Comment informer au mieux, ou plus exactement, comment bien rendre compte du réel ? Il convient d’utiliser des sources fiables s’appuyant sur des faits, des chiffres, des témoignages de ceux qui ont vécu ces faits. Puis il appartient aux journalistes, aux historiens, aux documentalistes, c’est-à-dire à tous les chroniqueurs du présent et du passé, d’analyser et de croiser ces sources. Une telle démarche existe, mais il s’agit souvent plutôt de pratiques de communication développées sur les médias écrits et audiovisuels.
Des « spécialistes », des « experts » utilisent des « éléments de langage » ; des concepts nouveaux apparaissent, et le préfixe « post » est accolé à divers termes afin d’en atténuer, modifier ou détourner le sens. Démocratie, progrès, vérité, « post-vérité », il conviendrait d’y substituer désormais des « faits alternatifs ». Des actes de communication sont mis en scène, par exemple la signature de décrets par le président américain, sous les applaudissements et face aux caméras
Évoquons plutôt les décrets de la Commune adoptés de début avril à fin mai 1871. Discutés et votés par les élus, ils sont ensuite placardés sur les murs de Paris et insérés au Journal Officiel de la Commune. Dès cette époque, Jean-Baptiste Clément, avec un article paru avant fin avril 1871 dans Le Cri du Peuple de Jules Vallès, est parfaitement conscient du caractère inouï et novateur de ces textes. Donnons-lui la parole :
Nous ne nous préoccupons pas ici de savoir si ces décrets de la Commune seront exécutés ou non. Ce qui nous importe c’est de constater leur signification, (...) leur portée philosophique, leur valeur politique et sociale. (…).
Habitués aux malheurs …nous disons : supposons que le peuple soit vaincu, supposons que les bonapartistes et les royalistes rentrent dans Paris en barbotant dans des mares de sang et en piétinant sur des cadavres, que restera-t-il de la Commune ? Des décrets sur les murs, des affiches qu’on déchirera, répondent ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.
Ah ! Vous vous trompez ! Quand bien même ces décrets n’auraient pas reçu leur pleine exécution, quand bien même vous déchireriez toutes les affiches, quand bien même vous passeriez tous les murs à la chaux, vous ne parviendrez pas à enlever de nos esprits les principes qu’ils ont affirmés, vous n’empêcherez pas que le peuple ait senti la différence qu’il y a entre les gouvernements de Versailles et les membres de la Commune, vous n’empêcherez pas que le peuple ait vu là le salut des travailleurs et l’avenir du monde. [1]
Au terme d’un parcours communard dans les rues de Paris, ce texte est souvent lu au Mur des Fédérés du cimetière du Père-Lachaise, face à des sépultures de communards célèbres : Adolphe Gustave Lefrançais, Benoît Malon, Walery Wrobleski, Ernest Picchio… et Jean-Baptiste Clément, et en hommage à tous ceux qui, sur ces lieux mêmes, ont laissé leur vie et demeurent sans sépulture. Les auditeurs d’aujourd’hui sont alors stupéfaits, à l’écoute des propos de Jean-Baptiste Clément, de leur caractère prémonitoire sur l’issue de la Commune, mais aussi tonique sur le long terme.
Élu de la Commune, maire du XVIIIe arrondissement, et combattant dans Paris jusqu’à fin mai 1871, Jean-Baptiste Clément nous a laissé, indépendamment de la célèbre chanson Le Temps des cerises, des écrits militants et de très nombreux témoignages sur son époque.
ALINE RAIMBAULT
Notes
[1] Jean-Baptiste Clément, Le Cri du Peuple, 24 avril 1871 ; Texte repris dans l’ouvrage de Georges Frischmann, Albert Theisz, Édition de la Fédération CGT des PTT, 1994, pages 183/184.