Raoul Rigault, le mal-aimé, soldat de la Commune de 1871
Communard qui a été haï, sans aucunes limites, par le Parti de l’ordre, c’est bien Raoul Rigault : « bambin méchant », « fanfaron de perversité », « canaille », « aristocrate de la voyoucratie », et bien entendu « assassin ».
Pourquoi tant de haine ? se demandera-t-on. Sans doute parce qu’au-delà de ses plaisanteries provocatrices, il avait déclaré avoir inventé une guillotine perfectionnée capable de couper trois cents têtes à l’heure - et de son athéisme militant - nous lui devons le baptême du boulevard Saint-Michel en « Boul’Mich ». Rigault était un de ces révolutionnaires qui, à la fin du Second Empire, s’étaient investis dans la lutte concrète contre l’Etat en s’intéressant particulièrement à la police secrète, c’est-à-dire aux agents de la brigade politique de Lagrange, que ce soit des policiers ou des mouchards.
Raoul Rigault, 24 ans en 1871, faisait partie de ces jeunes gens du quartier latin, étudiants ou "journalistes " d’extrême gauche, bientôt rejoints par des ouvriers, qui s’étaient regroupés autour de Blanqui, « le Vieux », pour mettre sur pieds une organisation insurrectionnelle, ce qui explique qu’on l’a qualifié de « blanquiste furibond ». Son activisme propagandiste insolent lui vaut, entre 1867 et 1869, une dizaine de condamnations. En effet, pour son « parti », il intervient dans les réunions publiques, écrit dans La Marseillaise de Rochefort et se mêle à tous les tumultes.
Le 4 septembre venu, Raoul Rigault s’installe dans le fauteuil de Lagrange à la Préfecture de Police pour faire nommer un certain nombre de ses camarades à des postes de commissaires et continuer ses investigations contre les « agents secrets ».
Lors des journées d’insurrection du 31 octobre 1870, du 22 janvier et du 18 mars 1871, nous le retrouvons à l’action, visant toujours la Préfecture de Police dont il devient le délégué dès le 20 mars avant d’être élu membre de la Commune par le VIIIe arrondissement le 26 mars. Comme il fallait s’y attendre, Rigault s’investit plus dans sa fonction policière contre les réactionnaires que dans l’exercice de son mandat d’élu municipal. C’est lui qui fait procéder, début avril, à l’arrestation de plusieurs dizaines de personnalités civiles et religieuses après le vote unanime du Décret des otages. Par ailleurs, avec ses collègues blanquistes, dont beaucoup ont été nommés dans les commissariats de police, il tente, avec plus ou moins de succès, de lutter contre les agents versaillais qui pullulent dans Paris. Fin avril il devient Procureur de la Commune.
Sa personnalité ainsi que sa politique ont été durement critiquées par les partisans de l’ordre social, mais aussi par des communards. L’on peut néanmoins penser qu’il n’était pas ce tigre féroce assoiffé de sang que certains ont vu en lui. Nous le découvrons parfois bonhomme et, en ce qui concerne les otages, il aurait été, si l’on en croit les ultimes confidences à Maxime Vuillaume, tout à fait prêt à les échanger contre Blanqui, emprisonné par le gouvernement de Thiers.
Raoul Rigault, pour finir, a été accusé d’avoir ordonné des incendies durant la semaine de mai, et l’exécution de l’avocat Gustave Chaudey responsable selon lui de la fusillade contre le peuple du 22 janvier précédent, qui avait provoqué la mort de son ami Sapia. Il me paraît certain en tout cas que Rigault était mobilisé contre les policiers et les traîtres. Politiquement marqué par son « hébertisme », il avait choisi de soutenir le camp de ceux qui cherchaient des solutions dans un pouvoir fort. Ceci était aussi dans son caractère, comme l’a montré sa mort de soldat, rue Gay-Lussac. Tandis que d’autres responsables, d’autres élus, pensaient à fuir la répression, Raoul Rigault a, pour sa part, endossé son uniforme d’officier fédéré et revendiqué crânement, lors de son interpellation, son identité et ses opinions révolutionnaires en lançant ce cri de
Vive la Commune ! À bas les assassins !
Alain Dalotel
Notre ami Gérard Conte vient de nous confier un extrait précieux du journal La Liberté, paru dans l’Yonne le samedi 8 avril 1871, dont nous voulons faire bénéficier nos adhérents. Ce témoignage éclaire d’un jour particulier la personnalité complexe de Raoul Rigault, ce mal-aimé de la Commune
M. Rathier, représentant de l’Yonne résidant à Paris, prenant le train pour Versailles est arrêté par la police de la Commune.
Comme il refuse de décliner son identité, il est conduit devant le Commissaire de Police du quartier qui, apprenant sa qualité de député de l’Assemblée de Versailles, juge bon d’en référer à la Commune.
Il est introduit dans le bureau de Raoul Rigault.
- Mais, dit Rigault, vous faites partie de l’Assemblée de Versailles ; elle nous a déclaré une guerre à mort : elle couvre Paris de feu ; elle fusille nos prisonniers. Ne devrais-je pas vous garder ?
Les citoyens de l’entourage parlent de la nécessité de conserver des otages.
- Je ne suis pas un personnage assez important, dit M. Rathier, pour être un otage bien utile.
- D’accord si l’Assemblée n’était notre plus cruelle ennemie.
- Décidez-vous, conclut M. Rathier, mais qu’il soit bien constaté que la force seule m’empêche de me rendre à mon poste où je suis appelé à défendre la République.
Raoul Rigault se lève
- Vous avez raison, monsieur, votre devoir est de vous rendre à votre place de représentant et le mien ne saurait être de vous empêcher de le faire. Je me crois, au contraire, obligé de vous faciliter l’accomplissement de votre tâche si pénible en ces temps douloureux. Non seulement vous êtes libre, monsieur, mais voici un laissez-passer afin que vous puissiez sans encombre vous rendre à Versailles.