Le 16 avril 1871, Alix Payen s’engage comme infirmière au 153e bataillon de la Garde nationale. Elle a vingt-neuf ans, est née Alix Milliet, vient d’une famille bourgeoise (socialement) et républicaine. Elle et sa sœur ont été éduquées comme leurs frères. Illustration du fouriérisme de la famille : le degré de l’émancipation féminine est la mesure naturelle du degré de l’émancipation générale, a écrit Fourier (cité par Engels et Marx dans La Sainte famille).
Alix et Henri Payen habitent rue Martel, dans le Xe. Le 153e est un bataillon de leur arrondissement. Henri, artisan-joaillier, y est sergent. De tous les lieux où se rend le 153e, Alix écrit à son père et surtout à sa mère.
Ainsi, grâce à Albert Theisz, qui a fait fonctionner la poste dans Paris pendant la Commune, et au frère d’Alix, le peintre Paul Milliet, qui a conservé la correspondance familiale, les lettres d’Alix sont parvenues jusqu’à nous.
Paul Milliet est visiblement intervenu sur ces textes, qu’il a publiés deux fois dans des versions légèrement différentes, dans les Cahiers de la Quinzaine en 1911 (merci à Charles Péguy d’avoir accueilli ce témoignage communard, comme il a accueilli ceux de Maxime Vuillaume) et dans un livre autobiographique, Les Milliet, une famille de républicains fouriéristes (que l’on trouve aujourd’hui sur Gallica), en 1915-16. La version des Cahiers a été reproduite dans le recueil Mémoires de femmes, mémoire du peuple, dans la petite collection Maspero en 1978. Une version « mixte », c’est-à-dire complète (réunissant les deux sources), dans laquelle j’ai précisé quelques dates, est parue en 2018-2019 sur le site https://macommunedeparis.com/ (1).
Mais Alix ? Eh bien, la voici, à travers de courts extraits de ses lettres.
Le mardi 24 janvier 1871, le Siège n’est pas terminé, elle écrit à son mari, déjà aux remparts, après la fusillade dont ont été victimes les manifestants place de l’Hôtel-de-Ville :
« Cher Henri,
Je t’écris sans courage, puisque mes lettres ne t’arrivent pas. J’ai grande envie de te voir et je suis triste comme un bonnet de nuit. Dimanche, on s’est tiré des coups de fusil à l’Hôtel de Ville. Le remplacement de Trochu par Vinoy ne contente personne. Ce n’est pas là un changement puisqu’ils combinaient toujours ensemble leurs opérations. On entend dire tout haut que les généraux, qui n’avaient pas de canons à Montretout, ont bien su en trouver pour les braquer sur l’Hôtel de Ville. En effet il y avait là un appareil de mitrailleuses, qu’on eût mieux aimé voir tourner contre les Prussiens. Je vois qu’il faut rabattre de ma confiance dans le Gouvernement. Les généraux n’ont qu’un désir : capituler. [...]
Je suis pleine d’idées noires : si Paris capitule, les gardes nationaux seront emmenés prisonniers de guerre. Cher Henri, je compte sur toi : même si ton bataillon tout entier se rendait, ne te rends pas ! Défends-toi jusqu’au bout, quitte à être tué.
De mon côté, je te le promets, je tuerai le premier de ces assassins que je rencontrerai dans Paris, bien sûre de la mort qui m’attend. »
Et voici la Commune. Le 10 avril, elle écrit à son père :
« Cher père
On fait courir en province les bruits les plus effrayants sur Paris ; nous n’avons pourtant rien pillé ni tué, quoi qu’en disent les Versaillais. Ces abominables Communeux ont brûlé solennellement la guillotine l’autre jour [le 6 avril]. Ils sont superbes d’entrain, de conviction, ces bataillons. Quelle leçon pour Trochu ! Cependant, les Amis de l’Ordre ont une tendance irrésistible à franc-filer. »
Une semaine plus tard, elle s’engage :
« Je rêvais d’être ambulancière dans le bataillon d’Henri et de le suivre partout. Je cours à la mairie, je m’adresse à M. S. [...]. Pendant que je préparais ma petite pharmacie, il allait à l’Hôtel de Ville faire signer mon brevet, puis nous partons en voiture découverte pour Issy. Ce petit voyage m’a paru charmant. Il faisait une belle journée d’avril, entremêlée de pluie et de soleil.
Songe que depuis le siège je n’avais pas franchi les fortifications ; aussi la verdure naissante, les champs, les arbres, la Seine coulant dans la campagne, tout cela me paraissait nouveau et ravissant. Même les petites ondées, qui tombaient sans cacher le soleil, étaient gaies et faisaient du bien. Qu’il y avait longtemps, bon Dieu, que je n’avais respiré de l’air vrai ! Comment avons-nous pu vivre si longtemps dans cette grande prison ! »
Malgré le beau printemps, c’est la guerre. C’est au fort d’Issy qu’est affecté le 153e. Dès le lendemain, Alix écrit à sa mère :
« Cette nuit, la fusillade a été continuelle ; je n’ai pu fermer l’œil ; avec cela il pleuvait à verse. Un homme de la compagnie d’Henri a été blessé à la jambe ; on l’a amputé ce matin. Le chirurgien ne veut pas venir dans les tranchées, et c’est pourtant là qu’il serait utile, puisque les attaques reprennent toutes les nuits. »
Il s’agit de la nuit du 17 au 18 avril. Les versaillais ont été repoussés, comme le confirme un rapport de La Cécilia dans le {Journal officiel} du 19 avril. Le soldat amputé s’appelait Deshayes, il est cité lui aussi dans le {Journal officiel} le 17 avril, dans une lettre du commandant du bataillon.
Alix vit « tout à fait comme les soldats ». Le 19 avril :