Dans ses proclamations pour la préparation aux élections de la Commune, le Comité Central définit clairement les conditions de l’exercice d’une véritable démocratie directe :
Les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables.
Quand nous pourrons avoir les yeux partout où se trouvent nos affaires, partout où se préparent nos destinées, alors, mais seulement alors, on ne pourra plus étrangler la république.
La veille du scrutin, les membres du Comité Central prodiguent leurs ultimes conseils aux électeurs parisiens :
Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisisez parmi vous, vivant de votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujous par se considérer comme « indispensables »(...) « Nous sommes convaincus que, si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considèreront jamais comme vous maîtres.
Les conseils donnés aux électeurs du 26 mars 1871 sont plus que jamais valables pour les citoyens qui voteront aux élections municipales de l’an 2001. Et, heureux présage, le deuxième tour se tiendra sous les auspices du 130ème anniversaire de la Révolution du 18 mars.
Le premier souci du Comité central dès la nuit du 18 au 19 mars, est d’organiser des élections pour légaliser la situation. Cela est apparu par la suite, pour certains, comme un manque d’initiative révolutionnaire, mais le suffrage universel passait pour le meilleur moyen d’expression de la volonté populaire et le communalisme aura un véritable culte pour l’élection.
Le 21 mars, le Comité central publie l’arrêté suivant :
Le Comité central, n’ayant pu établir une entente parfaite avec les maires, se voit forcé de procéder aux élections sans leur concours.
En conséquence, le comité arrête :
1° Les élections se feront dans chaque arrondissement par les soins d’une commission électorale nommée à cet effet par le Comité central ;
2° Les électeurs de la ville de Paris sont convoqués jeudi 23 mars 1871, dans leurs collèges électoraux, à l’effet d’élire le conseil communal de Paris ;
3° Le vote se fera au scrutin de liste et par arrondissement ;
4° Le nombre de conseillers est fixé à 90, soit 1 pour 20,000 habitants et par fraction de plus de 10,000 ;
5° Ils sont répartis d’après la population de chaque arrondissement ;
6° Les électeurs voteront sur la présentation de la carte qui leur a été délivrée pour l’élection des députés de l’Assemblée nationale, le 8 février 1871, et dans les mêmes locaux ;
7°Ceux des électeurs qui n’auraient pu retirer leur carte à cette époque ou l’auraient égarée depuis, prendront part au vote, après vérification de leur inscription sur la liste électorale. Ils devront faire constater leur identité par deux électeurs inscrits dans leur section ;
8° Le scrutin ouvrira à 8 heures du matin et sera clos à 7h du soir ; le dépouillement commencera immédiatement après la clôture du scrutin.
CITOYENS,
Le comité central remet aux mains du peuple de Paris le pouvoir tombé de mains indignes. Les élections communales se feront d’après le mode ordinaire ; mais le comité central exprime le vœu qu’à l’avenir le vote nominal soit considéré comme le seul vraiment moral et digne des principes démocratiques.
La date du 21 doit être reportée d'abord au 23 puis au 26 mars en raison de deux évènements :
d'une part, les efforts de conciliation entrepris par les maires d'arrondissement et les élus parisiens (dont Clemenceau, Millière, Tolain, Cournet, Lockroy, Malon) essayant d'éviter l'affrontement entre l'Assemblée nationaleet la garde nationale.
d'autre part, les manifestations les 21 et 22 mars du parti de l'ordre et de l'occupation de certaines mairies d'arrondissement par des bataillons bourgeois de la garde nationale.
À Paris, le 21 , une seconde fois le 22, quelques centaines d’ »amis de l’ordre », monarchistes et bonapartistes, manifestent place Vendôme et se heurtent à la Garde nationale. Il y a des morts des deux côtés. |
Les maires d'arrondissement et les députés de la Seine acceptent le 25 mars de cosigner avec le Comité central le texte appelant les électeurs parisiens à se rendre aux urnes.
Rompant décisivement avec la légalité versaillaise, le Comité central attend un appui, un acquiescement du reste de la France.
La campagne est brève. Trois courants se partagent l'opinion : les partisans du gouvernement préconisent l'abstention. ; les conciliateurs s'appuient sur les candidatures modérées des maires en place ou de leurs adjoints ; le parti de la Commune regroupe le Comité central de la Garde nationale, le Comité central républicain des Vingt arrondissements et les Internationalistes.
Les témoignages concordent pour affirmer que les opérations se déroulent presque partout dans le calme et sans contrainte. Ces élections se déroulent selon les dispositions retenues et dans un calme que tous les journaux parisiens s’accordent à reconnaître. Le vote s’achève souvent tard dans la nuit du fait de l’affluence dans les quartiers populaires.
Il n’est pas facile de faire une étude exhaustive des résultats, dans une ville qui a perdu après septembre 1870, un nombre non négligeable de population. L’élection se fait par arrondissement. Chaque électeur dépose une liste de noms de son choix en nombre égal à celui des postes à pourvoir. L’estimation la plus récente est celle de Jean-Louis Robert, dans une copieuse synthèse d’histoire de la Commune qui sera publiée prochainement. Il a bien voulu nous confier une partie de son étude :
Il y avait 480 000 électeurs inscrits, chiffre déjà discutable car il y eut des inscriptions complémentaires, et il n’y eut aucune radiation sur les listes originelles de 1870. Il y eut environ 225 000 votants, soit 47% environ des inscrits. Le chiffre est très voisin des 232 000 votants des élections municipales du 5 novembre 1870. On ne peut donc guère en contester la légitimité.
Sur l’ensemble de Paris, combien de voix ont obtenu les candidats favorables à la Commune ? La chose est fort complexe car il y a multiplicité de candidats favorables à la Commune qui dispersent et affectent le total des voix favorables. En nous en tenant au candidat favorable à la Commune ayant obtenu le plus de voix, arrondissement par arrondissement, nous sommes donc légèrement en dessous de la réalité. Ce total monte à 162 000 voix, soit 72% des votants et 34% des inscrits.
[…] La conclusion s’impose : certes la Commune est loin d’obtenir la majorité des électeurs inscrits, mais elle est majoritaire non seulement sur les votants de mars, mais aussi sur les votants de février. Le Peuple politique lui donne donc la majorité.
Au fond la Commune obtient les voix de la plus grande partie des républicains parisiens, avec la quasi-totalité des voix des internationalistes, socialistes révolutionnaires, républicains socialistes, et une partie très importante des républicains radicaux et patriotes.
La proclamation des résultats attire, place de l’Hôtel- de-Ville une foule enthousiaste estimée à 200 000 personnes, absolument impensable dans un Paris mécontent. A la suite des démissions (notables élus dédaignant de siéger ou donnant leur démission), des candidatures multiples (Arnould, Blanqui, Theisz, Varlin élus dans plusieurs arrondissements) et des morts (Duval, Flourens), le Conseil de la Commune se trouve amputé de près du tiers des conseillers prévus.
Des élections complémentaires sont alors décrétées pour le 5 avril. Elles sont ajournées au 10 et finalement au 16 avril. Les abstentions sont cette fois massives. La Commune décide que dans ces conditions, sont élus les candidats ayant obtenu la majorité absolue sur le nombre de votants. Cette décision est prise par 26 voix contre 13. Suite à de nouvelles démissions, le Conseil de la Commune, cette fois encore n’est pas au complet.
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(1) La base est celle du « Maitron ». Les notices biographiques détaillées sont sur le site : https://maitron.fr/ . L’ensemble des notices résumées se trouve dans M. Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, Éditions de l’Atelier, 2020.
Statistiques profession des élus (plus de 5) :
- 32 ouvriers
- 12 journalistes
- 7 employés
- 7 médecins/pharmaciens/vétérinaires
- 5 artistes
Statistique sur les âges, parmi les 83 élus dont nous connaissons l'âge
- 19 ont 30 ans ou moins
- 28 ont entre 30 et 40 ans
- 23 entre 40 et 50
- 13 plus de 50 avec le doyen Beslay des Côtes-du-Nord 75 ans.
57 % ont moins de 40 ans, 23 % moins de 30 ans