La poste avant la Commune.
Alors que Paris est assiégé par les Prussiens, différents moyens sont mis en oeuvre pour communiquer avec la province et forcer le blocus. Nous sommes à l’époque des ballons. Ils sont donc utilisés pour transporter des sacs de lettres. Sur la Seine, des « bouteilles » étanches sont chargées de transporter la correspondance.
Les pigeons, connus de longue date comme messagers, transportent dans un tube fixé à la plume de leur queue des dépêches par milliers. Mais le pourcentage de pigeons récupéré est faible [1] . En 1870, l’administration des postes affrète quarante-sept ballons sur les soixante-cinq qui quittent Paris. Les lettres affranchies au départ coûtent 20 centimes. Le timbre à l’effigie de Cérès [2] est réédité. Le télégraphe existe lui aussi. Les bureaux de poste sont en place et, si la plupart des facteurs vont à pied, ceux des grandes villes comme Paris utilisent des moyens de locomotion appropriés (cheval, omnibus).
La poste sous la Commune.
Albert Theisz, élu du XIIe arrondissement (voir sa biographie), a été nommé directeur du service des postes par la Commune. Il se présente, accompagné de Fränkel, à l’Hôtel des postes pour prendre ses fonctions. Il trouve Rampont, directeur des postes nommé en septembre 1870, qui assure « qu’il restera fidèle à la Commune ». Theisz hésite et demande l’avis de la Commune qui met quelques jours à répondre. En fait, Rampont s’enfuit le 30 mars à Versailles avec la caisse (200 000 francs selon le journal versaillais Le Gaulois), et toutes les planches de timbres. Il s’adresse à tous les fonctionnaires sous ses ordres leur enjoignant de rejoindre Versailles avec le numéraire et les valeurs en leur possession.
Cela ne se passe pas sans heurts ! À Belleville, le receveur est arrêté au moment de son départ et doit rendre son sac rempli de numéraire. À l’Hôtel des postes, le 80e bataillon de fédérés investit les lieux au moment où des postiers s’enfuient avec ce qui reste de valeurs.
La nomination de Theisz.
La Commune confirme alors Theisz dans son poste. Sa première mesure édictée n’est pas un texte de répression, mais il fait apposer, à la place des affiches incitant à rejoindre Versailles collées partout à l’Hôtel des postes et dans les bureaux, un texte de loi datant de 1854 qui rappelle « qu’aucun agent ne peut s’absenter sans une autorisation ». Finalement, un grand nombre de postiers rejoignent leur travail.
Mais les cadres manquent. Les chefs de bureau, les sous-chefs ont abandonné leur poste sans vergogne. Ce sont alors les premiers commis qui sont promus.
Theisz a le sens de l’organisation collective. Le conseil de la poste, comme d’autres conseils dans les grandes administrations, existe déjà, mais Theisz lui fait jouer pleinement son rôle autogestionnaire en élargissant sa composition.
Il forme, début avril, un conseil des postes ayant voix consultative, composé du directeur général, de son secrétaire, du secrétaire général, de tous les chefs de service, de deux inspecteurs et de deux facteurs-chefs. Il ne va pas jusqu’à l’élection des responsables, comme cela a été mis en place aux ateliers du Louvre, car la désorganisation est importante et il faut parer au plus pressé ! D’ailleurs, durant deux jours, le courrier n’est pas distribué et Theisz alerte l’opinion publique sur la responsabilité de ceux qui ont désorganisé le service :
« Que la responsabilité retombe sur ceux qui ont eu recours à ces manoeuvres criminelles. Quant à nous, nous ferons tous nos efforts pour réorganiser le service postal »
écrit-il, parlant de Versailles. La situation, en effet, n’est pas simple ! Rampont qui garde son titre à Versailles, bloque le courrier et décide par exemple de ne pas payer les mandats émis à Paris. Des commerçants protestent. Theisz reçoit une délégation le 1er avril et tente de régler le problème avec Thiers. Fidèle à ses principes, il fait appel pour cela à la population en lui demandant de faire pression sur Versailles. Mais Versailles refuse tout compromis. Thiers veut l’asphyxie de la capitale par tous les moyens !
La remise en route du service public.
Cependant, le collectif qui entoure Theisz remet les services de levées et de distribution en état. Tous les bureaux de Paris sont ouverts mais les difficultés sont immenses. Theisz raconte :
« Le blocus fut complet… On envoyait des agents secrets jeter des lettres dans des boîtes des bureaux à dix lieues à la ronde ».
À partir du 15 avril, des auxiliaires sont désignés pour aller plusieurs fois par jour déposer du courrier dans les boîtes à Saint-Denis, Vincennes, Charenton, Maisons-Alfort, Créteil et Meaux ! Au-delà des envois postaux par chemins de fer, par camions, on cherche d’autres voies et l’on pense alors aux aérostiers. Le 21 avril, le Journal officiel annonce la création d’une compagnie d’aérostiers, mais ce n’est pas une grande réussite ; les conditions matérielles sont trop difficiles à remplir et aucun ballon préparé par la Commune ne s’envolera.
Les gens se plaignent que le courrier envoyé n’arrive pas et même Le Père Duchesne se fait l’écho de leur colère :
« Si la poste ne peut envoyer des lettres, elle pourrait le dire, tout simplement ».
Theisz n’accepte pas une telle injustice. Sa réponse paraît au Journal officiel du 26 avril :
« Toutes les lettres confiées à l’administration ont été expédiées ; le gouvernement de Versailles est seul responsable de celles qui ne sont pas parvenues… C’est lui qui a fait enfermer et mettre au secret plusieurs de nos courriers aussitôt remplacés par de courageux citoyens ».
Il faut aussi faire face au manque de timbres. On recourt à l’affranchissement en numéraire (griffe PP : port payé).
Camélinat, directeur de la monnaie, découvre alors à l’Hôtel de la monnaie 636 000 timbres de 1 centime ; 4 200 timbres de 4 c. ; 645 000 de 10 c. et 79 500 de 80 c. Il prend l’initiative de fabriquer ces modèles, en attendant que de nouveaux soient prêts, en utilisant les planches trouvées dans l’atelier d’un francfileur travaillant pour l’Hôtel de la Monnaie. À partir du 22 avril, la Commune dispose ainsi de timbres : 3 200 000 seront vendus, mais ce sont des timbres à l’effigie de Napoléon III, ceux émis par Bordeaux et des Cérès.
Une politique sociale.
Le Cri du peuple relate, le 18 avril, que Rampont touchait la somme de 71 000 francs par an comme émolument ! Le salaire des facteurs se situe dans une fourchette de 800 à 1 000 francs par an. Une mesure est prise pour qu’il n’y ait pas de salaire inférieur à 1 200 francs et, par décret du 6 avril, la Commune limite à 6 000 francs leur montant maximum, réduisant ainsi considérablement l’écart dans la hiérarchie des salaires... Dans un rapport du 23 avril, apparaît la très moderne notion de « minimum de rémunération ». Ces mesures sont prises malgré de grandes difficultés financières. De plus, la Commune décrète le 4 mai l’interdiction des cumuls de traitements.
Theisz pense aussi à améliorer les conditions de vie des salariés. En accord avec la Commission du travail et de l’échange dont il est membre, il supprime une tournée de facteurs pour alléger la journée de travail. Enfin, la Commune fait disparaître le fameux « Cabinet noir », hantise des Parisiens dont la correspondance était lue et bloquée par la police sous le Second Empire.
Le journal versaillais Le Gaulois reconnaît après la Commune « qu’à travers cette tourmente inouïe la continuité du service public des postes a été assurée ». Bel hommage à la Commune et à l’ouvrier Albert Theisz.
CLAUDINE REY
NB : On lira avec intérêt l’ouvrage La Commune de Paris telle qu’en elle-même de René Bidouze ; et Albert Theisz, Directeur des postes de la Commune de Paris de Georges Frischmann.