Une conférence de Laure Godineau

Laure Godineau, maître de conférences à l’Université Paris XIII, a donné une conférence intitulée « L’exil des communards », le 22 juin dernier, au musée du Petit-Palais, dans le cadre de l’exposition Les Impressionnistes à Londres.

Affiche à Londres annonçant un meeting le 18 mars 1872 pour commémorer l'anniversaire de la Commune (Source International Institut of Social History, Amsterdam)
Affiche à Londres annonçant un meeting le 18 mars 1872 pour commémorer l'anniversaire de la Commune (Source International Institut of Social History, Amsterdam)

Combien de communards prirent le chemin de l’exil ? L’historienne Laure Godineau avance le chiffre de 6000, auquel il faut ajouter 5000 condamnés à la déportation et à la transportation (dont 3000 envoyés en Nouvelle-Calédonie). Fait peu connu : les exilés changèrent plusieurs fois de pays d’accueil. Vallès se rasa la barbe, sillonna Paris en se faisant passer pour un ambulancier, transportant les blessés sur une charrette. Il se cache dans la capitale jusqu’à fin août début septembre, puis part pour l’Angleterre en passant par la Belgique, aidé par l’éditeur Chevalier. Dans Mes Cahiers rouges au temps de la Commune, Maxime Vuillaume s’interroge :

Comment partir. Comment quitter Paris, la France. Gagner la frontière. Quelle frontière ? Londres ? Bruxelles ? Genève ? Par où ? Avec quel passeport ? Nul ne peut voyager en chemin de fer, coucher à l’hôtel, marcher sur les routes sans passeport.

 

Les communards fréquentent Oxford street ou Soho

Oxford Street (en 1875) où vécurent de nombreux communards
Oxford Street (en 1875) où vécurent de nombreux communards

Vuillaume évoque son parcours jusqu’en Suisse.

Beaucoup de ceux qui échappèrent aux arrestations y trouvèrent refuge, ainsi qu’en Grande-Bretagne, en Belgique ou, plus loin, en Russie et aux États-Unis. Plusieurs facteurs guidèrent leur choix : la proximité géographique ou linguistique, la politique d’accueil…

La Suisse et l’Angleterre refusent d’extrader les proscrits. La conférencière souligne que « la moitié des réfugiés de Londres sont des acteurs de premier plan de la Commune : 33 sur 50 sont membres du conseil de la Commune ». Elle rappelle aussi que les quartiers de Londres fréquentés par les communards, comme Oxford Street ou Soho, sont les mêmes que ceux investis par les proscrits de 1848 et 1851. Ce n’est qu’à partir de 1873-1874 que la Belgique accorde officiellement l’asile politique aux communards. Certains d’entre eux quittent alors Londres pour Bruxelles.

 

La vie difficile des exilés

Les ouvriers qualifiés des métiers d’art de Paris trouvèrent plus facilement un emploi, grâce à leur savoir-faire, que les lettrés, note Laure Godineau. Mais la vie reste difficile pour les exilés.

Jules Vallès supporte mal son exil à Londres, « cité inhumaine, glacée, lugubre ». Il s’en sort financièrement grâce à son ami Hector Malot, l’auteur de Sans famille, resté en France. Ce dernier l’aide à publier la trilogie de Jacques Vingtras, d’abord en feuilleton dans le journal Le Siècle, puis sous forme de livre.

Les exilés communards au café du Levant à Genève (Source : Le Monde Illustré du 27 avril 1872 - Gallica/Bnf)
Les exilés communards au café du Levant à Genève (Source : Le Monde Illustré du 27 avril 1872 - Gallica/Bnf)

Une fois l’amnistie totale votée en 1880, les communards exilés furent peu nombreux à rester dans les pays d’accueil. C’est le cas du dessinateur Pilotell, qui mourut à Londres en 1918. « La plupart des proscrits décident de rentrer immédiatement », constate l’historienne. Beaucoup d’artisans d’art eurent du mal à retrouver leur place, en raison des changements des processus de fabrication et de la division croissante du travail. « Mais l’exil ou la déportation ne se sont pas forcément traduits par la pauvreté, l’épuisement physique et moral, ou l’inactivité dans les années postérieures », observe la conférencière. Vallès, Vaillant et Dalou offrent des exemples de réintégration réussie. Jules Vallès, réintégré dans la Société des gens de lettres, reprend sa vie de journaliste et d’écrivain et relance Le Cri du peuple en 1883, deux ans avant sa mort.

 

JOHN SUTTON

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