En 1850, la loi Falloux imposa l’instruction religieuse dans toutes les écoles. Thiers voulait que le curé de la paroisse se charge de l’instruction primaire. Il préférait « l’instituteur sonneur de cloches à l’instituteur mathématicien ». Après le coup d’État du 2 Décembre 1851, le Second Empire renforça encore la mainmise de l’Église sur l’enseignement. Mais Louise Michel, Pauline Kergomard et d’autres instituteurs laïques refusèrent de faire allégeance à l’Empereur.
À la veille du 18 mars 1871, 27 % des enfants d’âge scolaire de Paris étaient inscrits dans les écoles communales tandis que 33 % fréquentaient les écoles congréganistes. En outre 32 % des enfants n’allaient dans aucune école car ils travaillaient très jeunes avec leurs parents ou dans les usines. Et, pour les mêmes raisons, beaucoup d’élèves inscrits n’étaient présents qu’en début d’année à l’école.
Les enfants travaillaient dès le plus jeune âge, parfois 15 heures par jour, dans les manufactures. L’âge d’embauche fut limité à 12 ans en 1841, puis à 13 ans en 1892, mais, le plus souvent, cela n’était pas respecté.
La séparation de l’Église et de l’État
En 1869, Gambetta avait inscrit dans son programme la séparation de l’Église et de l’État. En octobre 1870, la Ligue de l’Enseignement, avec Jean Macé et Emmanuel Vauchez, recueillit 1 267 267 signatures sous une pétition pour la laïcité de l’école. La Société l’École Nouvelle militait aussi pour la suppression de l’enseignement religieux et des objets de culte à l’école. Élie Ducoudray, maire du XIVe arrondissement et d’autres maires avaient pris des mesures pour assurer l’enseignement laïque et gratuit. Et l’un des premiers décrets de la Commune, adopté à l’unanimité le 2 avril 1871, décida la séparation de l’Église et de l’État, supprima le budget des cultes.
En outre, avec l’école laïque et gratuite pour tous, la Commune organisa les premières cantines scolaires et décida l’élection au suffrage universel des fonctionnaires, y compris dans l’enseignement.
Édouard Vaillant et la lutte pour la laïcité à l’école
Considéré comme une des « têtes pensantes de la Commune » Édouard Vaillant, nommé délégué à l’Enseignement le 20 Avril 1871, créa, huit jours après, une commission chargée d’établir dans tous les arrondissements de Paris le même modèle d’enseignement intégral, primaire et professionnel, laïque et gratuit, incluant les arts et la culture pour tous, filles et garçons. Il voulait développer la transmission du savoir, base de l’égalité sociale. L’enseignement professionnel ou polytechnique devait pour Édouard Vaillant faire suite au tout premier enseignement, de caractère général, où les enfants auraient acquis des notions de mathématiques, de physique, d’histoire, de langues vivantes étrangères, de dessin, de gymnastique.
Sa commission comprenait notamment le peintre Gustave Courbet, l’écrivain Jules Vallès, le républicain radical Jules Miot, l’instituteur Augustin Verdure et le poète et chansonnier Jean-Baptiste Clément.
Mais Édouard Vaillant se heurtait à des adversaires de la laïcité, tels les maires des Ve et XIIIe arrondissements de Paris. La Commune dressa une liste des établissements scolaires tenus encore par des congréganistes afin de les forcer à remplacer les prêtres par des instituteurs et institutrices laïques. Mais les résistances étaient parfois vives. Jean Allemane raconte dans ses mémoires que, parfois, les instituteurs étaient accueillis par une grêle de pierres et que des dévotes envahissaient les classes, se ruaient sur les institutrices, leur relevaient les jupes, et les fouettaient jusqu’au sang.
Le personnel de l’administration centrale congréganiste se réfugia à Versailles. De nombreuses écoles privées furent vidées de leurs élèves cependant que des professeurs du secondaire et du supérieur désertèrent lycées et facultés. Et pourtant, à la veille du décret du 2 avril, l’Hôtel de Ville de Paris continuait à verser aux écoles religieuses des crédits de fonctionnement supérieurs à ceux perçus par les écoles laïques !
Les projets de la Commune
Pour une formation intégrale, manuelle et intellectuelle. Vaillant fit appel aux enseignants laïques pour approfondir l’idée pédagogique de la transmission du savoir. La Commune envisageait, en effet, de préparer un plan complet d’enseignement intégral et demandait aux municipalités de lui signaler les locaux appropriés à la création d’écoles professionnelles. Pour tous les âges de l’enfant, les Communards s’opposèrent à l’enseignement traditionnel imprégné d’obscurantisme, de préjugés, d’inégalités sociales et raciales, d’esprit de domination et de servitude. Ils voulaient, comme l’écrivit Jules Vallès dans Le Cri du Peuple, que l’enfant devienne à la fois capable de gagner sa vie et apte au travail intellectuel.
Dès le 6 Mai, Vaillant fit placarder sur les murs de la capitale un avis annonçant que dans un établissement situé 18 rue Lhomond, dans le Ve arrondissement, jusque là occupé par les jésuites et possédant tout un équipement approprié, s’installerait la première école d’enseignement professionnel pour les garçons âgés de 12 ans et plus. Le 21 mai, en pleins combats, il annonça que cette école serait ouverte dès le 22 au matin. Mais les Versaillais avaient fait irruption dans la capitale le 20 mai et cette ouverture fut impossible. Aujourd’hui, à cette adresse, se trouve l’École normale supérieure.
Les 15 et 17 mai 1871, au nom de la Société des Amis de l’enseignement, Marie Verdure et Élie Ducoudray présentèrent à la Commission Vaillant un projet de création et d’organisation des crèches où l’on trouve les prémices de l’institution telle qu’elle existe aujourd’hui. Dépassant déjà le souci de la simple « garde » des enfants, ils considéraient comme essentiels l’accueil éducatif du tout-petit, son éveil, l’affection à lui prodiguer, sa sécurité, les soins, son entourage.
L’institutrice Marguerite Tinayre, passionnée de pédagogie, fut nommée le 11 avril inspectrice générale des livres et des méthodes d’enseignement dans les écoles de filles de la Seine.
Le 12 mai 1871 Édouard Vaillant signait un avis sur la création d’une école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles. Complétant l’instruction scientifique et littéraire, on devait y enseigner le dessin, le modelage, la sculpture sur bois, sur ivoire et, en général, les applications de l’art du dessin à l’industrie. L’avis faisait appel aux professeurs mais aussi aux ouvriers de plus de 40 ans qui désiraient être maîtres d’apprentissage.
Bien que débordés par leur travail dans le primaire, Édouard Vaillant et ses amis pensaient aussi au secondaire. Le 11 mai, les écoles secondaires Turgot et Colbert, comptant 1000 élèves d’origine bourgeoise, furent réquisitionnées par la Commune. L’école Turgot fut alors l’objet d’une véritable émeute anticommunaliste contre laquelle 14 élèves seulement protestèrent.
Vaillant voulait encore réorganiser l’Université. Mais, dès le début avril, les Versaillais avaient transféré à Tours l’École Polytechnique de crainte que les jeunes élèves officiers suivent l’exemple du polytechnicien Rossel rallié à la Commune. Les professeurs de l’école de Médecine ayant fui à Versailles, la commission tenta en vain de faire appel dans les arrondissements aux officiers de santé, aux médecins et aux professeurs restants. Toutefois des étudiants des écoles de Pharmacie, des Mines, de Médecine, des Beaux-Arts et de Droit signèrent un manifeste soutenant la Commune.
Et aussi les arts et la culture
Une commission fédérale des artistes fonctionna dès la mi-avril. Elle était composée d’illustres artistes comme les peintres Corot, Courbet, Daumier, Manet, de sculpteurs et d’architectes, de graveurs lithographes et d’artistes industriels. Contrairement aux allégations des Versaillais selon lesquelles la Commune détruisait les arts et les sciences, Gustave Courbet fut désigné par la Commune pour faire ouvrir au public les musées de la ville de Paris et pour rétablir l’Exposition annuelle aux Champs Elysées. Le jardin des Tuileries fut ouvert aux enfants. Des causeries et entretiens populaires traitaient de différents thèmes comme celui sur « l’éducation et la famille ». Les bibliothèques ouvraient leurs portes aux travailleurs.
Élie Reclus fut nommé directeur de la Bibliothèque nationale. Des dispositions étaient prises pour la reprise des cours au Muséum d’histoire naturelle, pour le respect de l’institution scientifique nationale et veiller à la conservation du matériel, des collections etc. La Commune prévoyait notamment la réforme du Conservatoire de Musique, l’ouverture au public du Musée du Luxembourg à partir du 15 mai.
La Commune confia à des conservateurs la surveillance de tous les monuments, les musées, les bibliothèques d’œuvres d’art, etc. qui n’appartenaient pas à des particuliers. Elle projeta aussi d’organiser des expositions communales nationales et internationales à Paris. ainsi que la construction de vastes salles pour l’enseignement supérieur pour des conférences sur l’esthétique, l’histoire et la philosophie de l’art.
Dans son livre de 1929 sur l’histoire de la Commune, Lissagaray écrit :
« les théâtres s’ouvrent… Le Lyrique donne une grande représentation musicale au profit des blessés. L’Opéra-comique en prépare une autre. Les artistes abandonnés par le directeur de la Gaieté dirigent eux-mêmes leur théâtre. Le Gymnase, le Châtelet, le Théâtre Français, l’Ambigu-comique ouvrent leurs portes à la foule. Des concerts sont organisés aux Tuileries, pour les veuves et les orphelins de la Commune ».
Une œuvre impérissable
Alors qu’on se battait sur les barricades pour défendre la Commune, Édouard Vaillant et les membres de sa commission firent preuve d’une volonté de fer pour accomplir leur tâche en faveur d’une éducation nouvelle intégrale, pour former des êtres libérés des chaînes de l’aliénation. Les idées pédagogiques ne manquaient pas mais, faute de temps, elles ne purent être ni finalisées, ni évidemment être mises en pratique.
Le drapeau de la Commune de Paris n’aura flotté que 72 jours. Des jours d’une activité fantastique, fébrile, intelligente, compétente, non sans critique parfois.
Tout en affrontant les Versaillais ennemis de la République, les Communards ont suscité un foisonnement éducatif, culturel et artistique extraordinaire, qui laisse augurer de ce qui aurait pu se faire avec du temps. Le souvenir de cette activité ne périra jamais. Les réalisations de la Commune devraient figurer largement dans les manuels scolaires d’aujourd’hui. D’ailleurs, des réalisations de la Commune perdurèrent après les massacres des Communards. En 1881, l’école devint obligatoire laïque et gratuite. L’école maternelle prendra également son essor en même temps que tous les niveaux de l’enseignement. Hélas, aujourd’hui, en 2009, sous le régime de Sarkozy, les écoles maternelles, l’école primaire, les lycées et les facultés sont en danger. Le combat continue pour le maintien des postes d’enseignants, pour le service public, la laïcité et le savoir.
SUZY COHEN
Bibliographie :
M. Dommanget, L’enseignement, l’enfance et la culture sous la Commune, Éd. de l’Etoile, 1964 ;
S. Froumov, La Commune de Paris et la démocratie de l’école, Éd. du Progrès, Moscou, s.d. ;
G. Soria, La grande histoire de la Commune, tome III, p. 280 à 303, Éd. R. Laffont, 1970.