En 1863, au moment des dernières élections législatives du Second Empire, à Lyon, les Libéraux, conduits par les avocats Leroyer et Andrieux, dénoncent l’opposition molle conduite à Paris par Jules Favre et à Lyon par Hénon.

Afin de les tourner par la gauche, contre ces républicains de 1848, ils rallient les radicaux intransigeants.

Louis Andrieux (1840-1931)
Louis Andrieux (1840-1931)

Andrieux anime le journal « Le Lyonnais  » et rejoint la gauche. Il vise à conquérir la Croix-Rousse en se ralliant au mouvement des Libres Penseurs. De même, lorsqu’après les élections de 1869 a lieu le plébiscite de 1870 sur les « réformes  » de l’Empire proposées par Napoléon III, il participe avec éclat à la campagne pour le NON, animée à Lyon dans les quartiers ouvriers par la 1ère Internationale (entre autres).

Le procureur général le désignera comme l’un des ambitieux « qui se font acclamer dans les réunions publiques par les irréconciliables ». Incarcéré, Andrieux est poursuivi devant la justice, ce qui explique qu’il jouit alors d’une grande popularité dans les quartiers ouvriers lyonnais. Le 4 septembre 1870, ce sont les tisseurs de la Croix-Rousse qui le tirent de la prison. Le 8 septembre, il est désigné dans la délégation élue pour présenter au Gouvernement de la Défense nationale les revendications démocratiques de Lyon. Celle-ci comprend aussi le jeune Albert Richard secrétaire local de l’Association Internationale des Travailleurs, ainsi que le mathématicien Victor Jaclard.

À Paris, Andrieux ne prend pas contact avec les clubs populaires. Il prend langue avec le seul Gambetta et, après un entretien sur «  les moyens de mettre fin à l’anarchie intolérable qui règne à Lyon  », revient entre Saône et Rhône avec le titre de Procureur de la République. Dans un premier temps, sa tâche sera simplifiée par la tentative menée tambour battant par Bakounine qui, accouru de Suisse à Lyon, prépare en quelques jours, une insurrection en manipulant grossièrement le mouvement populaire. Initiative qui aboutit à la reconquête de la mairie de Lyon par des bataillons venus… de la Croix-Rousse ! Une aventure échevelée d’un jour qui provoquera l’affaiblissement de l’A.I.T. de Lyon.

La répression de la dernière émeute communaliste à Lyon sur les barricades de la Place du Pont, le 30 avril 1871, fut d’ailleurs dirigée par deux chefs : le Préfet Valentin et… Louis Andrieux. Devant les barricades de la Grande Rue de la Guillotière et du Cours des Brosses, le Préfet fut blessé à la cuisse et Andrieux, bousculé et maltraité, trouva une issue dans la fuite. La force militaire viendra à bout de la rébellion dans la nuit du 30 avril au 1er mai. On relèvera 13 morts et 15 blessés sur la dernière barricade lyonnaise.

Mais la carrière fulgurante du Procureur Andrieux ne s’est pas arrêtée là.

Il a désormais le pied à l’étrier : en 1876, sous la présidence de Mac Mahon il est élu député par les bourgeois lyonnais. En 1880 sous la présidence de Grévy, il est nommé Préfet de Police à Paris où il déploie ses talents contre les anarchistes…

Louis ARAGON
Louis Aragon (1897-1982)

Né en 1840, il avait 57 ans lorsqu’il eut un enfant (dont il devint le «  tuteur ») avec Marguerite Toucas. Il en choisit le nom et le prénom. La jeune mère, dirigera d’abord une pension de famille avenue Carnot, puis s’installa rue Saint Pierre à Neuilly. Elle traduisait alors pour les Éditions du Masque des romans policiers sous la signature de Toucas-Massillon. L’enfant, supposé être le fils d’amis défunts, adopté par la famille, porte un nom célèbre : il se nomme Louis ARAGON (Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier Français – Tome 17 – p. 195).

On comprend que le grand écrivain communiste ait choisi un autre destin que celui de son père naturel. D’autant plus que son géniteur avait fait preuve d’une belle continuité dans sa voie politique et administrative, comme l’attestent ses souvenirs («  A travers la République », Edition Payot).

A propos de Louise Michel on le voit persister dans sa hargne à l’égard du mouvement ouvrier et de la Commune.

Rien de plus sournois et de plus perfide que le chapitre qu’il consacre dans ses souvenirs sur le retour de Louise Michel en France après sa déportation en Nouvelle Calédonie :

« Longtemps attendue par ses amis politiques, la Vierge Rouge, Mademoiselle Louise Michel n’arrivera à Paris que le 9 novembre 1880. 
À midi, elle descendit à la Gare Saint Lazare, accompagnée de cinq ou six amnistiés. 

Groupées dans la rue d’Amsterdam et sur la place du Havre six ou sept mille personnes la saluèrent par des cris répétés de « Vive Louise Michel ! » Henri Rochefort après l’avoir embrassée lui donna le bras pour sortir de la gare. 

Pendant les cinquante mètres qu’elle dut parcourir pour gagner la voiture qui l’attendait au coin de la rue de Londres, celle qu’on appelait la "Grande Citoyenne" fut l’objet d’une ovation enthousiaste. 

Quelques exaltés voulurent dételer les chevaux de la voiture dans laquelle elle était montée. Les gardiens de la paix s’interposèrent et firent prendre aux chevaux une allure accélérée… »

À partir de ce jour Mlle Louise Michel prit une part importante au mouvement socialiste et son nom revint souvent dans les rapports de mes agents.

Louise Michel (1830-1905) vers 1880
Louise Michel (1830-1905) vers 1880

 

Quelques citations permettent d’apprécier l’accueil qui lui fut fait dans le parti révolutionnaire et le rôle qu’elle y joua : 

« Le 14 novembre 1880 la première réunion-conférence dans laquelle Louise Michel doit faire sa rentrée aura lieu dimanche 21 novembre. Il y aura énormément de monde ; cependant des honneurs qui lui ont été rendus ont déjà éveillé des jalousies ; d’autre part, les vrais révolutionnaires lui reprochent la sympathie qu’elle affiche pour M. Clemenceau. 

Les socialistes regardent en effet le député de Montmartre comme un bourgeois, et les condamnés de la Commune le tiennent pour un modéré. Le but poursuivi par les rédacteurs de « La Marseillaise », c’est de procurer à leur journal le bénéfice de la conférence de la Grande Citoyenne. Pour cela MM. Vésinier, Gauthier, Protot voudraient être chargés de tous les détails d’organisation et de publicité. S’ils y réussissent, les autres organes de l’intransigeance seront mécontents et les accuseront d’avoir accaparé une bonne affaire.

La conférence n’échappera pas à leurs critiques elle sera attaquée sournoisement par les femmes de la Commune dont la renommée pâlit à côté de la sienne. »

21 novembre : aujourd’hui à une heure a eu lieu à l’Elysée Montmartre, la première conférence en l’honneur de Louise Michel.

À une heure et demie, Louise Michel monte à la tribune et crie tout d’abord « Vive la Révolution Sociale ! »

L’assistance répond par des cris de «  Vive Louise Michel, Vive la Révolution ! » On apporte à l’héroïne plusieurs bouquets.

Gambon affirme que

« la Commune est plus vivante que jamais et que la France sera toujours à la tête des révolutions ».

Un texte fort instructif qui donne à voir la ruse permanente (et résistante à l’usure) de la police politique de tous les temps à la recherche de la faille afin d’affaiblir le mouvement populaire.

Mais autre chose aussi : combien Louis Aragon a eu raison de haïr son géniteur !

Maurice Moissonnier

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