Et pendant ce temps-là en province… 

Les évènements déclencheurs de la veille, le 22 mars

Le 22 durant la journée : l’électrochoc des dépêches de Thiers

Tout le mois de mars 1871, Marseille a été de secouée de manifestations, de grèves et de revendications sociales. Mais la ville reste calme dans l’ensemble tout en étant très attentive aux évènements parisiens.

Car Paris, pour les Marseillais, c’est la ville héroïque qui a résisté plus de cinq mois aux Prussiens qui l’assiégeaient malgré la faim et le froid, c’est la capitale de la nouvelle République de qui on espère tant, Paris qui comme Marseille et d’autres villes refuse les clauses honteuses du traité de paix récemment signé ! (1)

Et voilà que deux dépêches d’Adolphe Thiers vont mettre les Marseillais en émoi.

La première, publiée la veille, inquiète : le transport annoncé de l’Assemblée nationale à Versailles, où se rassemble aussi l’armée, menace Paris dans son rôle de capitale et à travers lui l’existence même de la République !

La seconde, arrivée le 22 mars et affichée sur les murs de Marseille, ajoute l’indignation à l’inquiétude : elle annonce et justifie la remise en liberté de deux bonapartistes de la première heure, Eugène Rouher et le maréchal Canrobert, particulièrement détesté par les Marseillais. Le premier, ancien ministre de la justice fut, entre autres, à l’origine de la terrible loi instaurant la déportation politique dont eurent à souffrir tant d’opposants et leurs familles. Le second avait secondé Napoléon III dans son coup d’État du 2 décembre 1851 et avait fait tirer sur la foule. Ce jour-là trois cents parisiens périrent et des centaines d’autres furent blessées.

La peur de voir la monarchie rétablie met en alerte les Marseillais.

 

Gaston Crémieux (1836-1871)
Gaston Crémieux (1836-1871)

Le 22 au soir : le discours de Gaston Crémieux enflamme les Marseillais

Dans la grande salle de spectacle l’Eldorado, rue de la Darse, sur la rive nord du Vieux-Port, l’avocat révolutionnaire Gaston Crémieux et ses amis radicaux ou membres l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T) débattent avec un public nombreux. Ce grand orateur retrouve ses accents enthousiastes du mois d’octobre 1870 : pour garder à Marseille l’administrateur spécial du département, le grand républicain Alphonse Esquiros que venait de désavouer Gambetta, il s’était déjà écrié : 

Le moyen est très simple, c’est la Ligue du Midi et la Commune Révolutionnaire ! 

Le 1er novembre 1870 une première Commune s’était déclarée pour tenter de sauver ce début de république sociale, mais n’avait duré que trois jours et avait échoué : Alphonse Esquiros avait quitté la ville.

Et voilà Gaston Crémieux qui ce soir, de nouveau, harangue la foule et dénonce :

Le Gouvernement de Versailles a levé sa béquille contre ce qu’il appelle l’insurrection de Paris ! mais elle s’est brisée dans sa main et la Commune en est sortie ! […] Quel est le gouvernement que nous reconnaissons comme légal ? Versailles ou Paris ?

Et de tout côté l’auditoire lui répond :

Paris ! Vive Paris ! 

Un cri qui ne va cesser résonner dans les rues de Marseille toute la journée du lendemain car on décide d’aller manifester devant la Préfecture dès le matin suivant.

Marseille - La prefecture (Carte postale ancienne)
Marseille - La prefecture (Carte postale ancienne)

 

 

Le 23 mars : les temps forts d’une journée révolutionnaire

À 7 heures du matin le préfet Cosnier bat le tambour et met le feu aux poudres 

Pour contrer cette manifestation qu’il n’avait pas prévue, le nouveau préfet, le contre-amiral Cosnier, le tout nouveau préfet, fait battre le rappel de la Garde nationale, contre l’avis plein de bon sens du maire et du conseil municipal. Mais ainsi appelés dans la rue, les gardes nationaux des quartiers populaires (Endoume, La Belle de Mai, Menpenti) affluent et rejoignent les milliers de manifestants qui crient leur soutien à Paris devant la préfecture.

Durant l’après-midi la préfecture est envahie, le préfet est arrêté

Gaston Crémieux, les conseillers municipaux et les représentants du comité républicain de la garde nationale parlementent avec le préfet qui résiste et refuse de prendre parti pour Paris. Au bout de quelques heures de surexcitation émaillées d’incidents, la foule excédée envahit le bâtiment. Le préfet, ses secrétaires, le général Ollivier et même le maire et trois conseillers municipaux sont arrêtés. Gaston Crémieux calme les esprits en aller serrer ostensiblement la main du préfet et fait libérer le maire. Puis harangue la foule du balcon l’exhortant au calme.

À 20 h une Commission départementale provisoire est constituée, son président, Gaston Crémieux, acclamé

 

Charles Alerini entre 1879 et 1881- Numérisation Isabelle Alérini — Archives de la famille Alérini  Paul-Emile Bouchet (source : assemblee-nationale.fr)
Charles Alerini entre 1879 et 1881- Numérisation Isabelle Alérini — Archives de la famille Alérini / Paul-Emile Bouchet (source : assemblee-nationale.fr)

Sous la pression de la foule qui continue à s’agiter commencent alors d’intenses négociations pour assurer le nouveau pouvoir préfectoral, une Commune qui ne dit pas encore son nom. En attendant de nouvelles élections, il est décidé de constituer une commission départementale provisoire qui soit la plus représentative possible. Elle est composée de 12 membres équitablement répartis entre les représentants des forces en présence ayant chacune désignée trois délégués :

- Les républicains radicaux du Cercle du Midi (Gaston Crémieux, Auguste Etienne, Joseph Job)

- Les républicains modérés du Conseil municipal (David Bosc, Eugène Desservy, Sidore)

- L’A.I.T. réorganisée sous le nom discret de « Comité des réunions publiques » (Joseph Maviel, Charles Alérini, Firmin Guilhard)

- Le Comité républicain de la Garde nationale (Emile Bouchet, Barthelet, Charles Cartoux).

Gaston Crémieux est élu président.

Le préfet est ensuite prié de signer sa lettre de démission. Sur le moment, craignant pour sa vie, le préfet finit par accepter de le faire, ce qu’il regrettera d’autant plus par la suite qu’en réalité aucun des otages de la Commune révolutionnaire de Marseille ne sera exécuté ni ce jour-là, ni par la suite. Le premier décret de la Commission, lu publiquement par Gaston Crémieux devant la foule qui l’acclame, précise nettement cette volonté de ne pas verser le sang.

Ainsi, sans s’en donner le nom, la Commune de Marseille est ressuscitée « pour veiller sur la République » 

Les journaux ne s’y trompent pas : la Commune de Marseille débute bien ce 23 mars même si durant les 13 jours où elle se maintiendra, tous ses actes et déclarations porteront la signature de la Commission départementale provisoire ou de son président. Très hétérogène et rapidement divisée, sans moyen véritable d’exercer son pouvoir, elle va très rapidement connaître de graves difficultés (2).

Le Messager de Paris du 27 mars 1871                    
Le Messager de Paris du 27 mars 1871

À suivre…

 

 

Sources :

Histoire de la Commune de 1871, Prosper-Olivier Lissagaray, chapitre X, E. Dentu, Paris, 1896

- Journaux marseillais du mois de mars 1871 : Le Sémaphore de Marseille, le Petit marseillais, L’Egalité

 

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