Émile et Léonie, une aventure sous la Commune

Emile et Léonie

Nous sommes à Paris, le 16 mai 1871. Émile vole des cerises pour sa petite amoureuse aveugle, Léonie. Ce sont deux enfants des faubourgs qui vont vivre leurs propres aventures au sein des événements de la Commune. Le graphisme est original et les frimousses des jeunes héros sont attachantes. Les ressemblances sont frappantes avec les personnages ayant réellement existé : on reconnaît Napoléon III et Thiers.

Émile rencontre fortuitement Louise Michel, aperçoit Courbet place Vendôme, et le lecteur s’amuse à les identifier. Le sujet est grave, certes, le récit va d’ailleurs jusqu’à la Semaine sanglante, avec l’évocation des exécutions et de la déportation des communards. Mais Jean-Noël Manthe sait y mettre des touches d’humour : jeux de mots et comique de situation, et créer des personnages pittoresques. Julot, le chien, a un flair imparable, vous verrez… Et la Commune nous est contée.

À la fin, Émile et Léonie se retrouvent à la campagne, sous des cieux plus bleus, et il est temps de chanter Le Temps des Cerises avec Jean-Baptiste Clément et Riton-la-Manivelle, et de lire avec intérêt la petite histoire de la Commune de Paris que Claudine Rey a rédigée en postface.

Michèle Camus

Jean-Noël Manthe, Émile et Léonie, Une aventure sous la Commune, Le Temps des Cerises et Les Amis de la Commune de Paris, 2011, 15 €.

Mes cahiers rouges (souvenir de la Commune)

Mes Cahiers Rouges

Maxime Vuillaume, excellent journaliste, décrit remarquablement dans ce livre ce qu’il a vécu pendant la Commune où il est à la fois acteur et spectateur vigilant. A son retour d’exil, des années plus tard, il fait appel à ses souvenirs, soucieux de décrire des faits précis, mais lointains. Il procède à des enquêtes minutieuses en rencontrant divers témoins. Il privilégie les impressions prises sur le vif.

C’est un enquêteur scrupuleux qui retourne sur le terrain des drames et questionne des témoins, qu’ils soient révolutionnaires ou neutres. Rien n’est commenté sans certitude.

Nous sommes très vite pris par son récit. L’émotion et l’angoisse gagnent rapidement le lecteur. On partage le courage et l’abnégation des communards pendant toutes les semaines de leur combat, face à la politique réactionnaire de Thiers, où ils rejettent de toutes leurs forces la présence prussienne autour de Paris.

On ressent dans ses cahiers, à travers les témoignages des communards, la détermination de ces derniers face à la violence, la cruauté des versaillais, la répression impitoyable sous l’égide de Thiers où l’horreur fut chaque jour présente.

Il nous fait revivre l’effroyable spectacle des rues rouges de sang, la violence des versaillais qui dure encore longtemps après la fin de la Commune, et nous rappelle les représailles impitoyables. La précision des faits ne peut que nous émouvoir. On y apprend le rôle joué par les hommes, et par les femmes (pas trop !). Il met beaucoup de soins à rétablir certains événements, à apporter des informations complémentaires y compris sur des situations controversées, telles par exemple, les causes de la mort de Delescluze.

Par contre, on remarque que, journaliste et écrivain, il a surtout des relations avec des intellectuels dans des restaurants inaccessibles aux ouvriers. Il a moins de contacts avec ces derniers, ceci ne l’empêchant pas d’être sur les barricades avec eux.

Il raconte des anecdotes sur le peuple, à travers lettres et témoignages. J’ai appris ainsi que le signe distinctif des communards était une rosette à franges d’or, que les versaillais ne regardaient pas seulement les mains et les chaussures des communards arrêtés, mais aussi leur épaule rougie par le port du chassepot. Au cours de son exil où il retrouve Vallès, il a une façon parfois amusante de nous conter les pérégrinations des rescapés parvenus en Suisse, sa joie de retrouver ses camarades, même si, avec le temps, viennent les heures aigres.

Il représente la Commune avec toutes ses qualités et les actes d’héroïsme des communards, mais aussi les erreurs. Les cahiers sont une grande oeuvre. Bernard Noël observe : « Si Maxime Vuillaume avait peint autre chose que la Commune, son livre serait depuis longtemps un classique  ». On ne peut que l’approuver.

Nous avons là un livre passionnant et émouvant qui a déterminé de nombreux engagements en faveur de la mémoire des communards dont celui de Marcel Cerf. Aussi serait-il dommage de ne pas le mettre à la disposition de chacun, surtout dans cette édition intégrale inédite.

ANNETTE HUET

Maxime Vuillaume, Mes Cahiers rouges [souvenirs de la Commune], éditions La Découverte, 27,50 euros. En vente aussi aux Amis de la Commune.

Deux numéros hors série de l’Humanité

L'Humanité

De nombreux articles de presse, des émissions de radio et de télévision ont présenté la Commune de Paris de 1871 et rendu compte des innombrables cérémonies qui ont marqué son 140e anniversaire.

Nous regrettons cependant que cet événement n’ait pas eu tout le traitement médiatique qu’il méritait, même si nous nous réjouissons que la chape de plomb, qui pèse sur les souvenirs de cette révolution, ait commencé à être soulevée.

Nous voulons cependant signaler à nos lecteurs la parution des deux numéros hors série de l’Humanité, «  Le peuple au firmament » et « Ils étaient les Communards  ».

Le premier numéro, paru le 18 mars 2011, relate en une vingtaine d’articles la Commune au jour le jour, son idéal toujours vivant de justice et d’égalité, la hantise pour les possédants de ce spectre qui hante l’Europe, comment les artistes et écrivains ont ressenti cet événement.

Le second numéro, paru en septembre, présente les portraits de quarante-sept communards, avec une reprise des articles publiés chaque jour dans le quotidien, du 1er juillet au 15 septembre.

Personne ne sera étonné de cette publication dans le journal de Jean Jaurès qui comptait, parmi ses fondateurs en 1904, plusieurs anciens combattants de la Commune de Paris.

Yves Lenoir

Le peuple au Firmament : 7 € ; Ils étaient les Communards : 5 € en vente dans les kiosques à journaux ou sur commande, en ajoutant 1 € de frais de port, à l’Humanité 164, rue Ambroise Croizat, 93 528 Saint-Denis Cedex.

Rouge Élisabeth

Rouge Elisabeth

Ce livre, qui se lit comme un roman, nous raconte le destin exceptionnel d’Élisabeth Dmitrieff et sa participation à la Commune.

Fille illégitime d’un propriétaire terrien russe, elle suit des études à Saint-Pétersbourg où elle milite dans les cercles socialistes. En décembre 1870, Élisabeth s’installe à Londres, où elle fait la connaissance de Karl Marx qui l’envoie en mission à Paris, en mars 1871.

Elle participe activement à l’insurrection et fonde, avec Nathalie Lemel, l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Dans une lettre adressée à Marx le 24 avril, la jeune Russe (vingt ans) analyse la situation avec justesse : « Il faut à tout prix agiter la province, qu’elle vienne à notre secours. La population parisienne (une partie du moins) se bat héroïquement, mais nous ne pensions jamais nous trouver aussi isolés. (…) On n’a pas fait à temps le manifeste aux paysans. » Élisabeth Dmitrieff estime que « les affaires de la Commune avancent bien, quoique au début de nombreuses erreurs aient été commises. » Elle militait pour l’égalité des salaires avec les hommes et pour ce qu’on appelle aujourd’hui l’autogestion, lorsque les versaillais envahirent la capitale. « Rares sont les hommes de la Commune qui comprennent ce qu’ont entrepris les femmes », à l’exception de Léo Fränkel, « qui réagit tout de suite quand Élisabeth vient lui parler du travail des femmes », écrit sa biographe, Yvonne Singer-Lecocq. Le 23 mai, « Vêtue d’une mirifique robe rouge, la ceinture crénelée de pistolets », selon Lissagaray, Élisabeth se bat sur la barricade de la place Blanche. Elle porte secours à Fränkel, blessé rue du faubourg Saint-Antoine. Touchée à son tour, elle se cache pendant un mois et réussit à s’enfuir avec lui à Genève.

Rentrée en Russie en octobre 1871, Élisabeth épouse un condamné à la déportation pour escroquerie et le suit en Sibérie ; au même moment, en France, elle est condamnée par contumace pour son rôle dans la Commune.

John Sutton

Yvonne Singer-Lecocq, Rouge Elisabeth, Pascal Galodé éditeur. 235 pages, 20 €.

 

La guerre sociale d’André Léo


La guerre sociale

Cette récente édition au Passager clandestin présente le discours qu’André Léo, écrivaine et communarde, prononça le 27 septembre 1871 à Lausanne, au congrès de la Ligue de la paix et de la liberté.

Michelle Perrot en fait une présentation captivante et exhaustive, intitulée André Léo ou la cause de l’insurrection. Ainsi préparé, le lecteur est emporté au cœur des événements de la Commune. André Léo revient sur les incendies et accuse Thiers et les versaillais de « complot de mensonge, de meurtre et de monarchie ». Elle dépeint Paris pendant la Semaine sanglante comme «  un immense abattoir humain  ». Aux accents hugoliens, elle ajoute l’émotion du vécu.

Elle déplore le massacre en nombre des communards, ainsi que l’émigration des meilleurs ouvriers suite à cette guerre civile. Interpellant son auditoire, elle l’exhorte à protester et à intervenir. Elle s’en prend nommément à Jules Simon et Jules Ferry, acteurs de la IIIe République. Elle appelle à un programme commun de tous les démocrates sincères et à une alliance contre l’ennemi de la paix sociale. Même si la question du capital divise démocrates libéraux et socialistes, des points d’accord subsistent : les libertés, l’impôt unique et progressif, une armée nationale et citoyenne, une instruction démocratique, gratuite et intégrale. Elle conclut en évoquant l’avenir des enfants qui naissent dans la misère et proclame qu’il est grand temps de mettre un terme à cette situation qui déshonore l’humanité.

Parlant de guerre sociale et évoquant la Commune avec beaucoup d’empathie, elle choque, ce jour-là, en Suisse : le président du congrès l’interdit de parole avant même la fin de son discours comme elle le déplore dans son Post-scriptum. Nous, lecteurs, avons le bonheur de l’entendre jusqu’au bout.

Au moment où elle prononce son discours, l’heure est à l’oubli, à l’amnésie : André Léo dérange.

En cette année du 140e anniversaire de la Commune, la nécessité d’une réhabilitation s’impose.

L’article de Christian Aubin d’octobre 2010, intitulé Obsession sécuritaire et guerre sociale, ponctue la présente édition. Faisant suite directement aux propos d’André Léo, il nous rappelle que la lutte pour la liberté et l’égalité n’est pas terminée, et met en garde le peuple contre les effets néfastes de l’obsession sécuritaire.

Forts de notre lecture, nous sommes encore plus convaincus de la modernité de la Commune et de la nécessité de continuer à résister.

Michèle Camus

André Léo, La Guerre sociale, Le Passager clandestin, juin 2011, 7 €.

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