Depuis la Révolution française, la question de l’école n’a cessé d’être au cœur de la question sociale et démocratique. Rappelons quelques faits importants pour notre propos. [1]

Édouard Vaillant (1840-1915) (source : Médiathèque Paul Éluard de Vierzon)
Édouard Vaillant (1840-1915) (source : Médiathèque Paul Éluard de Vierzon)

Depuis 1850, l’enseignement primaire était régi par la loi Falloux qui obligeait les communes, à partir d’un certain seuil, à avoir une école. Mais l’enseignement n’y était ni gratuit, ni obligatoire.
L’absentéisme restait important dans les quartiers populaires.

La loi prévoyait que si une municipalité mettait en place une école publique, elle pouvait avoir des instituteurs laïcs ou congréganistes. Mais dans tous les cas, on devait enseigner la religion, et tout le programme était contrôlé par l’église catholique. A la fin du Second Empire se développe l’exigence d’une école publique exclusivement laïque. C’est en 1866 qu’est créée la Ligue de l’Enseignement. D’autres sociétés, plus radicales, naissent comme la société pour «  l’Éducation nouvelle », qui va fournir le programme de la Commune. [2]

L’école rêvée des communards

La question de l’éducation est d’abord posée comme «  la question mère, qui embrasse et domine toutes les questions politiques et sociales  » (Projet). Elle doit devenir « un service public de premier ordre.  »

L’éducation doit être la traduction de l’égalité naturelle des hommes :

« Ils (les rouges) veulent l’égalité dans l’instruction, l’égalité dont la nature a prouvé l’existence (…) » [3].

Pour Vaillant, la réforme de l’enseignement doit assurer «  à chacun la véritable base de l’égalité sociale  », affirmant ainsi le caractère «  essentiellement socialiste » de la Révolution. [4]

Cette école nouvelle et égalitaire s’appuie sur une trilogie célèbre : école laïque, gratuite et obligatoire. L’instruction religieuse doit être radicalement supprimée des écoles publiques. Aucun signe religieux ne doit être présent dans les écoles publiques. Enfin les congrégations doivent être chassées de ces écoles où ne doivent plus enseigner que des laïcs. [5]

L’école doit aussi « être gratuite et complète pour les enfants des deux sexes  ». Enfin, l’instruction doit être « obligatoire, en ce sens qu’elle devienne un droit à la portée de tout enfant, quelle que soit sa position sociale, et un devoir pour les parents (…) ou pour la société ». [5]

Quel enseignement ?

Les bases de l’école, ce sont la science et la raison. Dans l’école, il ne faut employer « que la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature, physiques, moraux, intellectuels ». [5]

La science crée aussi les bases d’une possible rencontre des enfants. L’école publique doit pouvoir accueillir athées ou croyants, français et étrangers, filles et garçons.

L’enfant doit disposer d’une certaine liberté : Il faut « veiller à ce que, désormais, la conscience de l’enfant fût respectée et rejeter de son enseignement tout ce qui pourrait y porter atteinte ». [5]
Tout n’est pas si simple cependant, car les communards sont attachés à donner aux élèves une morale civique républicaine.

A côté des sciences et des lettres, notons aussi l’importance accordée par la Commune à l’enseignement des sports [6] et des arts qui font l’objet de nombreuses mesures.

Un dernier point mérite d’être noté : la place que la Commune accorde à l’enseignement professionnel. Gouvernement populaire, la Commune veut faciliter « l’apprentissage et l’exercice de la profession vers laquelle le (l’enfant) dirigent ses goûts et ses aptitudes ». [7] Ce doit être un enseignement professionnel qui sera aussi un enseignement « intégral » donnant aux élèves à côté de la formation professionnelle un solide bagage de culture générale.

Difficultés, incertitudes, questionnements

On aurait tort de croire que sur ces bases tout est clair et facile ! Si l’école est proclamée question première, elle n’est pas aisément action première. L’urgence paraît ailleurs : le pain quotidien, le travail et surtout la guerre contre Versailles.

La question de l’école n’est ainsi pratiquement jamais débattue à la Commune pendant un mois. La commission de l’enseignement n’a au début guère d’activité, son délégué Goupil démissionne d’ailleurs très vite. Le contenu d’une réforme de l’enseignement est discuté, cependant, dans des réunions publiques.

L’initiative est alors laissée aux municipalités d’arrondissement qui se trouvent devant des situations diversifiées. Dans certains arrondissements, plutôt ceux bourgeois de l’ouest, il y a des résistances à la laïcisation des écoles communales.

Partout, les élus de la Commune font face à un redoutable problème : comment remplacer rapidement les enseignants des congrégations par des instituteurs laïcs ? Qui peut exercer ces fonctions ? Comment les recruter ? Les solutions sont très diverses. Dans le XIIe arrondissement, où les membres de la Commune sont très radicaux, on chasse les Frères et Sœurs rapidement et on confie les écoles à des femmes et des hommes de solide foi républicaine ; ailleurs, on a plus d’exigence de capacité. Chacune et chacun peut aussi adresser sa demande à la commission de l’enseignement. Une grande confusion régna.

Cette question était aussi l’expression d’un problème plus général : fédéralisme ou centralisme ?

Le programme de la Commune, tel qu’il apparaît dans sa Déclaration du 19 avril, indique que

« les droits inhérents de la Commune sont : le vote du budget communal (…) l’organisation de sa magistrature, de la police intérieure et de l’enseignement (…)  » [8].

C’était donner aux communes une quasi-totale maîtrise sur l’école.

 Le plus grand honneur de ma vie
est d’avoir participé à la Commune de Paris
et d’en avoir été élu membre.
Édouard Vaillant, Journal Officiel, 28 janvier 1894

Cependant, certains furent conscients du danger d’une excessive décentralisation. Dans un article du Rappel, Frédéric Morin souligna que, dans les régions conservatrices, les écoles publiques ne seraient jamais laïques. [9] C’était renoncer à étendre les Lumières à toute la France ! Par ailleurs, c’était renoncer à toute la cohérence que pouvait donner un programme national.

Mais la décentralisation dans les arrondissements favorisa aussi une belle moisson de projets et de réalisations. De l’obligation des écoles maternelles dans le VIIIe arrondissement à la mixité sociale prévue dans la maison des orphelins du IIIe arrondissement [10], tout ou beaucoup fut expérimenté en 1871.

La dernière difficulté, à laquelle se trouva confrontée la Commune, fut la question des enseignements secondaire et supérieur. Le plus grand nombre des communards avaient été éloignés de ces enseignements qui leur étaient étrangers. Ils y rencontrèrent aussi des résistances, car des enseignants, fonctionnaires de Versailles, ne voulurent pas, ou eurent peur de servir la Commune.

Affiche de la Commune de Paris N° 306 du 12 mai 1871 - Délégation Enseignement - Vaillant (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Affiche de la Commune de Paris N° 306 du 12 mai 1871 - Délégation Enseignement - Vaillant (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

« Ministre de l’enseignement »

Le 20 avril, Vaillant est élu délégué à l’enseignement. Ce choix n’est pas unanime ; Vaillant n’obtient que 27 voix sur 53 votants (loin d’un Protot avec ses 47 voix). Vaillant s’était toutefois beaucoup intéressé à l’enseignement dans le cadre de l’Internationale. Mais toute la personnalité de Vaillant va se révéler dans son action : efficacité et radicalité, non dénuée d’un certain pragmatisme.

Le premier axe de l’action de Vaillant est le renforcement du pouvoir et de l’organisation du « ministère ». Avec F. Pépin et Constant Martin, une administration sérieuse se met en place. Deux commissions de l’enseignement, une générale, une pour l’enseignement des filles, sont créées. Vaillant reprend complètement l’autorité sur la nomination des instituteurs :

« aucune nomination, aucun ordre n’est valable, et pour les anciennes n’est définitive, si elle ne porte la signature du citoyen Vaillant ». [11]

La radicalité de Vaillant s’exprime dans la vigueur de son action laïque. Lorsque des congréganistes refusent de quitter une école communale, «  partout où de semblables résistances se produisent, elles doivent être immédiatement brisées et les récalcitrants arrêtés ». [12] Le 17 mai, il fait voter un décret exigeant l’achèvement de la laïcisation dans les 48 heures. [13]

La mise en place de deux écoles professionnelles montre aussi l’efficacité de Vaillant. S’il est partisan « d’une transformation radicale de l’enseignement », il s’agit aussi, dit-il, « d’arrêter les réformes immédiates  » [14] qui prépareront celle-ci ; il va donc agir pour ce qui lui paraît le plus urgent, l’enseignement professionnel. Trouver les locaux, les aménager, chercher les enseignants, autant de tâches concrètes auxquelles il s’attache.

Enfin, Vaillant veille à ce que soit créée une école professionnelle pour jeunes filles. Ce qui souligne son attachement à donner aux femmes un métier qualifié. Et c’est d’ailleurs à Vaillant qu’on doit aussi ce décret, un des derniers de la Commune, qui fixe l’égalité des salaires entre institutrices et instituteurs de Paris ; premier décret d’égalité des salaires entre les femmes et les hommes.

Il faut enfin rappeler, mais nous ne pouvons ici développer cet aspect, que la délégation de Vaillant comprenait aussi l’éducation populaire et la culture.

10 ans avant Jules Ferry, 34 ans avant la séparation de l’église et de l’état, la Commune avait su être en avance sur son temps !

JEAN-LOUIS ROBERT


Notes :

[1] On pourra consulter avec utilité l’intéressant article de Michel Violet, « Pédagogies alternatives : l’école sous la Commune  », Les actes de lecture, juin 2010, qui offre une perspective nouvelle aux travaux anciens de Maurice Dommanget.

[2] Le projet de réforme de la société est présenté aux élus de la Commune, le 1er avril, qui se déclarent « complètement favorables » à celui-ci. Il est publié dans le Journal officiel de la Commune du 2 avril. Abrégé ensuite en Projet.

[3] Jean-Baptiste Clément, «  Les rouges et les pâles », Journal officiel de la Commune, 3 avril.

[4] Le délégué à l’enseignement, Edouard Vaillant, le 17 mai, Journal officiel de la Commune, 18 mai.

[5] Projet. Les membres de la Commune du IVe arrondissement, «  Ecoles publiques et gratuites », sd., affiche BDIC.

[6] «  Corps des gymnastes », créé par Hippolyte Triat, cf. Affiche de la mairie du VIIIe, sd, vers le 3 avril.

[7] Le délégué à l’enseignement, Edouard Vaillant, le 17 mai, Journal officiel de la Commune, 18 mai.

[8] Journal officiel de la Commune, 20 avril.

[9] Frédéric Morin, «  Le programme de la Commune », Le Rappel, 21 avril.

[10] Les membres de la Commune, IIIe arrondissement, « Maison des orphelins de la Commune », sd, vers le 15 mai, affiche BDIC.

[11] Le délégué à l’enseignement, Vaillant, 22 avril, Journal officiel de la Commune, 23 avril.

[12] Le délégué à l’enseignement, Vaillant, 14 mai, Journal officiel de la Commune, 16 mai.

[13] Compte-rendu de la séance de la Commune du 17 mai, Journal officiel de la Commune, 19 mai.

[14] Le délégué à l’enseignement, Edouard Vaillant, le 17 mai, Journal officiel de la Commune, 18 mai.

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