C ‘est probablement grâce à sa femme, Irma Vuillier et à sa fille Georgette que Dalou, pourtant officier du 83e bataillon fédéré, n’est pas mort sur une barricade.
En effet, il s’était installé au Louvre avec elles pour assumer son rôle d’administrateur pendant les heures difficiles de l’offensive versaillaise. La violence des événements, l’incendie des Tuileries, la fuite précipitée en pays étranger furent sans aucun doute à l’origine de la perte de raison de sa fillette de trois ans qui nécessita jusqu’à sa mort, pendant la première guerre mondiale, la présence à ses côtés, d’un adulte responsable. C’est pour cela que Dalou lèguera son atelier à l’orphelinat des Arts et c’est pour cela que les chercheurs disposent actuellement de plus de 300 œuvres achetées par la Ville de Paris à l’orphelinat en 1905. Ces œuvres n’ont jamais fait l’objet d’une exposition exhaustive. Le centenaire de la mort de l’artiste aurait été pourtant une bonne occasion de faire connaître cet ensemble. Au musée d’Orsay, seul un dixième de ce fonds est exposé dans la salle Dalou.
Élève de Carpeaux, l’auteur du groupe scandaleux à son époque, de la Danse à l’Opéra de Paris, Dalou garde de son maître le souci de vérité et de naturel qui s’opposait alors à l’art académique. Né dans le milieu artisanal, de parents protestants, il a été élevé dans la laïcité. Intègre et fier, il ne fera jamais de concessions dans son art, même s’il a su s’adapter à des commandes privées et publiques. Lecteur de Proudhon, il relève dans ses carnets intimes cette citation :
L’art est une représentation de la nature et de nous-mêmes en vue du perfectionnement physique et moral de notre espèce.
Tout au long de son œuvre, il s’appuie en effet sur l’observation de la nature. Sa République en marche frappe par son modelé et son geste naturels alors que celle de la Place de la République est engoncée dans la convention. Quand il projette, à la fin de sa vie, le Monument aux ouvriers, il fait poser un véritable paysan et non un modèle d’atelier. Il échappe ainsi à la vision misérabiliste qui avait cours à son époque. Ses portraits, qu’ils soient de commande, Charcot, Delacroix, Mirabeau, Hugo ; ou d’amitié, Blanqui, Courbet, Noir, Rochefort, sont pleins de cette recherche de vérité psychologique qui caractérise la tradition française depuis Clouet et les frères Le Nain. C’est aussi la méthode de Courbet qui écrivait :
J’ai voulu tout simplement penser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité
dans son manifeste du Réalisme. Lorsque Courbet est élu président de la Fédération des Artistes, la Commune fixe sa première tâche qui est de
rétablir dans le plus bref délai les musées de la Ville de Paris dans leur état normal, d’ouvrir les galeries au public et d’y favoriser le travail qui s’y fait habituellement.
Les théâtres, les bibliothèques et les musées rouvrent avec le printemps dans une atmosphère de fête où se réalise enfin l’accès de tous à la culture. La Fédération des Artistes s’installe au Louvre, mais les conservateurs en titre ne veulent pas rouvrir le musée qui jouxte le palais des Tuileries déserté. Ils seront révoqués par la Commune qui , le 17 mai, nomme alors Dalou administrateur provisoire adjoint. Ses fonctions seront de courte durée. Trois jours après, les conservateurs, aussi bien révoqués que provisoires, s’entendent pour apposer les scellés sur les portes. 47 gardiens du Louvre sont réquisitionnés pour construire des barricades dans Paris. C’est ce jour là que les Tuileries flambent. ? Le conservateur révoqué : Barbet de Jouy, facilitera l’obtention d’un passeport pour Londres à Dalou qui sera condamné par contumace le 1er mai 1874 en conseil de guerre permanent, aux travaux forcés à perpétuité.
A son retour en France, il participera à la mise en œuvre par la IIIe République, du programme d’éducation populaire de la Commune et l’on verra Paris se couvrir de sculptures.
Eugénie Dubreuil