Après la sortie désastreuse du 3 avril, la situation militaire s’était rapidement dégradée. Plus grave encore, les élections complémentaires du 16 avril s’étaient avérées être un revers politique, un vrai coup dur pour les communards, affaiblissant de ce fait la légitimité politique de la Commune et dont Thiers d’ailleurs ne s’était pas privé de le faire savoir dans la France entière.
Aussi, les élus de la Commune jugèrent indispensable de rédiger une déclaration politique afin de convaincre les départements et les grandes villes de les rejoindre dans leur conquête de liberté communale et leur attachement à la République.
Dès le 9 avril, il avait été décidé au sein de l’assemblée parisienne, de créer une commission d’élus, chargée d’établir « un programme communal ».
Mis à l’ordre du jour de la séance du 18 avril, Jules Vallès(1832-1885) donne lecture du programme, qui obtient « l’approbation chaleureuse de l'Assemblée • et dont l’impression est aussitôt décidée.
L'Assemblée décide que le débat reprendra à la séance de dix heures et en « comité secret ».
Après les quelques modifications apportées qui portaient moins sur les principes que sur la forme, le texte fut adopté à l'unanimité, moins une voix. Il fut décidé qu'il paraîtrait le lendemain 19 avril , (publié au Journal Officiel du 20), sous le titre « Déclaration au peuple français ».
Il sera publié également dans le Cri du peuple (daté du 21), dans La Sociale (daté du 22) et Imprimée sous forme d’affiche et feuille volante, et même en anglais et fit l’objet d’une diffusion sur tous les murs de Paris.
La Déclaration du 19 avril n’est ni un exposé doctrinal ni un programme à proprement parler : il dit l’état d’esprit d’un moment, qui est propre à l’ensemble des sensibilités engagées dans la révolution communaliste.
Ce texte a été décidé par la Commune, qui en a confié la rédaction à trois hommes, Charles Delescluze le jacobin (1809-1871), Albert Theisz (1839-1881),le militant de l’Internationale et Jules Vallès, le socialiste révolutionnaire : autant dire un concentré de Commune.
Vallès a chargé son ami, le proudhonien Pierre Denis (1840-1907), journaliste au « Cri du Peuple » d’en rédiger le texte. Il n’est pas membre de l’assemblée communale, mais seconde les trois hommes. Vallès pour sa part s’était contenté de l’amender avant de le soumettre à Charles Delescluze pour y apporter quelques corrections et mise en forme.
Que dire de cette Déclaration ?
Ce texte reprenait un certain nombre de principes :
La reconnaissance et la consolidation de la République seule forme de gouvernement compatible avec les droits du Peuple
et
l’autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de France, et assurant à chacune l’intégralité de ses droits.
Une autonomie communale en matière de police, justice, services publics, avec des magistrats et fonctionnaires municipaux choisis par concours ou élus et comptables de leurs actes devant les citoyens et autorités communales.
Paris voulait se poser en exemple devant le pays, montrer la voie et inciter les autres communes de France à l’imiter.
Paris libre dans la France libre et marchant du même pas que les départements enchaînés […]
Mais qu’en sera t-il du reste de la France et comment se fera le lien entre les diverses communes qui constituent le territoire national ?
Passe pour les grandes villes républicaines, mais les campagnes ? Qu’attendre des neuf dixièmes des communes françaises dont plus de la moitié n’ont pas six cents habitants et qui n’aspirent qu’à la tranquillité ? (1)
Le texte évoque « la grande administration centrale, délégation des communes fédérées » issue du « contrat » reliant Paris et « toutes les autres communes (…) dont l’association doit assurer « l’unité française ».
Pourtant adoptée à l’unanimité moins une voix, cette déclaration était à l’image de cette Assemblée traversée par un clivage idéologique entre Jacobins et fédéralistes qui allait bientôt l’amener à se scinder en deux camps adverses.
Par nature, ce texte était incontestablement de tonalité proudhonienne. D’abord par l’idée de fédération communale et enfin surtout aux institutions « propres à développer l’échange et le crédit ». (Rappel appuyé de la Banque d’échange imaginée en 1848 par Proudhon).
L’influence de la réflexion antiétatique de Proudhon(1809-1865) s’est exercée à coup sûr en 1871. L’idée de décentralisation, le souci de la restauration du pouvoir des communes locales écrasées par la centralisation bonapartiste était déjà au cœur du programme républicain depuis au moins 1850 (2).
Cette dimension fédéraliste était d’une manière plus générale l’expression d’un courant politique solidement enraciné autour duquel tous les révolutionnaires (blanquistes y compris) s’étaient retrouvés en septembre 1870.
Certains communards portent sur ce texte des jugements sévères, comme Lissagaray (1838-1901) qui le trouve « obscur, incomplet, dangereux » ou Charles Longuet (1839-1903) qui le voit « si dangereusement communaliste et si vaguement socialiste ».
Le journal Le Père Duchêne n’aime pas le vocable de « communal », qu’il trouve « d’un vide à faire trembler ». En revanche, les fédéralistes affirmés y voient le signe que leurs idées l’ont emporté, comme Benoît Malon (1841-1893) qui explique que « ce testament de la Commune est entièrement dominé par l’idée fédéraliste et socialiste et l’ancienne politique [jacobine NDLR] ne s’y trouve nulle part ». Quant au proudhonien Paul Rastoul (1835-1875), il ironise :
Ceci est l’oraison funèbre du jacobinisme prononcée par un de ses chefs.
Il convient de nuancer car dans l’esprit des Jacobins de l’Assemblée communale, et ainsi que Charles Delescluze l’a exprimé, « l’Unité française constituée par la Révolution » doit renouer avec l’idéal de gouvernement direct des sans-culottes de l’an II. « Paris redeviendra le cœur et la tête de la France et de l’Europe » mais sans prétention à une dictature qu’il désavoue et qui « serait la négation de ses principes les plus chers ». Déjà en 1851, il avait élaboré avec Alexandre Ledru-Rollin (1807-1874) un projet de Nation décentralisée sur la commune et les départements.
Ainsi rien dans ce texte n’opposait les aspirations fédéralistes proudhoniennes à la conception jacobine de la Nation.
Rien de quoi choquer non plus les Internationaux de l’Assemblée dont la réflexion sur la nature de l’Etat n’était pas encore particulièrement établie.
Enfin, la référence au positivisme dans la Déclaration « La révolution communale, commencée par l’initiative populaire du 18 mars inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique » renvoyait à l’idée d’Auguste Comte (1798-1857) selon laquelle Paris, ville du vrai prolétariat, annonçait l’entrée dans l’ère de la politique positiviste.
La Commune ne cessa de rechercher une organisation du pouvoir qui fut réellement révolutionnaire. Elle n’eut pas le temps de mettre en œuvre ce programme.
Sources : Une légation dans la tourmente - Correspondance des agents diplomatiques belges en poste à Paris sous la Commune par Francis Sartorius & J-Cl De Paepe, édition Du Lérot, février 2007 (donc document inédit jusqu'à cette date)