Il n’est pas le plus connu des acteurs de la Commune. Son nom n’a pas la notoriété d’un Varlin, d’un Delescluze ou d’un Vaillant. Pourtant, il est assez représentatif de ces militants ouvriers qui se sont soulevés au printemps 1871. Et il eut, après la Commune, une trajectoire originale.
 
Augustin Avrial (1840-1904)
Augustin Avrial (1840-1904)

 

Fils de forgeron, né à Revel (Haute-Garonne) le 20 novembre 1840, Augustin Avrial travaille d’abord comme apprenti forgeron avec son père.
En 1857, à l’âge de 17 ans, il « monte  » à Paris, trajectoire assez semblable à celle de nombreux Parisiens de l’époque, tel son compatriote Jean Allemane, originaire lui aussi de Haute-Garonne.
En 1859, il s’engage dans l’armée, au 54e régiment de ligne, et sert en Algérie jusqu’en 1865.
De retour à Paris, il travaille à l’usine de moteurs à gaz d’Étienne Lenoir [1], située rue de la Roquette, et se lie avec des «  internationaux » (membres de l’Association Internationale des Travailleurs ou Première internationale), plutôt d’obédience proudhonienne.
Le 5 mai 1866, il épouse à la mairie du XIe arrondissement Louise Talbot, ouvrière comme lui, avec laquelle il formera un couple militant.
Dans les années 1860, ils habitent dans le XIe, successivement au 74 rue du Chemin Vert, au 182 rue de la Roquette, au 37 rue Bréguet, puis au 51 rue Sedaine.

 

Le syndicaliste

Dans le Paris de la fin du Second Empire, marqué par une effervescence sociale grandissante, Avrial s’implique activement dans les premières tentatives d’organisation de la classe ouvrière. En avril 1867, il participe à la réunion des délégués ouvriers à l’Exposition universelle de Paris (1867), qui se tient à l’école de filles du passage Raoul (aujourd’hui rue Bréguet), et qui donne naissance à la Fédération parisienne des sociétés ouvrières.

Mécanicien, il est l’un des fondateurs, en 1868, de la Chambre syndicale des ouvriers mécaniciens — le plus important syndicat à l’époque —, et adhère en 1869 à l’Internationale, dont il est l’une des « chevilles ouvrières  » à Paris. En 1868-1869, il est de toutes les actions de solidarité avec les mouvements sociaux : soutien aux ouvriers marbriers et aux ouvriers mégissiers en grève, soutien à la grève du Creusot, protestation contre le massacre d’Aubin (près de Decazeville). Cela lui vaut d’être arrêté quelques jours avant le plébiscite du 30 avril 1870 et condamné, le 8 juillet, lors du troisième procès de l’Internationale, à deux mois de prison. Il est l’un des premiers signataires, ainsi que sa femme, du manifeste Aux travailleurs de tous les pays (12 juillet 1870), qui proteste contre la déclaration de guerre à la Prusse.

Libéré après la révolution du 4 septembre et la proclamation de la Troisième République, il est nommé à la commission municipale du XIe arrondissement.
Pendant le siège, il crée, avec le soutien du maire du XIe, Jules Mottu, une entreprise de transformation des fusils aux 75 et 185 de la rue Saint-Maur.

Le Conseil de la Commune. Avrial est le dernier à droite, debout, à côté de Delescluze - Photomontage (source : © Musée Carnavalet - Histoire de Paris)
Le Conseil de la Commune. Avrial est le dernier à droite, debout, à côté de Delescluze - Photomontage (source : © Musée Carnavalet - Histoire de Paris)

 

Le communard

Battu aux élections législatives de février 1871, il est élu le 12 mars à la tête du 66e bataillon de la Garde nationale, dans le XIe arrondissement. Le 18 mars, il est l’un des meneurs du mouvement qui donne naissance à la Commune de Paris. Il est de ceux qui organisent à Montmartre la résistance au coup de force de Thiers, fait marcher ses hommes vers la place de la Bastille et organise la défense du XIe en construisant des barricades. Il est aussi au fort d’Issy le 30 mars, face aux versaillais, à la tête du 66e bataillon, puis le 3 avril à la bataille de Meudon, aux côtés d’Eudes et de Ranvier.

Le 26 mars, il est l’un des sept élus du XIe arrondissement au Conseil de la Commune et est désigné le 29 mars à la Commission du Travail et de l’Échange. À ce titre, il est à l’initiative de la réquisition des entreprises abandonnées par leur patron et de leur transformation en sociétés coopératives ouvrières. La gestion du Mont-de-Piété est également l’une de ses préoccupations essentielles : il présente un décret prévoyant la restitution gratuite à leurs propriétaires des objets déposés au Mont-de-Piété d’une valeur inférieure à 50 francs, montant limité à 20 francs après une intervention de Jourde.

Le 10 avril, il est nommé à la Commission exécutive, et le 20 avril, lors de la réorganisation de la Commune, il entre à la Commission de la guerre, avec Delescluze. Le 2 mai, il devient directeur général du matériel d’artillerie et, à ce titre, a la responsabilité de veiller aux approvisionnements en armes, notamment en obus, fabriqués par une coopérative ouvrière située au 60 rue Saint-Maur.

Pendant la Semaine sanglante, il est sur les barricades et organise la défense du quartier du Château-d’Eau. Le 25 mai, il est aux côtés de Delescluze lorsque celui-ci est abattu sur la barricade de la place du Château-d’Eau [2].

Recherché après la Semaine sanglante, condamné à mort par contumace en 1873, il se réfugie d’abord à Londres, puis s’établit en Alsace, à Schiltigheim, où il fonde une entreprise de construction mécanique qui fabrique des machines destinées aux brasseries. Il y emploie une trentaine d’ouvriers, militants de l’Internationale pour beaucoup, vus par les autorités allemandes comme une « petite Commune ». Chassé d’Alsace en raison de ses « activités subversives  », il réside ensuite en Suisse de 1876 à 1880.

Amnistié le 11 juillet 1880, il est de retour à Paris, où sa femme et ses enfants l’avaient précédé dès 1878. Adhérent de l’Alliance socialiste républicaine, qui regroupe nombre d’anciens communards, il est nommé, grâce à Gambetta, contrôleur du matériel ferroviaire à Montluçon. Toujours engagé, on le retrouve dans toutes les manifestations d’anciens communards, notamment aux obsèques de Blanqui (1881), de Vallès (1885). Il milite au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) de Jean Allemane, mais contrairement à d’autres anciens communards, il ne fait pas de carrière politique. Revenant à sa vocation initiale, il entame une carrière d’inventeur et de chef d’entreprise.

 

L’inventeur et l’entrepreneur

Il s’implique dans l’Exposition universelle de 1889, dont la thématique — « La Révolution française  » — l’enthousiasmait. Fort de ses relais dans le monde ouvrier, il fonde le « Syndicat industriel et commercial Avrial et Cie », prestataire de services pour les installations de l’exposition. Cette société propose aux exposants toute la gamme de services nécessaires à leur installation (devis, plans, assurances, transport, achat de matériaux) et publie un bulletin bimensuel, Les Chantiers de Paris et de l’Exposition universelle de 1889, qui informe de l’actualité des travaux. Avrial crée aussi en 1887 la «  Ligue parisienne du Métropolitain aérien  », pour promouvoir ce mode de transport et « créer un mouvement d’opinion en faveur de la solution aérienne au moyen de conférences, réunions, brochures, etc.  ». Des réunions ont lieu dans les arrondissements afin de « permettre à l’opinion de se manifester par l’organisation d’un vaste pétitionnement ». Mais le projet avorte dès 1889.

La machine à coudre Avrial
La machine à coudre Avrial

 

En 1891, il dépose un brevet pour une « couseuse pneumatique  » — c’est-à-dire une machine à coudre — qu’il avait conçue pendant ses années d’exil. Il s’associe avec Lucien Deslinières (un socialiste lui aussi) pour fonder la Compagnie française des Machines à Coudre, qui produit et commercialise la «  machine Avrial ». En 1893, il fait don à la ville de Revel, sa commune natale, de quatre machines à coudre destinées aux meilleures élèves des écoles de la ville. Mais la compagnie fait faillite en 1896.

À la même époque, Avrial dépose un brevet pour un « motocycle à pétrole  ». Il motorise un tricycle, que l’on va appeler le Triporteur Avrial, présenté au Salon de l’Automobile de 1901.

Au total, malgré une activité foisonnante, Avrial a connu beaucoup d’échecs et, s’il a traversé des périodes d’aisance, il n’a pas amassé e fortune. En 1901, il sollicite une recette buraliste dans le département de la Seine. Il en obtient une… mais à Fécamp (Seine-Maritime).

C’est là qu’il décède d’une congestion pulmonaire le 9 décembre 1904. Sa mort réduit à six le nombre de survivants de la Commune. Une foule nombreuse accompagne sa dépouille de la gare Montparnasse au Père Lachaise, où il est incinéré et où le Conseil municipal de Paris lui attribue en 1905 une concession perpétuelle. Sa femme Louise Talbot l’y rejoindra en 1923.

 

MICHEL PUZELAT

Sources


Les informations utilisées pour cet article proviennent pour l’essentiel de : 

Jean-Paul Calvet (dir.), Augustin Avrial, un communard inventif (1840-1904), Société d’Histoire de Revel-Saint-Ferréol, collection Lauragais-Patrimoine, 2015.

Voir la note de lecture de notre ami John Sutton dans La Commune, n° 66, 2e trimestre 2016 ; Alain Dalotel et John Sutton, « Un communard oublié : le mécanicien Avrial », Gavroche, n° 110, mars-avril 2000, p. 8-12. 

John Sutton a incarné Augustin Avrial dans le film de Peter Watkins, La Commune de Paris, 2000.

Notes

[1] Étienne Lenoir (1822-1900) est l’inventeur, en 1860, du premier moteur à explosion à deux temps, fonctionnant au gaz, qu’il produit dans son usine de la rue de la Roquette. Il n’a rien à voir avec Joseph Lenoir qui, associé à François Richard, a donné son nom au boulevard Richard-Lenoir.

[2] Ancien nom de la place de la République.

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