliant les possibilités de cadres et d’actions par la création de commissions, ont permis un large développement des Amies et Amis de la Commune de Paris.
Avec Claude, nous échangions souvent sur notre rôle rassembleur et fédérateur avec l’exemple, précieux et unique, de la montée au Mur. L’idée de faire sortir de l’ombre, par des coups d’éclats, notre association, ignorée le plus souvent par les médias, nous en avons souvent débattu ! Aussi avions-nous retenu le projet ambitieux d’une exposition de peintres contemporains à l’Assemblée nationale. Avec son aide constante et précieuse, nous avons pu aboutir. Son soutien pour aider à sortir de l’ombre les communardes fut aussi une contribution à l’histoire de la Commune. Que de souvenirs ! Citons entre autres la préparation de la brochure Histoire de l’association. Moments passionnants de travail et de découvertes sur notre riche organisation.
Pour Claude, il n’y avait pas de tâches mineures. Tant qu’il en a eu la force, et même au-delà, il tenait les tables de vente de littérature. Il participait aux mises sous plis pour l’envoi du bulletin, auquel il attachait une très grande importance. Il ne manquait jamais une réunion de la commission littérature.
La renaissance de la tradition du banquet est venue l’année qui a suivi son élection comme président. Pas un hasard non plus ! La convivialité, l’amitié, étaient au cœur de son existence.
Dans les régions, Claude avait su tisser des liens durables à chacun de ses déplacements. À Dieppe, à Marseille, au Luxembourg…. Et tant d’autres encore !
La peine est grande pour tous et s’ajoute aujourd’hui une autre disparition, celle de Jean- Claude Liebermann. Le jour des obsèques de Claude nous avions, Jean-Claude et moi, déjeuné côte à côte et échangé sur cette grande perte qui nous touchait profondément. Plus de vingt ans d’activités communes nous unissaient dans notre chagrin. Parties prenantes de la vie de l’association, nous étions sur la même longueur d’onde et cela faisait du bien. Le coup brutal, inattendu, de la mort de Jean-Claude, est rude à nouveau !
Cependant ils nous laissent l’un et l’autre ce très beau sentiment qu’est l’amitié, que l’on peut partager en se serrant les coudes, et qui aidera à surmonter notre peine.
Claude, Jean-Claude, nous n’oublierons pas ! Chaque action que nous mènerons vous ramènera par la pensée à nos côtés, pour dire encore ensemble : Vive la Commune !
CLAUDINE REY
présidente d’honneur des Amies et Amis de la Commune
L’HISTORIEN
- Montée au Mur des Fédérés 2013
Je voudrais d’abord rappeler tout ce que je dois à Claude Willard. D’abord, il fut mon professeur, avec Jean Bruhat et Madeleine Rebérioux, en 1968-1969, au Centre Universitaire Expérimental de Vincennes, tout jeune enfant de mai 68. Claude avait choisi de se lancer dans cette aventure, où s’ouvrait une perspective de démocratisation de l’enseignement supérieur. Nous avons ensuite travaillé ensemble dans le DEA d’histoire sociale qui était commun aux universités Paris 1 et Paris 8 et dans le cadre du GRECO du CNRS - « Travail et Travailleurs ». Mais je lui dois surtout de m’être autant engagé dans l’association des Amis de la Commune. Et je lui en suis encore profondément reconnaissant.
L’œuvre historique essentielle de Claude Willard fut assurément sa thèse d’État sur le guesdisme, de 1893 à 1915, qui fit l’objet d’un beau livre paru en 1965 et qui continue à faire autorité. Étudiant avec finesse des sources multiples, il sut reconstituer une sociologie politique du guesdisme, faisant ainsi apparaître trois points essentiels : le guesdisme, ce fut la construction du premier parti politique en France, un modèle sans cesse réitéré et discuté ; le guesdisme, ce fut un profond messianisme, le rêve de « la terre promise », mais évoluant progressivement d’un sentiment de crise définitive du capitalisme et de la victoire révolutionnaire rapide vers une croyance profonde en la possible victoire électorale et parlementaire ; le guesdisme, ce fut aussi pour Claude Willard un vecteur essentiel de l’introduction du marxisme en France, mais d’un marxisme parfois systématique et mécaniste. Cette très grande thèse lui ouvrit grand la porte de l’Université.
La thèse seconde de Claude Willard était une étude critique de la correspondance du socialiste Charles Brunellière. On y voit ici le goût de l’historien pour le texte et son analyse critique. Il éditera ainsi aussi Babeuf et Guesde dans Les Classiques du peuple.
Claude Willard fut aussi l’homme des synthèses claires et précises qui servirent et servent à des générations d’étudiants : Socialisme et communisme français et Le socialisme de la Renaissance à nos jours sont ainsi devenus des classiques de notre historiographie. Il dirigea aussi la grande entreprise parue en 1993-1995, La France ouvrière, où se retrouvèrent plusieurs générations d’historiens qui avaient gravité un temps, plus ou moins, autour de l’Institut Maurice-Thorez.
Travaillant volontiers en équipe (notamment avec Germaine, la compagne de sa vie), Claude Willard s’avança aussi sur des terrains plus larges ; abordant avec Danielle Tartakowsky la France du Front populaire, avec Maurice Moissonnier les révoltes du XIXe siècle. Devenu membre actif du GRECO du CNRS, « Travail et travailleurs » et professeur à Paris 8, il participa, à ce double titre, à l’ouverture du champ de recherches sur les banlieues, alors embryonnaire.
L’humanisme de Claude Willard se trouve aussi dans deux publications qu’il réalisa en collaboration étroite avec deux militants. La part des hommes était pour lui essentielle. Henri Jourdain et Pierre Villon acceptèrent de longues discussions avec lui et il en sortit deux beaux livres dans les années 1980.
A compter des années 1990, Claude Willard consacra l’essentiel de ses activités aux Amis de la Commune de Paris-1871. Il ne souhaita pas se faire l’historien de la Commune, son souci principal étant le développement d’une organisation mémorielle et citoyenne, ouverte à toutes celles et tous ceux qui partageaient les idéaux de cette grande révolution. Des idéaux qui ont animé toute la vie de Claude Willard.
JEAN-LOUIS ROBERT
président d’honneur des Amies et Amis de la Commune
LE MILITANT, L’HISTORIEN, LE PROFESSEUR [1]
Claude Willard nait en 1922, dans une famille bourgeoisie engagée dans les combats politiques et culturels du nouveau siècle, famille dont tous les membres adhèrent au jeune parti communiste : son oncle, René Hilsum, fonde en 1919 les Editions du Sans Pareil qui publient les premiers surréalistes ; son père, l’avocat Marcel Willard, assure en 1933 la défense de Dimitrov au procès de l’incendie du Reichstag puis, en 1939-40, celle des députés communistes. Claude Willard passe son enfance et sa scolarité au cœur du Quartier latin et engage des études d’histoire à la Sorbonne. Il les interrompt en 1943 face aux urgences de l’heure et entre en Résistance, comme alors tous ses proches, et adhère cette même année au parti clandestin, parti auquel il restera fidèle jusqu’au terme de sa vie, déclinant ses engagements à l’aune de ses compétences, de sa passion et de son empathie pour l’histoire ouvrière, celle du mouvement ouvrier et de ses acteurs.
Il reprend ses études à la Libération et devient tout aussitôt un des dirigeants de l’Union des Étudiants Communistes, alors creuset d’un renouveau des approches historiques, et rencontre là de jeunes historiens et historiennes, impliqués dans un même renouveau qui vaudra à l’histoire ouvrière et à l’histoire du socialisme de faire quelques années plus tard son entrée à l’Université. Après avoir été reçu en 1946 à l’agrégation spéciale réservée aux résistants, il enseigne dans le secondaire et entreprend une thèse d’État sous la direction d’Ernest Labrousse. Cette thèse, soutenue en 1964, est consacrée au Mouvement socialiste en France (1893-1905). Les Guesdistes. Son attention jamais démentie pour ce vecteur majeur de l’introduction du marxisme en France qu’est le guesdisme, lui vaut de consacrer ensuite sa thèse complémentaire à une étude critique de la correspondance du socialiste Charles Brunellière.
Claude Willard, qui affectionne le travail en équipe, les dynamiques intellectuelles et les amitiés qui s’y nouent — il convient de citer ici Rolande Trempé et Madeleine Rebérioux, ses amies de toujours — entre à la fin 1958 au bureau de l’Institut français d’histoire sociale, qui édite alors le bulletin L’Actualité de l’Histoire, puis fait partie du Comité de rédaction du Mouvement Social qui lui succède. En 1959, il participe à la fondation de la Société d’Études jaurésiennes, dont il était le dernier témoin vivant et, dans les années 1980, devient un des membres actifs du GRECO « Travail et travailleurs aux XIXe et XXe siècles » (CNRS), où il anime les recherches sur la banlieue parisienne.
- Lors d’un « Paris communard » en 2007
Il y eut toujours chez Claude Willard un anticonformiste, sans nul doute enraciné dans son héritage familial, qui le rendit circonspect, sinon mal à l’aise, vis-à-vis des codes et des normes qui sévissaient dans la vieille Sorbonne, où ses recherches lui avaient valu d’être élu assistant en 1961. Sensible aux premiers tressaillements qui ébranlent l’Université française dès le début des années soixante, il quitte la Sorbonne trois ans plus tard pour rejoindre la jeune et turbulente Nanterre, où il traverse activement les événements de mai-juin 1968. Toujours attiré vers de nouvelles expériences, quand elles lui paraissent conformes à ses aspirations pédagogiques et politiques, il rejoint dès la première heure le Centre universitaire expérimental de Vincennes, qui se caractérise par une ouverture aux salariés non-bacheliers et ouvre des potentialités pédagogiques nouvelles. Il est un des fondateurs du Département d’histoire dans ce qui devient l’Université Paris 8, et dispense là une vision renouvelée de l’histoire politique, qui fait une large place à la culture et apprend à ceux qui suivent ses cours avec passion à traiter le cinéma comme une source, démarche alors peu commune. Dans un souci d’élargir les horizons de tous, il est un des initiateurs des relations qui se nouent alors entre ce département et la Chine, relations universitaires également peu communes à l’époque, mais il prête également l’attention la plus grande au terrain et à ses exigences. Après le transfert de Vincennes à Saint-Denis, il fait en effet partie de ceux qui tiennent cet ancrage nouveau pour une richesse et initie un diplôme d’université sur la connaissance des banlieues, qui répond aux besoins de professionnalisation de nombreux acteurs de terrain.
Cet excellent pédagogue, qui savait conjuguer rigueur et bienveillance, toujours attentif à ses étudiants et à ses doctorants, s’est caractérisé par un souci de vulgarisation, à l’œuvre dans des synthèses, dont Socialisme et communisme français, qui fut longtemps un classique. C’est ce souci de vulgarisation, à des fins de transmission, qui lui vaut d’accepter et d’exercer avec dynamisme la présidence des Amis de la Commune après son départ à la retraite. Attentif à la nécessité de transmettre sans nostalgie ni complaisance, il sut renouveler en profondeur cette association, comme attesté par le grand nombre de jeunes enseignants et enseignants-chercheurs qui gravitent aujourd’hui autour d’elle. Il s’engage alors également activement dans la réalisation d’entretiens qu’il savait mener avec un grand tact, aux fins d’enrichir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. En 2008, Pierre Singaravélou avait, en miroir, réalisé avec lui un entretien pour le Mouvement social [2], entretien dans lequel Claude Willard revenait sur sa trajectoire et ses engagements.
Ceux qui l’ont connu et ont travaillé à ses côtés, comme j’ai eu le plaisir et l’honneur de le faire, garderont le souvenir d’un homme de grande culture et d’une élégance rare, doté d’un solide humour, jusque dans la tourmente. Un homme pour qui l’amitié et la fidélité étaient des vertus cardinales.
DANIELLE TARTAKOWSKY
Historienne, ancienne présidente de l’université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis
ENSEIGNANT À PARIS 8-VINCENNES
Je me souviens de mes années à la faculté Paris 8-Vincennes, ouverte après 1968, parallèlement à Paris-Dauphine, mais avec des acteurs bien différents, qu’ils soient enseignants ou étudiants. J’avais abandonné mes études d’histoire, que j’ai reprises avec enthousiasme dans cette faculté dite expérimentale et qui le fut vraiment.
Mes choix éclectiques de thèmes d’études — on parlait à l’époque d’« unités de valeur » — m’orientèrent notamment vers Jean Bruhat, Marianne Debouzy, Madeleine Rebérioux, Pierre Sorlin, Michel Winock et Claude Willard. Silhouette longue et élégante, une grande disponibilité, mais une certaine réserve, un enseignement précis et rigoureux concernant l’histoire des mouvements politiques, syndicalistes et populaires de notre pays de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Vendredi 1er décembre 2017, au lendemain de sa disparition, j’ai relu un exemplaire d’un numéro ancien du bulletin de l’association, le numéro 30 de 2007, avec un éditorial de Claude Willard. 2007/2017 : il y a des correspondances à faire entre ces deux dates. Citons ses propos sur le thème de La Commune, incarnation de la démocratie : « En 2007, les élections présidentielles et législatives. […] Dans la campagne électorale…, le mot « démocratie » est galvaudé, à droite, voire à gauche. Rappelons donc que la Commune a créé une démocratie véritable, au sens étymologique du terme, « le pouvoir du peuple ». Bref, le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. […] Cette démocratie vraiment « participative » repose sur une constante pression des masses sur les élus. […] Certes, à temps nouveaux, solutions nouvelles. Mais la Commune demeure d’une extraordinaire modernité et d’une prodigieuse fécondité. Multiplions nos efforts pour qu’elle puisse inspirer nos divers combats d’aujourd’hui et de demain. »
ALINE RAIMBAULT
Notes
[1] Cet article a été initialement publié le 7 décembre 2017 sur le carnet du Mouvement social : http://lms.hypotheses.org/302 Nous remercions l’auteure et la direction du Mouvement social de nous autoriser à le reproduire.
[2] Claude Willard, « Entretien avec Pierre Singaravélou », Le Mouvement social, n° 223, 2008/2.