Édouard Vaillant consacre sa vie à essayer d'améliorer les conditions d'existence des plus démunis et à lutter contre les privilèges des bourgeois capitalistes.

Bien qu'ingénieur des Arts et Manufactures et docteur en médecine, il dédie son existence à la vie politique : militant de l'Internationale, membre de la Commune, membre du Conseil général de l’Internationale, neuf ans conseiller municipal, vingt-deux ans député, militant socialiste de tous les instants. Piètre orateur, c'est avant tout un homme de dossiers : ponctuel, assidu aux réunions, fort d'une culture philosophique et sociale internationale, ayant fréquenté Marx et Blanqui, ayant accumulé une expérience de vétéran socialiste, connaissant à fond les problèmes débattus, il force l'estime de ses pairs. Sa culture politique puise à trois sources : l'Allemagne où il a passé les quatre dernières années du Second Empire, la Commune dont il a été l'un des membres les plus actifs, l'Angleterre où il a passé ses années d'exil. On lui doit, entre autres, les Bourses du travail, la CGT, le concept d’assurance sociale, le ministère du travail et la naissance d'un parti socialiste unifié, la SFIO.

Géographiquement, Édouard Vaillant a deux attaches : il est natif du Cher et gardera toujours des liens étroits avec ce département, notamment avec sa ville natale de Vierzon ; il est élu du quartier du Père Lachaise, dans le XXe arrondissement : après 1884, c'est là qu’est basé l'essentiel de sa vie politique.

Fédération de la Seine de la S.F.I.O. Vaillant se rend au Mur pour prononcer son discours (1909) - (carte postale ancienne)
Fédération de la Seine de la S.F.I.O. Vaillant se rend au Mur pour prononcer son discours (1909) - (carte postale ancienne)
 

Conseiller municipal du XXe arrondissement (1884-1893)

Dès 1881, Édouard Vaillant se présente sur des listes socialistes à des élections municipales, cantonales et législatives dans le Cher. Chaque scrutin lui donne l’occasion de se manifester dans des réunions publiques, dans la presse et par des affiches. Affilié au Comité Révolutionnaire Central (CRC) (1), il se manifeste aussi à Paris. Son audience et ses résultats ne cessent de progresser. Le 11 mai 1884, Vaillant est élu simultanément conseiller municipal de Vierzon-Ville, de Vierzon-Village et du quartier du Père-Lachaise dans le XXe arrondissement de Paris. Il choisit le XXe.

Très assidu, extrêmement documenté, hyperactif et laborieux, il multiplie les propositions. Dès la première séance, le 4 juin 1884, il en présente quatre : amnistie des condamnés politiques ; clôture des sépultures des fédérés ; création d’une commission du travail ; admission du public aux séances.

Il s’exprime dans tous les domaines.

Sa formation médicale le sensibilise aux problèmes de santé : lutte contre la tuberculose ; suppression des taudis et construction de logements sains ; création d’ambulances ; mise en place d’un hôpital-dispensaire dans chaque arrondissement. Il veut remplacer les asiles d’aliénés privés par des asiles publics. Il souhaite qu’il n’y ait d’admission dans les asiles que sur certificat médical et sous contrôle judiciaire. Il réclame une inspection sérieuse des aliénés. Il devient, par ailleurs, un véritable expert des questions d’assainissement : c’est lui qui établit le plan d’assainissement du quartier. Le XXe lui doit ses égouts et ses fontaines. Il lui doit aussi l’amélioration de l’éclairage de ses rues.

Lui qui fut le délégué à l’enseignement de la Commune ne cesse de s’en préoccuper :

« On peut le considérer comme le puissant réformateur de l’enseignement primaire de la Ville de Paris », dira Charles Andler (2).

Gardien de la laïcité, il s’élève contre tout enseignement spiritualiste à l’école. Il se préoccupe aussi de problèmes plus matériels : création de cantines, aménagement de dispensaires scolaires, organisation de la gymnastique dans les écoles.

Il se préoccupe du sort des plus démunis. Il veut fixer le prix du pain et de la viande, créer des boulangeries et des boucheries municipales. Il souhaite affecter aux sans-abri les locaux inoccupés. Il demande la création d’asiles de nuit, notamment dans le XXe arrondissement dont la population laborieuse est la plus pauvre de Paris.

Édouard Vaillant s’écarte souvent du cadre municipal pour aborder des problèmes politiques plus généraux. Il milite pour la journée de huit heures, pour l’inspection du travail, pour la limitation du travail des femmes et des enfants, pour la suppression du travail de nuit et du travail aux pièces. Le 11 mars 1885, il propose une législation internationale du travail (3). Le 1er décembre 1886, il contribue à l’adoption du rapport Mesurer créant les Bourses du travail (4). Il est déjà sensibilisé aux conflits d’intérêt : le 25 juin 1888, il propose l’incompatibilité des mandats électifs et de l’appartenance à des firmes traitant avec les pouvoirs publics ; cette proposition, qui fait l’effet d’une bombe dans l’assemblée, ne manque pourtant que d’une voix pour l’emporter !

Notons enfin les préoccupations démocratiques de Vaillant. On lui doit l’admission du public aux séances du Conseil (5). Il fait également participer les habitants du quartier à son action municipale : dès le 15 mai 1884, il convoque ses électeurs au gymnase Tournayre, boulevard de Ménilmontant.

Édouard Vaillant en 1897
Édouard Vaillant en 1897

Député du XXe arrondissement (1893-1915)

Édouard Vaillant est élu député début septembre 1893. À la Chambre comme à l’Hôtel de Ville, il est assidu, ponctuel et laborieux, et il intervient dans de très nombreux domaines.

Il s’intéresse à l’assainissement des eaux de la Seine (proposition du 24 avril 1894). Pour lutter contre la vie chère, il propose de supprimer les droits d’octroi et de les remplacer par un impôt foncier sur les locaux non loués (6), ainsi que de créer un service national et communal d’alimentation (23 juin 1898) (7).

La persévérance et la ténacité sont aussi de grandes qualités à mettre à l’actif de Vaillant : il poursuit le même objectif pendant des années jusqu’à obtenir enfin le résultat escompté.

Il milite pour que le régime municipal et départemental de Paris cesse d’être un régime d’exception et soit aligné sur le droit commun : il obtiendra satisfaction le 1er décembre 1910.

Il combat pour la réduction du temps de travail et la journée de huit heures dès 1880, et pendant plus de trente ans ; il rédige notamment en juillet 1906 une proposition de loi en bonne et due forme extrêmement détaillée (8). Ce n’est toutefois qu’en 1919 que les huit heures passeront dans les faits.

Il s’attaque au chômage, demande que des statistiques soient établies pour mieux le connaître, que des travaux publics de voirie et d’assainissement ou des travaux forestiers soient lancés pour le combattre et qu’une assurance-chômage soit instituée. En décembre 1900, il dépose un « projet de loi pour l’établissement d’une assurance sociale généralisée à tous les risques ouvriers ».

Il propose le 30 octobre 1894 la création d’un ministère du travail, en réunissant des services jusque-là dispersés (hygiène, assistance publique, statistiques). Cette proposition est reprise en 1898 et en 1903 : elle est alors accueillie favorablement par la Commission des finances du Sénat qui l’intègre au budget de l’exercice 1903. Le décret constitutif ne sera toutefois signé que le 25 octobre 1906 : la formation du cabinet Clemenceau en assura la création et René Viviani fut désigné comme premier titulaire du portefeuille.

La période pendant laquelle Édouard Vaillant est élu du XXe arrondissement est une période de scandales et de crises : boulangisme (1887-1889) ; scandale des décorations (9), à l’origine de la démission de Jules Grévy (1887) ; scandale de Panama (1892) ; affaire Dreyfus (1894-1906).

Chaque fois, Vaillant les dénonce comme des turpitudes inhérentes à la classe bourgeoise :

« Le honteux scandale de Panama n’est qu’un habituel épisode de la spoliation capitaliste de la nation par les financiers et gouvernants associés, faisant suite et pendant à la spoliation de la classe ouvrière par la classe possédante et régnante » (10).

Craignant que ces scandales n’affaiblissent la République, il crée pour la défendre, en les ouvrant à tous, ce que l’on dénommerait aujourd’hui des collectifs : Ligue pour la défense de la République contre Ferry ; Ligue pour la Révision républicaine et directe par le Peuple à la suite des déconvenues du boulangisme ; Ligue d’action révolutionnaire pour la Conquête de la République sociale lors du scandale de Panama. De même, pendant l’affaire Dreyfus, il entre, le 16 octobre 1898, au Comité de Vigilance fondé par l’ensemble des forces socialistes et il en est l’un des dirigeants les plus décidés et les plus assidus.

Vaillant, député du 20ème, au Mur des Fédérés le 24 mars 1908.
Vaillant, député du 20ème, au Mur des Fédérés le 24 mars 1908.

Un militant socialiste de tous les instants

Le fait qu’il soit un élu ne dispense pas Édouard Vaillant d’être actif sur le terrain, bien au contraire : il soutient les grévistes de Decazeville et les métallurgistes de Vierzon en 1886, de même que les terrassiers parisiens en 1888 ; il participe aux manifestations, aux rassemblements syndicaux, aux congrès socialistes nationaux et internationaux. Il y est particulièrement dynamique et toujours très écouté.

Il joue un rôle déterminant au VIIe Congrès national corporatif qui se tient à Limoges du 23 au 28 septembre 1895 et au cours duquel va être créée la Confédération Générale du Travail (CGT). Il y fait adopter le principe de l’indépendance syndicale à l’égard des partis socialistes.

Il est, avec Jules Guesde et Jean Jaurès, l’artisan de l’unification des partis socialistes, qui débouche en 1905 sur la création de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO). Vaillant œuvre patiemment et par étapes pour obtenir ce résultat. Déjà, en 1883, les différentes tendances se sont mises d’accord pour cesser de s’injurier et pour se désister au second tour des élections en faveur du candidat le mieux placé. La recréation, la même année, du Cri du Peuple contribue à la marche vers l’union : il accueille, en effet, dans ses colonnes des articles d’auteurs appartenant à toutes les tendances. En 1892, Vaillant est à l’origine de la fondation de la Fédération nationale des Conseillers municipaux socialistes de toutes tendances. Les élections de 1893 mènent à la Chambre près de cinquante socialistes — dont Vaillant — qui forment un groupe parlementaire unique.

La participation d’Alexandre Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau, le 22 juin 1899, en tant que ministre du Commerce, retarde le processus d’unification : elle provoque, en effet, une nouvelle scission au sein des socialistes (11). Après le Ier Congrès général des Organisations socialistes françaises qui a lieu salle Japy du 3 au 8 décembre 1899, après le IIIe Congrès général des Organisations socialistes françaises, réuni à Lyon du 26 au 29 mars 1901, qui voit s’unir le PSR de Vaillant et le POF de Guesde pour former l’Unité Socialiste Révolutionnaire, après le VIe Congrès Socialiste international qui se tient à Amsterdam entre le 14 et le 20 août 1904 et qui vote une résolution prescrivant l’unité socialiste dans chaque pays, il revient au congrès dit de la salle du Globe (23-25 avril 1905) de définir la charte du parti socialiste unifié. Celui-ci sera dénommé SFIO sous la pression du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.

Vaillant avec Jaurès au Mur  des Fédérés en 1913
Vaillant avec Jaurès au Mur  des Fédérés en 1913

Empêcher la guerre ?

Les années suivantes précèdent la Première Guerre mondiale. Dès juin 1912, au sein du Bureau Socialiste International, Vaillant soutient les partisans de la grève générale ouvrière dans les industries de guerre « pour prévenir et empêcher la guerre ». Avec le Parti Socialiste, il se bat — mais en vain — en 1913 contre la loi de trois ans (12), contre l’expédition du Maroc et contre le maintien sous les drapeaux de la classe libérable, les trois facettes de la préparation à la guerre. Le 31 juillet 1914, Jaurès est assassiné : tout espoir de paix disparaît alors aux yeux de Vaillant qui se lance alors éperdument dans la guerre.

« Cette adhésion sans équivoque ni réserve à la défense nationale se symbolise par le geste de Vaillant à la Chambre lors de la déclaration de guerre l’après-midi du 4 août.

[…] On vit le vieux communard, collègue du comte Albert de Mun depuis plus de vingt ans et qui avait toujours refusé de lui adresser la parole à cause de son rôle sanglant pendant la répression de 1871, serrer chaleureusement la main de son adversaire.

[…] On peut dire que la guerre produit chez Vaillant une sorte de transfiguration » (13).

Rares sont ceux qui comprennent que c’est son obsession anti-guerrière qui l’amène à désirer la destruction du militarisme et de l’impérialisme allemand, seul moyen de défendre la République et le socialisme. Nombreux sont ceux qui ne le comprennent pas, ou même qui voient dans son revirement et dans son « bellicisme effréné » une sorte de trahison. En juillet 1915, les députés de Haute-Vienne et de l’Isère accueillent Vaillant au groupe parlementaire avec des sarcasmes. Le 5 décembre, à la Fédération de la Seine, lui, qui a l’habitude d’être toujours vénéré, se fait injurier par les jeunes opposants du parti. Déjà très affaibli par son hyperactivité, démoralisé par ces revers, il meurt au petit matin du 18 décembre 1915.

L’injustice de la postérité

Toute la classe politique se presse à ses funérailles, d’abord à son domicile, puis à la gare d’Austerlitz ; la population du Cher accueille son cercueil en grand nombre malgré la pluie pour le conduire au caveau familial ; des municipalités donnent son nom à des voies ou à des établissements qui existent toujours aujourd’hui.

On peut se demander alors pourquoi Édouard Vaillant — à l’inverse de Jaurès ou même de Guesde — est devenu si peu connu du grand public : parce qu’il n’était pas un tribun ? Parce que, bien qu’ayant écrit de très nombreux articles, il n’a pas publié de grand ouvrage de synthèse ? À cause de son ralliement à l’Union sacrée pour la défense nationale en 1914 ? Ou tout simplement, parce que — à la différence de Jaurès — il est mort dans son lit ? Quoi qu’il en soit, c’est un remarquable communard et un grand socialiste. Il est donc important de le faire mieux connaître.

GEORGES BEISSON

Notes

(1) Le CRC, fondé le 23 juin 1881 par les comités qui avaient organisé la souscription pour un monument à Blanqui, rassemble les blanquistes qui ne souhaitent pas adhérer au POF de Guesde ou à l’ASR de Longuet. Il deviendra le PSR (Parti Socialiste Révolutionnaire) le 1er juillet 1898.

(2) Charles Andler (1866-1933) est professeur de langue et de littérature allemande à l’Université de Paris, puis au Collège de France. Il adhère à la SFIO lors de sa création. Il a traduit en français le Manifeste du parti communiste de Karl Marx.

(3) Cette proposition aboutira en 1919 avec la création du Bureau International du Travail.

(4) Rapport fait au nom de la Commission du travail, dont Vaillant est à l’origine (proposition du 4 juin 1884).

(5) Proposition du 4 juin 1884 qui aboutira deux ans plus tard : la première séance publique du Conseil municipal de Paris est celle de juillet 1886.

(6) L’octroi sera supprimé en 1911.

(7) Vaillant propose que soient créées des boulangeries communales, ainsi que des meuneries communales et nationales.

(8) Il y définit notamment la pause journalière, la semaine anglaise, les congés payés…

(9) Le gendre de Grévy, Daniel Wilson, monnayait les décorations, ainsi que ses diverses interventions auprès de la Présidence.

(10) Le Parti Socialiste, 12 au 29 août 1893.

(11) Vaillant s’oppose d’autant plus farouchement à la participation de Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau que le ministre de la guerre en est le général de Gallifet, le massacreur de la Commune.

(12) Vaillant souhaite supprimer l’armée permanente et, à l’exemple de la Suisse, armer directement le peuple pour qu’il puisse assurer sa défense et celle de la République.

(13) Maurice Dommanget, Édouard Vaillant, un grand socialiste (1840-1915), Paris, la Table Ronde, 1956, p. 235

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