DIX BALADES HISTORIQUES
Quand nous visitons un château, de la Renaissance par exemple, nous admirons l’architecture les splendeurs de la décoration, les tapisseries, parfois le mobilier façonné par des grands maîtres, les parcs et jardins. Nous imaginons les seigneurs vêtus de beaux atours, les lévriers couchés devant l’immense cheminée.
Au XVIe Siècle, cependant, les gens du peuple vivaient là aussi, enfin, un peu plus loin. Où sont leurs maisons ? A part des images de nos livres scolaires les représentant aux labours, quel était leur quotidien ?
Il en va ainsi de Paris. Nous admirons les monuments et les façades des immeubles des beaux quartiers récemment sablés. Tout est clair, doré, mis en valeur. Les grandes avenues sont illuminées et les vitrines des grands magasins, animées en cette période de fêtes. Bien.
Quels sont les quartiers qui retracent l’Histoire des hommes et des femmes qui pendant des siècles y ont travaillé, souffert, donné leur vie ?
Dix balades historiques – sur les traces du Paris insolite et rebelle* nous propose de découvrir la vie des parisiens depuis le Moyen-âge jusqu’au XIXe Siècle dans les villages ou quartiers au sein des arrondissements. Laissons-nous conduire pour traverser ce Paris-là. Poussons des porches pour nous retrouver dans des cours, comme dans Les cinq dernières minutes avec Raymond Souplex où des artisans, voire des artistes, exerçaient des métiers désormais disparus.
Des itinéraires précis nous conduisent dans des passages chargés d’Histoire, de cris, de révoltes, de complots.
Madia Tovar et Monique Houssin nous présentent un ouvrage agréable, un texte illustré de gravures et de photos. La mise en page est aérée.
La balade de la Butte aux Cailles y est décrite en quelques vingt pages. Le chapitre commence ainsi « « Vous ne tuerez pas l’idée » : ce graffiti inscrit sur les murs de Paris pendant la Commune retentit de l’âme de la Butte aux Cailles, haut lieu des combats de la Commune… ». Pendant le parcours, nous sommes invités à rendre visite aux Amis de la Commune installés au n°46 de la rue des Cinq diamants (et non pas de la rue Barrault – une erreur s’est glissée dans le texte).
Ce petit guide n’est pas du tout passéiste. Il nous donne envie d’être le piéton de Paris qui découvre aussi « le charme de nos quartiers qui changent sans perdre leur âme ». Il nous donne envie aussi de connaître de la même façon Lyon, Marseille…
Jacqueline Hog
Madia Tovar et Monique Houssin, Dix balades historiques. Sur les traces du Paris insolite et rebelle, Le Temps des Cerises, 2003.
LA COMMUNE PLEIN LA TETE
Le phénomène Commune fait recette dans le monde universitaire et nous ne pouvons que nous en réjouir. Outre les colloques récents qui ont enrichi le débat et ceux à venir, qui poursuivront dans cette voie nécessaire, il faut signaler pour régaler les amateurs, plusieurs maîtrises qui viennent d’être soutenues et une autre en cours, pleine de promesses.
Maxime JOURDAN, avec une maîtrise intitulée « Le cri du peuple (22 février 1871 – 23 mai 1871) », a étudié le journal de Jules VALLES avec pour objectif déclaré celui de sortir des « querelles idéologiques » autour de la Commune, donc du mythe.
Cette courageuse tentative se solde par un remarquable travail de 174 pages et un volume d’annexes de 102 pages regroupant les articles les plus significatifs de cet « organe de presse singulier ».
Autre essai qui doit retenir notre attention : le mémoire de sociologie de Thomas VARRAIN « Les pratiques socioculturelles des ouvriers pendant la Commune de Paris de 1871 » 130 pages, annexes comprises.
L’auteur, en multipliant les coups de flash sur le monde ouvrier parisien de 1871, s’est interrogé sur la réalité de ce « groupe social » en évolution. Selon ses conclusions, la Commune « marque assurément la naissance » d’une « conscience de classe » chez les ouvriers.
En fin, il me faut évoquer, parmi d’autres études sociologiques à venir, celle d’Isabelle GOUARNE prenant pour thème « Les Chansons de la Commune », un « matériau », un corpus culturel, qui permet de « comprendre à partir de quel système de croyances et de valeurs les communards se sont engagés dans un processus révolutionnaire ». Ici encore, la recherche, qui se veut « posture », se fixe comme but de discerner les manifestations d’une « conscience collective », ce qui « permettra de dégager l’évolution idéologique du prolétariat » au moment même de cet « épisode crucial » de la « Révolution ».
Alain DALOTEL
Maxime Jourdan, maîtrise : Le cri du peuple (22 février 1871 – 23 mai 1871) ; Thomas Varrain , mémoire de sociologie : Les pratiques socioculturelles des ouvriers pendant la Commune de Paris de 1871. ; Isabelle Gouarne, étude sociologique : Les Chansons de la Commune.
Gaston CREMIEUX
Le 30 novembre 1871, à l’aube, dans un quartier de Marseille, Gaston Cremieux est fusillé.
Juif, avocat au barreau de Nîmes puis à Marseille, franc-maçon, membre de plusieurs associations, Gaston Cremieux, avec force et vigueur, passion et éloquence, se bat contre Napoléon-le-Petit, pour la République. Ce proche de Léon Gambetta, invite, le 22 mars 1871, les habitants de la cité phocéenne à soutenir Paris contre Versailles, l’espérance contre les frileux repus. Le 27, les citoyens Landeck, May, Amouroux, émissaires de la Commune sont écoutés avec attention. Le général Espivent de la Villeboisnet après avoir déclaré les Bouches-du-Rhone en état de guerre, passe à l’action. Le 4 avril la Commune est écrasée. Le Gaston C. est arrêté. Un conseil de guerre le condamne à mort en juin. Vieille crapule cynique, Adolphe Thiers après avoir déclaré à l’épouse du héros : « J’aime beaucoup votre diable de mari. Il est un peu trop poète, mais il a du bon sens et nous ferons quelque chose de lui, aussitôt que ses cheveux auront blanchi » refuse la grâce.
Cette biographie chaleureuse, quelques erreurs seront enlevées pour une nouvelle édition, donne à Gaston Cremieux la place de choix qui lui revient dans le mouvement communard.
Pierre YSMAL
Roger Vignaud, Gaston Cremieux, Édisud, 288 p., 21€
PARIS ROUGE
Enfin un livre épatant qui conforte notre nationalisme parisien celui d’Eric Hazan, badaud engagé !
L’idée de départ, simple, se fonde sur une «psychogéographie» des limites parisiennes. Le développement irrégulier de la capitale s'est opéré par cercles successifs, en strates concentriques scandées par de nouvelles enceintes centrifuges. Les quartiers entre deux enceintes sont contemporains et, ainsi, Belleville et Passy, annexés tardivement, offrent des similitudes de villages d'île-de-France. Des enceintes de Philippe Auguste et de Charles V aux fortifications de Thiers en 1840, du mur des Fermiers généraux aux percées d'Haussmann et de Pompidou, la ville massacrée conserve ses repères : le fantôme de l'enceinte du XIIIe siècle sert toujours à cerner le Quartier Latin. Paris est donc un gigantesque oignon qu'Eric Hazan épluche méthodiquement à partir... du centre.
Il se fonde une connaissance vertigineuse de la documentation et de la littérature, de Diderot à Clébert ou de Mercier aux surréalistes, ponctuée par des extraits de Walter Benjamin une idée par page, comme lorsqu'il nous présente l'utilisation du plâtre dans la construction parisienne ! Dans la première partie, il emprunte ses chemins de ronde qui restituent les quartiers, les faubourgs et les villages pour faire de nous des flâneurs dans la troisième et rendre hommage à la photographie de Marville ou Atget grâce auxquels nous sommes les voyeurs des «belles images« d'un Paris disparu.
La deuxième partie, Paris rouge, sera lue avec une attention particulière par les Amis de la Commune qui seront comblés. Hazan nous brosse un superbe tableau avec des passages bouleversants tels ceux qu'il consacre à Blan qui, la Commune ou Delescluze. Il multiplie les formules heureuses et des éclairages sollicitant la réflexion sur l'histoire de la ville révolutionnaire au XIXe siècle quand, par exemple, il définit la barricade comme forme symbolique de la Révolution par sa charge poético-politique. Si tel avait été son propos, il aurait pu signaler que la carte des barricades du Paris se libérant en août 44 et celle des statistiques de la tuberculose recouvrait en grande partie celle des barricades de la Commune. Le même Paris se bat...
Une remarque qui ne diminue en rien l'ouvrage : il se termine d'une façon bien abrupte, nous laissant sur notre faim. Mais l'auteur, sans doute, a voulu signifier que Paris reste toujours à inventer et qu'il ne saurait y avoir de conclusion.
Jacques Zwirn
Éric Hazan, L'invention de Paris. il n'y a pas de pas perdus, P Seuil, 2002, 464 pages.
La libre pensée et la Commune
L’Institut de Recherches et d’Etudes de la Libre Pensée (I.R.E.L.P.) vient de publier les notes d’un colloque des 27 et 28 mars 2001 organisé sur le thème « Histoire de la Pensée libre – Histoire de la Libre Pensée ». C’est un ouvrage de 289 pages reproduisant les communications de nombreux historiens et philosophes de la Libre pensée*.
Parmi ces textes, l’un nous intéresse particulièrement puisqu’il traite, sous la plume de Marcel Cerf, de la « Libre Pensée et la Commune ».
Cette étude éclaire bien les liaisons entre la Libre Pensée, tant en France qu’en Belgique, et l’action contre le Second Empire. La lutte contre le Second Empire est inséparable de la lutte contre l’emprise de l’église catholique qui, après la répression anti-républicaine de la révolution de 1848, a apporté un soutien actif à la politique impériale.
Dès la création de l’Internationale, il y a communauté d’intérêt entre des militants comme Longuet ou Lafargue, Varlin ou Malon et les entreprises multiples de la Libre Pensée pour briser le carcan de la répression impériale.
Dans une certaine mesure, la Libre Pensée a aussi pu fournir des moyens de rencontre, de regroupement, de réunions. Les revues souvent éphémères et les auteurs d’articles condamnés mettent en lumière bien des futurs Communards.
Certains sont largement connus, d’autres comme Edouard Moreau de Bauvière ou La Châtre sont moins souvent cités.
On suit ces hommes pendant la Commune, la répression et dans la déportation et l’exil, pour ceux qui survivront au massacre.
Dans la bataille de l’amnistie, les membres de la Libre Pensée sont actifs et, dans une large mesure à partir de 1880, l’activité de ce courant constitue l’une des formes de la renaissance révolutionnaire.
C’est sur tout cela que Marcel Cerf porte un regard attentif et sympathique suivant sa rigueur habituelle et sa confiance en l’homme ;
Rien d’étonnant à retrouver aujourd’hui encore dans nos manifestations communardes les adhérents de la Libre Pensée à nos côtés, c’est là un vieux compagnonnage.
Raoul Dubois
Marcel Cerf, Libre Pensée et la Commune, un article du colloque Histoire de la Pensée libre – Histoire de la Libre Pensée, Institut de Recherches et d’Etudes de la Libre Pensée.